En
hommage
au juge François Renaud
assassiné le 3 juillet 1975
PRÉFACE
Dans
la vieille salle de la cour d'assises de Grenoble, où sans
doute Stendhal a puisé l'intuition que les affaires criminelles
révèlent le monde, des hurlements de douleur déchirent
l'enveloppe factice de la dignité des prétoires. La
justice vient de parler. Elle condamne un homme : Didier Gentil.
Elle acquitte un homme : Richard Roman. Les cris sortaient des entrailles
de Joëlle Maurel, la mère de la petite Céline,
assassinée le 26 juillet 1988 à La Motte du Caire
dans l'été insouciant des vacances.
Les cris jaillissent du cœur brisé du père Gilbert,
du grand-père et de la grand-mère de l'enfant martyrisée.
Ils brûlent leurs papiers d'identité, petit feu de
colère dérisoire, de désespoir réel.
Ils n'acceptent pas l'acquittement de Richard Roman. La justice
vient de passer, laissant sur le carreau des pauvres, toute une
famille, désormais en deuil de justice, en deuil d'incertitude,
en larmes.
Après quatre ans et plus, après que Roman eut été
affiché à la une des journaux comme un monstre, qu'il
eut été photographié avec ses cheveux longs
et ses yeux fous de meurtrier, qu'il eut été incarcéré
puis libéré par un juge d'instruction de Digne les
Bains, qu'il eut été réincarcéré
par la chambre d'accusation d'Aix en Provence, qu'il eut été
annoncé à la famille Jourdan par le procureur général
de Grenoble comme le coupable, aujourd'hui, ce 17 décembre
1992 dans l'hiver de Grenoble, si différent de l'été
lointain et criminel de La Motte du Caire, Richard Roman est acquitté
; Roman est quitte une fois pour toutes, judiciairement, du crime
de l'enfant. Que la chose soit dite.
Qui effacera des yeux des parents une histoire sans paroles mais
pleine de douleurs?
Qui expliquera à ces gens l'inexplicable? Ce cri de douleur
n'est qu'un cri d'incompréhension. La justice, quand elle
en arrive à ce point d'inintelligibilité, a forcément
des comptes à rendre, des explications à donner :
quel que soit le côté où l'on se range, celui
de Roman ou celui des Jourdan, celui de l'acquittement ou celui
de l'incertitude insatisfaite, force est de constater que la machine
judiciaire ferait bien de mettre quelques-uns de ses mécaniciens
en examen de conscience.
Robert Daranc n'a voulu ni plus ni moins que procéder à
l'examen de conscience de cette machine. A, Grenoble, sur l'aristocratique
place du Palais, cerclée de vieux restaurants et de cafés
d'étudiants comme un bon tonneau de vin d'autrefois, la statue
du Connétable sans peur et sans reproche regarde les allées
et venues des juges, des policiers, des avocats, des journalistes,
elle semble dire : «Je suis là depuis des siècles
parce que sans reproche, et vous? »
Trop pressés les justiciables, les juges, les avocats, les
journalistes ne voient pas la statue du Commandeur. Robert Daranc
se serait-il dressé en Commandeur de cette affaire?
Gilbert COLLARD
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