En
hommage
au juge François Renaud
assassiné le 3 juillet 1975
PRÉFACE
Dans
la vieille salle de la cour d'assises de Grenoble, où sans
doute Stendhal a puisé l'intuition que les affaires criminelles
révèlent le monde, des hurlements de douleur déchirent
l'enveloppe factice de la dignité des prétoires. La
justice vient de parler. Elle condamne un homme : Didier Gentil.
Elle acquitte un homme : Richard Roman. Les cris sortaient des entrailles
de Joëlle Maurel, la mère de la petite Céline,
assassinée le 26 juillet 1988 à La Motte du Caire
dans l'été insouciant des vacances.
Les cris jaillissent du cœur brisé du père Gilbert,
du grand-père et de la grand-mère de l'enfant martyrisée.
Ils brûlent leurs papiers d'identité, petit feu de
colère dérisoire, de désespoir réel.
Ils n'acceptent pas l'acquittement de Richard Roman. La justice
vient de passer, laissant sur le carreau des pauvres, toute une
famille, désormais en deuil de justice, en deuil d'incertitude,
en larmes.
Après quatre ans et plus, après que Roman eut été
affiché à la une des journaux comme un monstre, qu'il
eut été photographié avec ses cheveux longs
et ses yeux fous de meurtrier, qu'il eut été incarcéré
puis libéré par un juge d'instruction de Digne les
Bains, qu'il eut été réincarcéré
par la chambre d'accusation d'Aix en Provence, qu'il eut été
annoncé à la famille Jourdan par le procureur général
de Grenoble comme le coupable, aujourd'hui, ce 17 décembre
1992 dans l'hiver de Grenoble, si différent de l'été
lointain et criminel de La Motte du Caire, Richard Roman est acquitté
; Roman est quitte une fois pour toutes, judiciairement, du crime
de l'enfant. Que la chose soit dite.
Qui effacera des yeux des parents une histoire sans paroles mais
pleine de douleurs?
Qui expliquera à ces gens l'inexplicable? Ce cri de douleur
n'est qu'un cri d'incompréhension. La justice, quand elle
en arrive à ce point d'inintelligibilité, a forcément
des comptes à rendre, des explications à donner :
quel que soit le côté où l'on se range, celui
de Roman ou celui des Jourdan, celui de l'acquittement ou celui
de l'incertitude insatisfaite, force est de constater que la machine
judiciaire ferait bien de mettre quelques-uns de ses mécaniciens
en examen de conscience.
Robert Daranc n'a voulu ni plus ni moins que procéder à
l'examen de conscience de cette machine. A, Grenoble, sur l'aristocratique
place du Palais, cerclée de vieux restaurants et de cafés
d'étudiants comme un bon tonneau de vin d'autrefois, la statue
du Connétable sans peur et sans reproche regarde les allées
et venues des juges, des policiers, des avocats, des journalistes,
elle semble dire : «Je suis là depuis des siècles
parce que sans reproche, et vous? »
Trop pressés les justiciables, les juges, les avocats, les
journalistes ne voient pas la statue du Commandeur. Robert Daranc
se serait-il dressé en Commandeur de cette affaire?
Gilbert COLLARD
INTRODUCTION
Ce
livre n'est ni un plaidoyer ni un réquisitoire pour ou contre
l'un des deux accusés, Il n'est que le fruit de la longue
réflexion d'un journaliste ayant suivi, comme d'autres, un
fait divers exceptionnel, ses reconstitutions, l'instruction, ainsi
que le procès public qui en est résulté.
Il est aussi la réflexion d'un père choqué,
traumatisé, comme tous ceux qui ne supportent pas le viol
et le meurtre d'une fillette de sept ans.
Il faut que les choses soient claires : je ne «roule»
pour personne. Ce livre n'est à la solde d'aucune partie.
Pas plus de la famille de Céline que de celle des magistrats,
des avocats ou des enquêteurs. Ma seule prétention
est de tenter d'expliquer comment, en moins de trois semaines ce
Richard Roman que la France entière avait déjà
désigné comme le principal coupable du drame de La
Motte du Caire a pu ressortir, après quatre années
de détention, lavé de tout soupçon. Comment
aussi un avocat général, le procureur de la République,
chargé de défendre les intérêts de la
société - donc en principe de faire condamner les
accusés qu'on lui présente - a pu tout au contraire,
demander aux jurés de l'Isère l'acquittement pur et
simple de l'un des deux prévenus? Et cela dans un magistral
retournement auquel beaucoup ont cru devoir rendre hommage. Comment
enfin ce haut magistrat a pu en quelques jours, sinon en quelques
heures, changer son fusil d'épaule? Lui qui quelques semaines
avant l'ouverture du procès, avait cru bon, en se rendant
à La Motte du Caire, de rassurer les parents de Céline.
Lui qui durant le procès, lors d'un déjeuner et devant
plusieurs témoins avait affirmé qu'il avait tout en
main, et même un «joker», pour faire condamner
les deux accusés : Didier Gentil et Richard Roman. Que s'est-il
passé d'extraordinaire pour en arriver à de tels bouleversements?
Ce livre ne sera donc qu'une décortication du cheminement
qui a même conduit certains avocats de la partie civile (c'est
à dire ceux de la famille de l'enfant martyre) à suggérer
eux aussi l'acquittement de Richard Roman. Du cheminement qui a
conduit deux avocats de l'autre accusé, Didier Gentil à
modifier leur système de défense au point que l'un
d'eux se fera traiter de «renégat» par certains
de ses pairs. Du cheminement qui a conduit les neuf jurés
de l'Isère dont sept femmes, à blanchir Roman sans
que personne ne puisse plus jamais critiquer leur décision.
Parce que nul n'en a le droit. Journaliste, je me bornerai à
relater dans ces pages l'essentiel de ce qui m'a été
donné de voir ou d'entendre, avant, pendant et après
ces audiences de la cour d'assises de Grenoble.
Voici donc à quoi peut finalement tenir un destin. A la minceur
d'un fil : une mauvaise plaidoirie, un témoin hésitant,
un autre qui en rajoute ou la mauvaise foi d'un troisième.
Le délibéré allait durer quatre heures. Richard
Roman aurait pu être condamné à la peine extrême,
passant ainsi dans l'opinion alors satisfaite pour le monstre qui
allait enfin payer son crime. Or il est devenu aux yeux d'une opinion
semble t-il insatisfaite le doux archange qui a failli être
victime d'une erreur judiciaire.
Comment en trois semaines tout cela a t-il été possible?
Voilà ce que nous voulons tenter d'analyser, raconter sinon
s'expliquer.
Comment des gendarmes venus rendre compte de leur enquête,
de leurs interrogatoires et des aveux des deux suspects dès
le premier jour sont-ils devenus soudain aux yeux de certains des
«fascistes», des «tortionnaires», des arracheurs
ou plutôt des extracteurs d'aveux?
Comment un procureur de la République, en l'occurrence Paul
Weisbuch venu témoigner à la barre, s'est-il soudain
retrouvé quasiment sur le banc des accusés, critiqué
même par l'avocat général Michel Legrand qui
aurait dû logiquement le soutenir, subissant durant des heures
le feu roulant des avocats de Richard Roman sans que le président
de la cour d'assises n'intervienne dans le débat?
Comment des auxiliaires ou des fonctionnaires de police ou de justice
ont-ils pu sombrer dans l'amnésie ou la frénésie?
Comment des témoins ont-ils pu aussi effrontément
émettre des contrevérités pour mieux faire
coïncider leurs propos avec une thèse ou l'autre?
Comment des avocats de quelque côté de la barre qu'ils
aient été, ont-ils pu oublier de poser aux différents
témoins les questions que le simple bon sens aurait pu leur
inspirer?
Incompétence ou incapacité? Complaisance ou duplicité?
Connivence ou complicité?
Autant de questions que la France s'est posées au lendemain
du verdict et auxquelles ces pages vont tenter de répondre.
En prenant soin de répéter et de souligner avec force
qu'il ne sera nullement question au fil de ce voyage de commenter
ou de critiquer le verdict de la cour d'assises de Grenoble.
Maître Gilbert Collard, le nouvel avocat du père de
Céline l'a bien précisé : «Un acquittement
c'est sacré. Un acquittement, c'est intouchable»
Mais rien n'empêche de raconter - d'autres auteurs l'ont fait
avant moi et d'autres sans doute le feront après - comment
et pourquoi l'on en est arrivé là au terme d'un procès
dont on a pu dire qu'il fut aussi celui d'une Justice malade, d'une
justice sous hypnose politico-médiatique.
Robert
Daranc
ACCUSÉ
: LA GARDE A VUE
Un
long cri a soudain déchiré la salle de la cour d'assises
de Grenoble. Plutôt une espèce de feulement comme seuls
peuvent en pousser les grands fauves blessés. Un son rauque
venant des entrailles d'une mère a qui l'on vient de tuer
pour la seconde fois son enfant. Au point que seuls ceux qui se
trouvaient près d'elle ont plus deviné qu'entendu
le prénom de Céline.
II est 16 h 22 le 17 décembre 1992. De sa voix de basson
le président Dominique Fournier vient de lire, une à
une, les réponses aux dix questions posées quatre
heures plus tôt aux neuf jurés du département
de l'Isère. Depuis quelques minutes déjà, dans
cette salle qui abrita naguère le Parlement du Dauphiné,
la foule retient son souffle. Marquée, fatiguée par
trois semaines d'audiences fertiles en coups de théâtre
et rebondissements, en coups d'éclats et renoncements.
Le public restreint et filtré, parsemé de policiers
se presse debout contre la barrière en bois qui le sépare
des «privilégiés» Une cinquantaine de
journalistes venus de toute la France. Tous ont dû se plier
de bonne grâce aux multiples contrôles de sécurité
ordonnés par le procureur général.
Sur les bancs des premiers rangs, la famille de Céline au
grand complet tente de comprendre des phrases d'un autre âge
: «A la majorité d'au moins huit voix la Cour estime
Didier Gentil coupable. Coupable du viol mais aussi du meurtre de
Céline»
A ces seuls mots, seuls les professionnels comprennent. La famille
de Céline, elle, ignore encore l'autre décision du
jury. Ce n'est que lorsque le président Fournier, d'une voix
calme et posée termine sa lecture concernant Richard Roman
par les mots «non coupable», «acquitté»
que Joëlle Maurel, la maman de l'enfant massacrée, craque,
avec ce double cri : «Céline ! Céline ! »
Les beaux yeux dorés de Joëlle sont inondés de
larmes. Elle se lève comme pour se jeter sur le box des accusés
en hurlant : «Où que tu sois Roman on te retrouvera»
Ensuite tout va très vite. Des policiers, surgis d'on ne
sait où, font de leurs corps un rempart pour protéger
à la fois les accusés et leurs avocats mais aussi
la famille de Richard Roman. Rapidement la salle se vide. La mère
de Céline tombe évanouie. Il faut soutenir le père,
son ex-mari, Gilbert Jourdan.
Dans les couloirs quelques vitres sont brisées. Dans un concert
d'injures et de cris, le clan Jourdan, oncles, père et grand-père,
s'en va sur la place Saint André brûler cartes d'électeur
et d'identité. Le papa de Céline est déchaîné.
Devant les caméras de toutes les chaînes de télévision
il clame :
«La justice est pourrie. J'ai été trompé,
mené en bateau. Je suis cocu»
Pendant ce temps, dans le calme feutré de la bibliothèque
des avocats, la famille Roman tient une conférence de presse.
Elle laisse éclater sa joie. Et à quelques kilomètres
de là, devant les bâtiments de la prison de Varces
a lieu la première interview d'homme libre de Richard Roman
lui qui durant quatre années, fut l'un des hommes le plus
haïs de France. Le voilà enfin lavé de tout soupçon
par la justice populaire.
La famille de Céline, comme les habitants de La Motte du
Caire reste cependant persuadée de sa culpabilité.
Le père de la victime va même s'offrir les services
d'un détective privé pour refaire toute l'enquête.
Au plus profond de leur détresse les parents de Céline
sont loin d'imaginer que l'issue de ce procès qui leur paraissait
si simple, tant leur cause semblait entendue n'est que la conclusion
d'une comédie politico-juridico-médiatique engagée
depuis de nombreux mois.
Comment auraient-ils pu songer que depuis quatre années,
des ficelles avaient été tirées, des espoirs
soulevés des intrigues nouées? Pouvaient-ils comprendre
qu'avec ce verdict un combat venait de s'achever? Dont Richard Roman,
un peu malgré lui, avait été l'enjeu.
Aujourd'hui encore, les arcanes de cette sourde lutte leur échappent
encore. Certes, Joëlle et Gilbert, les parents de la malheureuse
Céline estiment toujours avoir été floués,
mais ils n'ont pas encore compris que la mort atroce de leur fille
avait été comme prise en otage, que leur drame personnel
était devenu un simple dossier parmi d'autres, le centre
d'une sorte de conjuration destinée à faire admettre
à l'opinion qu'une réforme du code de procédure
pénale, voulue par le gouvernement de Pierre Bérégovoy,
s'imposait. Cet enjeu général imposait, afin d'illustrer
les lacunes des formes traditionnelles d'instruction, d'obtenir
l'acquittement de celui des deux accusés qui était
revenu sur ses aveux formulés durant sa garde à vue.
Richard Roman, malgré ou plutôt grâce à
ses aveux, devenait un de ces cas rarissimes qui permettent d'agiter
le spectre de l'erreur judiciaire. Il pouvait camper le rôle
de la victime idéale de la garde à vue telle que celle-ci
se pratiquait à l'époque de son arrestation. Pour
être revenu sur ses aveux dès sa première comparution
devant un juge d'instruction, Roman était devenu le principal
accusateur de ce système de la garde à vue que bien
des avocats, surtout de gauche, et de nombreux magistrats, principalement
du syndicat de la magistrature, abhorraient au plus haut point.
Puisque la bataille était engagée sur des principes,
puisque le débat réel portait sur une pratique institutionnelle,
qu'importaient les parents, qu'importaient les péripéties
concrètes du fait divers. On ne passe pas sans la saisir
à côté d'une histoire permettant de devenir
les «Dreyfus» d'une nouvelle erreur judiciaire.
Jusqu'en 1958 la garde à vue n'était pas réglementée.
Les enquêteurs pouvaient garder un suspect «au frais»
autant qu'ils le souhaitaient, au moins jusqu'à ce qu'il
craque. Car elle était illimitée. Un premier changement
s'est produit en 1958, quand le législateur l'a limitée
à vingt quatre heures, renouvelables avec l'accord et la
présence du procureur. On prévoyait aussi la visite
d'un médecin chargé de constater la bonne santé
morale et physique du suspect. Ce délai pouvait atteindre
quatre jours dans les affaires de stupéfiants et de terrorisme.
Depuis le 4 janvier 1993, la présence d'un avocat est devenue
possible à partir de la vingtième heure.
Nombreux ont été ceux qui soutenaient que, durant
ces vingt quatre heures, et à plus forte raison le double,
tout pouvait survenir. Y compris le pire des aveux arraché
à un innocent. Il est vrai que pour être rares des
cas illustrant cette possibilité existent. L'argument des
adversaires de la garde à vue est simple : «Si l'avocat
pénètre dans le bureau du juge, il devrait pouvoir
le faire dans un local de police. Si cette possibilité lui
est refusée, c'est qu'il s'y passe des choses qu'il ne doit
pas voir ou entendre»
Telle a toujours été du moins la thèse du vice
président de la Ligue des Droits de l'homme, maître
Henri Leclerc. Des aveux, sans être extorqués, peuvent
fort bien avoir été sollicités voir dictés,
explique t-il. Or Henri Leclerc est avocat. Sollicité par
les deux frères de Richard Roman, il a accepté de
défendre sa cause. Quel meilleur combat, quelle meilleure
illustration aurait il pu trouver pour obtenir la réforme
de la garde à vue? Et quel succès d'être parvenu,
en trois semaines, à faire innocenter celui que l'opinion
avait par avance condamné quatre années durant ! Au
point que l'on a pu se demander si, dans le procès de Grenoble,
c'est Roman qui a été acquitté ou la garde
à vue qui a été condamnée.
La gauche, en 1981, avait inauguré sa politique judiciaire
par l'abolition de la peine de mort. A l'époque, on proclame
que la justice française entre ainsi dans la modernité.
Depuis, la gauche n'a entrepris aucune autre réforme de fond.
Il lui manquait un combat.
Après celui contre la peine de mort, auquel restera lié
le nom de Robert Badinter, elle a donc entamé la lutte contre
la garde à vue dont Henri Leclerc s'était fait le
brillant apôtre. Le nouveau combat idéologique du peuple
de gauche pouvait s'engager. Déjà le ton avait été
donné par le film de Claude Miller, excellemment interprété
par Michel Serraut et Lino Ventura, portant justement le titre «Garde
à vue»
Une commission est donc créée en 1988, un mois avant
le meurtre de Céline. Présidée par une universitaire,
spécialiste du droit pénal et des droits de l'homme,
Mireille Delmas-Marty, elle est composée de quatre membres
du Conseil d'État, cinq magistrats, un professeur d'université
et deux avocats dont, justement maître Henri Leclerc. Deux
années durant elle va consulter, entendre nombre de spécialistes
étrangers, de policiers, de gendarmes, deux journalistes
dont le célèbre chroniqueur judiciaire du «Monde»
et quelques avocats de gauche tels Daniel Soulez-Larrivière
ou Georges Kiejman, le futur secrétaire d'État à
la justice de François Mitterrand. Un rapport provisoire
est remis, à la fin 1989, au garde des sceaux et le texte
définitif est déposé en juin 1990. Mireille
Delmas-Marty s'était confiée le 24 décembre
1988 à «l'Événement du Jeudi» :
«En France, la garde a vue est insuffisamment encadrée.
Avec l'isolement psychologique et les risques de mauvais traitements
qu'elle implique, les aveux peuvent être plus facilement extorqués.
Et donc rétractés. C'est essentiellement en modifiant
la procédure de la garde à vue qu'on mettra fin à
la «religion de l'aveu» Pour cela, la possibilité
d'un entretien préalable à tout interrogatoire, avec
un avocat est une garantie nécessaire»
Cette thèse sera entendue et l'Assemblée nationale
majoritairement à gauche autorisera à partir du début
de 1993, la présence d'un avocat dans tout commissariat ou
local de gendarmerie dès la vingtième heure de garde
à vue. Ce dont s'est bien sûr réjoui maître
Henri Leclerc. Mais, dans le cas de son client, cette présence
à la vingtième heure n'aurait servi à rien.
Car Richard Roman a avoué bien avant. Son avocat n'aurait
donc rien pu éviter. Il aurait simplement constaté
que Roman n'avait été ni frappé ni torturé
contrairement à ce qu'il a ensuite et toujours prétendu.
Aussi, en toute logique, devrait-on s'attendre à ce que le
futur combat de maître Henri Leclerc soit d'obtenir la présence
de l'avocat dès le début d'une garde à vue.
Cette conception est loin d'être partagée par tous
les participants à l'action judiciaire. Certains, n'y voient
qu'un procédé de camouflage à seule portée
idéologique. Pourquoi ne pas envisager que le parquet soit
une entité séparée du siège, que le
procureur soit un fonctionnaire de police ayant les mêmes
droits et les mêmes pouvoirs que l'avocat et qu'il y ait un
affrontement dialectique entre le parquet et la défense arbitré
par le juge, le procureur ne pouvant pas aller en garde à
vue mais l'avocat non plus. Un système de contrôle
pourrait être confié à des échevins :
élus, médecins voire journalistes.
Le débat ne se limite donc pas à un «pour ou
contre» la présence d'un avocat pendant la garde à
vue et, dès lors, la réforme récente n'offre
en réalité que peu d'intérêt. La présence
de l'avocat, limitée à une demi-heure ne peut être
profitable à la défense. En revanche, la tentation
risque d'être grande de profiter de cette once de pouvoir
éphémère pour remettre en question vingt heures
d'enquête et d'interrogatoire. Montesquieu n'a t-il pas écrit
que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser.
Et les premiers à porter la critique aujourd'hui n'en abuseront-ils
pas demain? S'intéresseront-ils d'abord aux hommes ou engageront-ils
un combat médiatique? Mireille Delmas Marty elle-même
avait pressenti cette dérive possible en décembre
1988. Ne déclarait-elle pas : «Il n'y a pas que le
système judiciaire qui joue un rôle dans la recherche
à tout prix des aveux. Plus les affaires sont médiatisées,
plus l'opinion publique est sensibilisée et plus la désignation
d'un coupable devient nécessaire et urgente. Les enquêteurs
sont donc incités à le trouver pour répondre
à l'irrésistible pression des médias qui ne
leur laissent pas le temps d'exploiter les indices matériels.
Ils n'ont alors que la possibilité de faire «craquer»
un suspect»
Telle a d'ailleurs été la thèse d'Henri Leclerc
tout au long du combat qu'il a mené pour la défense
de Richard Roman avec, bien évidemment, la garde à
vue en ligne de mire. Joël, frère de Richard, est venu
à sa rescousse dans le n° 195 de la revue «Esprit»
à propos de l'affaire de corruption à l'occasion du
match de football OM/Valenciennes. Prenant la défense de
Bernard Tapie, il attaque le régime de la garde à
vue :
«On a vu un procureur avouer avec candeur que la détention
préventive était un moyen de faire pression sur des
témoins afin d'obtenir des aveux, il semble bien que la garde
à vue doive jouer le même rôle. Je propose que
dans la logique consistant à mettre le droit en accord avec
la pratique, on inscrive cette définition de la garde à
vue en tête du code de procédure pénale, lors
de sa prochaine révision : les choses seraient au moins plus
claires»
A propos des témoins Joël Roman enchaînait :
«Qu'on vérifie les horaires des inculpés, c'est
bien. Qu'on vérifie ceux des témoins, c'est déjà
un luxe dans nombre d'affaires criminelles beaucoup plus graves.
Mais qu'on aille jusqu'à user de la garde à vue pour
vérifier les horaires des témoins de témoin,
cela force l'admiration. On ne sait quel parti prendre : soit exiger
que cela fasse jurisprudence et que désormais de tels scrupules
accompagnent tous les témoignages horaires, soit s'émouvoir
d'un principe qu'on pourrait baptiser «la continuité
de suspicion» ou plus sommairement de la mise en garde à
vue systématique de «l'homme qui a vu l'homme qui a
vu l'homme qui a vu l'ours»»
Dans ses interventions au sein de la commission «justice pénale
et droits de l'homme», Henri Leclerc n'a pas dit autre chose.
Le rapport reprend quelques propositions à propos de la garde
à vue. Par exemple : «La présence de l'avocat
devrait être admise comme dans beaucoup de pays européens
dès la garde à vue si la personne arrêtée
le demande» Le rapport suggère même: «la
présence de l'avocat pourrait être la condition de
la valeur probante des aveux recueillis »
C'est durant la rédaction de son rapport que maître
Henri Leclerc est devenu l'avocat de Richard Roman après
avoir, le 30 juillet 1988, soit quatre jours après le meurtre
de la petite Céline Jourdan, mis en garde la presse dans
les colonnes du «Quotidien de Paris» parce qu'elle avait,
dès les premiers jours du drame de La Motte du Caire, écarté
toute présomption d'innocence des inculpés. Intéressés
par cette prise de position qui tombait bien, les deux frères
de Roman avaient aussitôt prié l'avocat d'assurer la
défense de Richard. Avec son acceptation a commencé
un long et exemplaire combat.
Une véritable machine de guerre se met en place. Sa première
action? Une demande de mise en liberté. Le 17 janvier 1989
- Refus, trois jours plus tard, du juge Berti. Cet échec
est contrebalancé par un succès quelques mois après
: maître Leclerc obtient, le 20 septembre 1988, la condamnation
de «Nice-Matin» pour avoir titré «On a
osé demander la libération d'un des meurtriers»
En janvier, la défense de Richard Roman avait déjà
remporté une première victoire médiatique.
Denis Trossero, journaliste au «Méridional»,
obtient l'autorisation du ministère de la justice d'effectuer
un reportage à l'intérieur de la prison des Baumettes
où il rencontre Richard Roman effectuant sa promenade quotidienne
en solitaire. Pour le journaliste c'est un scoop... et pour Roman
l'occasion de faire connaître, après ses abominables
aveux, sa nouvelle ligne de défense :
«Je n'ai pas tué Céline. C'est une machination.
J'ai avoué au terme d'un interrogatoire infernal. A force
d'être accusé comme ça j'ai perdu la raison.
Je suis innocent»
Ce reportage, paru le 25 janvier 1989, dans un quotidien d'opposition
va faire grand bruit. Les parties civiles parlent de machination.
Les parents de Céline aussi. Les magistrats de Digne protestent.
Le coïnculpé de Roman, Didier Gentil, écrit le
26 janvier 1989, depuis sa cellule, une lettre qui parviendra le
30 au juge Catherine Muller. Elle est enregistrée au dossier
sous la cote C 249 :
«Je trouve cela révoltant proteste t-il. De quel droit
laissez-vous entendre Roman par un journaliste pour qu'il me mette
tout sur le dos et que le public me juge aussitôt? Je vais
passer pour un menteur alors que je n'y suis pour rien dans ce meurtre»
II n'est pas possible d'affirmer que la rencontre entre Roman et
un journaliste a été téléguidée.
Denis Trossero du «Méridional» est d'ailleurs
connu pour son honnêteté autant que son professionnalisme.
Et il n'est après tout pas responsable de l'organisation
de la prison qu'il visitait ce jour là. Il raconte lui-même
qu'il ignorait avant d'entrer qu'il allait y croiser Roman. Mais
s'il l'a rencontré ce n'est certes pas par accident. Mais
le journaliste ne peut être tenu pour responsable d'un défaut
de maîtrise du garde des Sceaux de la justice, et de ses services.
Défaut de maîtrise ou accident voulu?
Quoiqu'il en soit, force est de constater que le soupçon
existe, qu'il a été exprimé et que pour l'avocat
de Richard Roman, cette interview a été la bienvenue.
Elle a préfacé une véritable campagne. Ce qui
arrachera au premier avocat de Roman, maître Magnan ce cri
du cœur : «Mes amis, les gens qui m'entourent se disaient
choqués de me voir défendre quelqu'un que tout le
monde pensait coupable»
Avec cette interview de Roman, réalisée dans sa prison,
la première pièce du puzzle est posée. Maître
Leclerc en profite très opportunément pour avancer
que les aveux de son client lui ont été extorqués
durant la garde à vue. Propos immédiatement réfutés
par le procureur chargé de l'affaire, Paul Weisbuch :
«Dans cette affaire que se serait-il passé avec la
présence d'un avocat? Le devoir de l'avocat n 'est-il pas
de dire à son client : attention à ce que vous dites
parce que cela peut vous être préjudiciable. N'importe
quel avocat aurait dit à un cerveau comme Roman : même
si c'est vrai gardez-le pour vous parce que vous risquez perpétuité.
A la limite, l'avocat aurait pu dire : si vous avouez, moi je ne
vous défends pas. Dans la conception de Leclerc, il faut
empêcher l'accusation d'aboutir. Dans l'affaire Roman, il
y aurait peut-être eu des aveux, mais jamais ils n'auraient
été consignés parce que l'avocat l'aurait interdit»
Entre maître Leclerc et le procureur Weisbuch c'est déjà
la guerre...
C'est alors qu'intervient, à La Motte du Caire, la première
reconstitution de la soirée tragique. Les avocats des deux
inculpés sont bousculés, pour ne pas dire molestés.
On se souvient des images fort choquantes de la télévision
montrant l'excellent maître Juramy le visage en sang et le
pauvre maître Leclerc torse nu. Ce qui devait conduire ce
dernier à déposer, le 30 juin 1989, une requête
en suspicion légitime afin d'obtenir le dessaisissement de
la juridiction de Digne. L'avocat estimait qu'après les violences
subies, la justice ne pouvait plus être rendue sereinement
dans ce département des Alpes de Haute Provence. Sa requête
fût rejetée le 30 septembre suivant par le président
de la Cour suprême, Christian Le Gunehec, sous le prétexte
qu'un acte judiciaire, telle une reconstitution, ne pouvait se dérouler
ailleurs que sur les lieux de la commission des faits.
Entre temps «l'Événement du Jeudi» a publié,
sous la plume de Lionel Duroy, un ancien de «Libération»
une contre enquête concluant à l'innocence de Roman.
Le journaliste affirme avoir refait les trajets des deux inculpés
et rencontré les témoins du drame, y compris le père
de la victime. Après la publication de son reportage, le
père de Céline crie au scandale : «il m'a fait
parler et tout ce que j'ai dit a été modifié»
L'avocat de Didier Gentil, maître Henri Juramy était
lui aussi monté au créneau assurant que ce reportage
n'était qu'une manipulation, un montage. Lionel Duroy s'en
défendra, tout en reconnaissant avoir eu en sa possession
tous les procès verbaux du dossier et que son frère,
avocat avait été l'un des collaborateurs du cabinet
de maître Leclerc.
Pour les amateurs d'images, il convient d'ajouter un peu plus tard
l'émission télévisée de Charles Villeneuve
«Le glaive et la balance» diffusée sur M 6. Pour
le père de Céline qui la visionne avant sa diffusion
c'est un nouveau coup monté par la défense de Roman.
Il estime, avec les avocats des parties civiles et celui de Didier
Gentil, qu'il s'agit d'un plaidoyer en faveur de Roman. Car ce reportage
est basé sur l'enquête réalisée par Lionel
Duroy pour «l'Événement du Jeudi» Un référé
visant à l'interdiction de l'émission est refusé
par le tribunal. Elle est finalement diffusée avec cet éloquent
sous titre. «La famille est autorisée à s'indigner»
Maître Leclerc dépose, en mars 1990, un mémoire
à l'intention de la chambre d'accusation de la cour d'appel
d'Aix en Provence qui sera rejeté, comme une troisième
demande de mise en liberté. Intervient alors la création
d'un comité de soutien à Roman fort de 500 signatures.
Cette initiative conforte la famille de Céline dans l'idée
qu'il existe une campagne destinée à faire innocenter
Roman. A ce comité maître Leclerc assurera ne pas coopérer
:
«Je fais ce que je veux, ils font ce qu'ils veulent»
Ce remue ménage médiatisé transforme peu à
peu l'affaire Céline en affaire Roman. Les thèses
de son innocence ou de sa culpabilité s'affrontent par presse
interposée. La gauche s'indigne de l'erreur judiciaire, et,
la droite crie au complot.
Dans ce brouhaha dont il n'a pas lieu de se plaindre Henri Leclerc
dépose un nouveau mémoire qui conduit le nouveau juge
d'instruction désormais chargé du dossier, Yves Bonnet,
à décerner un «non-lieu» en faveur de
Roman. Celui-ci est donc libéré le 22 octobre 1990.
Courte liberté au demeurant puisque le 26 avril 1991 il sera
réincarcéré.
Son avocat ne baissera pas les bras. Pour lui, le combat continue.
Il soulève encore et toujours les conditions de la garde
à vue de son client avant de déposer un pourvoi en
cassation rejeté le 10 mars 1992. Toutefois cette même
Cour lui donne raison, le 17 juin suivant, en décidant le
«dépaysement» de l'affaire pour des raisons de
sécurité publique. Procureur général
auprès de la cour d'appel de Paris, Pierre Truche n'a pas
fait obstacle à cette demande. Lui-même s'apprêtait
à une démarche inverse - mais il n'a pas été
suivi - en demandant que Paul Touvier l'ancien patron du renseignement
de la milice, soit jugé à Lyon où il avait
sévi durant l'occupation nazie et non à Versailles.
Quoiqu'il en soit la cour d'assises de Digne ne traitera pas le
dossier d'assassinat de Céline. Il est transféré
dans une ville chère à Pierre Truche. Grenoble. Il
y a occupé le fauteuil d'avocat général plusieurs
années durant, avant de venir requérir à Lyon
comme procureur général contre Klaus Barbie et de
gagner la capitale pour y occuper la plus haute fonction de la hiérarchie
judiciaire.
Grenoble, pour Henri Leclerc et son client, c'est sinon un gage
de succès du moins une lueur d'espoir. C'est bien connu,
un jury citadin est en général et par nature plus
enclin à la clémence ou au doute qu'un jury rural.
Des jurés qui n'ont pas vécu près des lieux
d'un meurtre sont moins portés à la sévérité
que ceux qui, jour après jour, ont suivi les évolutions
d'une enquête et subi, par proximité, le choc d'un
drame atroce. Des jurés urbains - employés fonctionnaires,
employés ou commerçants - sont plus ouverts à
des courants de pensée nouveaux que l'agriculteur d'un village
retiré, peu porté à la lecture des hebdomadaires
ou de quotidiens de la gauche bourgeoise. Les jurés de Grenoble
devraient donc être plus réceptifs à des campagnes
d'opinion.
Si la délocalisation à Grenoble permettait à
la défense de marquer encore un point, il restait à
démontrer aux jurés qu'en dépit de ses aveux,
Roman ne pouvait être coupable. Une conférence de presse,
organisée par son comité de soutien à quelques
jours de l'audience et fort reprise par les médias, en particulier
par la télévision grenobloise FR 3 se charge de les
mettre en condition. Cette conférence relaye les articles
de la presse acquise à l'innocence. Le trouble qui résulte
de cette mobilisation médiatique constitue sans doute la
plus grande victoire d'Henri Leclerc. En l'obtenant, il tord le
cou à son ennemi de toujours : la garde à vue. Cette
victoire a été saluée dans le dernier livre
de Daniel Soulez-Larrivière (1)
«Seule la restauration dans toute son amplitude de la scène
judiciaire et le travail colossal du meilleur avocat français,
Henri Leclerc, parviendra à arracher l'acquittement de Roman»
Ce coup de chapeau ne vise pas la seule plaidoirie de maître
Leclerc mais bien «le travail colossal» qu'il a effectué
durant quatre années pour Roman, et en fait, contre la garde
à vue. Coup de chapeau qui n'a rien d'étonnant toutefois,
quand on sait que les deux avocats parisiens ont un adversaire commun
: le procureur Paul Weisbuch. Henri Leclerc? Oui, parce qu'il a
toujours soutenu que ce magistrat avait orienté la garde
à vue de Roman vers sa culpabilité. On l'entendra
d'ailleurs critiquer son action, quelques mois après le verdict
innocentant Roman quand il viendra plaider à Lyon, dans un
autre procès, celui en appel d'Etienne Tête, l'ex-trésorier
des Verts poursuivi pour escroquerie. Maître Leclerc qui ne
défendait pas Etienne Tête lors de sa comparution en
première instance devant le tribunal correctionnel de Lyon
est maintenant aux côtés de maître André
Soulier du barreau de Lyon. Après la prestation anti Weisbuch
de son confrère Leclerc, dans l'affaire Etienne Tête,
maître Soulier cessera d'être l'avocat personnel du
magistrat.
Quant à Daniel Soulez-Larrivière, il est l'avocat
de Michel Noir, le maire de Lyon, mis en examen pour recel d'abus
de biens sociaux à la suite des accusations de son gendre
Pierre Botton dans une affaire ouverte par le parquet financier
de Lyon dont Paul Weisbuch était justement le responsable.
Il ne l'est plus depuis. Le maire de Lyon a demandé à
son défenseur de porter plainte contre le procureur Weisbuch
pour forfaiture. Ce qui a déclenché une contre attaque
du magistrat par le biais d'une plainte en diffamation contre Michel
Noir dont il a confié le suivi à l'avocat marseillais
Gilbert Collard devenu depuis le procès de Grenoble l'avocat
du père de Céline ! Le monde judiciaire est décidément
bien petit.
Il existe donc bien à cette époque deux clans, deux
blocs qui se livrent une guerre sans merci. Pas toujours de manière
élégante. Dans cet affrontement, les journalistes
se trouvent à la charnière. Ils sont à la fois
acteurs et objets de manipulation. Or en France, leur statut face
à une enquête judiciaire est ambigu. Si l'on en croit
Daniel Soulez-Larrivière, dans un entretien publié
par «l'Express» du 28 octobre 1993, l'article 11 du
code de procédure pénale impose la discrétion
de toute personne qui concourt à la procédure. Et
l'avocat de préciser : «Mais cela ne concerne pas l'inculpé,
ni la partie civile, ni les témoins, cela n'interdit pas
la publication d'informations qui est de plus en plus préservée
par le secret des sources des journalistes. Seul le juge est en
réalité tenu au silence. Ce texte oblige seulement
les gens qui savent quelque chose à se cacher pour le dire»
Cette analyse n'a toutefois pas empêché l'un des clients
de maître Soulez-Larrivière, l'ancien ministre et député
maire de Lyon, Michel Noir de porter plainte pour violation du secret
de l'instruction. Plainte contre X il est vrai. Elle n'en a pas
moins conduit le doyen des juges d'instruction de Lyon à
mettre en examen une bonne poignée de journalistes pour recel
de violation du secret de l'instruction. Or chacun sait bien que
ceux-ci n'y sont pas tenus. On ne pourrait à la rigueur que
leur reprocher d'être les complices du magistrat et donc les
receleurs de la violation d'un secret incombant à celui-ci
en raison de ses fonctions. Mais si la plainte était contre
X elle n'en avait pas moins été accompagnée
- quelle délicatesse - des coupures de presse, cassettes
radio ou vidéo des titres incriminés, aimablement
remises au juge par la défense de Michel Noir assurée
entre autres par l'efficace maître Soulez-Larrivière.
Cela prouve que les médias français sont dans une
situation plus difficile qu'aux États-Unis où la liberté
d'expression est absolue et sa violation considérée
comme un crime. En revanche, lors d'un procès le rôle
des médias est plus surveillé que chez nous. Écoutons
maître Soulez-Larrivière : «Les juridictions
américaines contrôlent très sévèrement
la parole des avocats et des procureurs, elles délivrent
fréquemment des «gag orders», c'est à
dire des ordres de se taire, et, surtout, elles prennent en compte
le retentissement des médias sur le bon déroulement
d'une affaire ; elles peuvent questionner les jurés pour
savoir s'ils ont été influencés par la presse,
leur interdire pendant le procès de rentrer chez eux le soir,
de regarder la télévision, de lire les journaux ou
de téléphoner. Elles peuvent annuler un verdict de
cour d'assises si elles jugent que la couverture de presse en a
empêché le bon fonctionnement»
En lisant ces lignes, les parents de Céline sont en droit
de se demander si, aux États-Unis, le verdict de Grenoble
n'aurait pas été immanquablement annulé en
raison de sa couverture médiatique, des pressions indirectes
exercées sur les membres du jury, des dysfonctionnements
de l'organisation, du fonctionnement de la cour d'assises soumise
à la pression constante de campagnes d'opinion en faveur
de l'une des parties.
Annuler un verdict, n'est-ce pas cette possibilité qu'envisageait
Henri Leclerc quand il souhaitait qu'existe en France, en matière
criminelle, une possibilité de recours, de second jugement,
un peu comme l'appel est possible après un jugement en première
instance? Et n'est-ce pas ce qu'envisageait plus récemment
le ministre centriste de la justice Pierre Méhaignerie, lors
du débat sur son projet de loi pour une vraie perpétuité.
«Au terme de trente années incompressibles, proposait-il,
un condamné à la perpétuité «réelle»
pourrait faire l'objet d'un nouveau passage devant une cour d'assises,
habilitée à statuer sur une réduction de sa
peine» Comme quoi il existe une sorte de consensus face au
fonctionnement particulièrement brutal, puisque sans possibilité
d'appel, des cours d'assises actuelles.
Ce n'est pas par hasard si le débat autour de la garde à
vue comme celui sur la «perpétuité réelle»
se sont polarisés sur des dossiers d'assassins et de violeurs
d'enfants. D'une part, bien sûr, parce que ces crimes sont
les plus horribles qui puissent se concevoir, mais aussi, d'autre
part, parce que ce type de crimes semble amorcer une inquiétante
progression. Maître Marcel Normand écrit par exemple
:
«Les assassinats d'enfants accompagnés de mois et de
tortures ont été multipliés par 16 d'une décennie
à l'autre. On en dénombrait 5 de 1970 à 1980.
Ils sont passés à plus de 80 depuis 1984, c'est à
dire depuis l'abolition de la peine de mort» (2)
Constatation renouvelée par le même avocat lors d'une
réunion organisée par l'AVI (association pour la défense
des victimes innocentes) devant 2000 personnes, le 26 novembre 1993
à Douvaine en Haute Savoie, cinq mois après le meurtre
à Vacheresse de Jessica, 7 ans. Le procès de son meurtrier,
Michel Sydor, 63 ans, déjà condamné à
la perpétuité pour le meurtre de sa propre femme posera
une nouvelle fois le problème des remises de peines, des
libérations conditionnelles et même de la grâce
présidentielle, pouvoir régalien ! Ce qu'a fait remarquer
au garde des Sceaux, le père de Jessica, Serge Blanc : «si
son meurtrier avait effectivement purgé sa peine, ma fille
serait encore en vie» Il en va de même intérêt
pour Patrick Tissier, 43 ans, violeur et meurtrier de la petite
Karine Volkaert le 13 septembre 1993 à Perpignan. Elle avait
8 ans. Ce meurtre, commis là encore par un récidiviste
a incité Pierre Méhaignerie, ministre de la justice
dans le gouvernement d'Édouard Balladur a déposer
une loi instaurant une véritable prison à vie, une
perpétuité réelle à un moment ou 150
députés réclamaient le rétablissement
de la peine de mort.
Confrontés à cette perpétuité réelle
pour les assassins d'enfants, les membres de la commission de lois,
que préside le RPR Pierre Mazeaud, ont longuement consulté
psychiatres, gardiens de prison, spécialistes du droit pénal
et représentants des familles de victimes. Un psychiatre,
Bernard Cordier assure :
«Aujourd'hui, il n'y a pas d'autres solutions que l'enfermement»
Un second, Henri Giraud précise : «Ce sont des malades.
Libérés, même dans trente ans, ils recommenceront»
Très émue la présidente de la Fédération
des associations pour la défense de la protection des enfants
et le soutien aux familles a recommandé aux députés
d'adopter sans faiblir la loi Méhaignerie et surtout sans
tenir compte de ce que pourrait dire la presse : «Seule le
projet Méhaignerie, a t-elle assuré, permettra de
rendre effective la réclusion criminelle à perpétuité,
évitant ainsi de faire prévaloir la libération
des assassins d'enfants plutôt que la protection de leurs
victimes»
Professeur de droit pénal, Jacques Léauté est
moins catégorique : «Bien qu'il soit inutile de faire
changer le droit, il peut être opportun de modifier la loi,
pour être en harmonie avec la légende qui persiste
à assurer, oubliant la peine de sûreté de trente
ans, que les assassins d'enfants peuvent sortir au bout de dix huit
ans»
C'est oublier que si la gauche a toujours fait croire que cette
peine de trente ans était incompressible il n'en était
rien. La seule inscription d'un détenu à un examen
ou à un concours pouvait diminuer la détention. En
même temps que la loi, devrait changer aussi l'attitude de
la justice à l'égard des familles des victimes. Le
procureur général de Grenoble, Michel Albarède,
l'avait tellement ressenti lors du procès de l'affaire Céline,
qu'il a organisé le 25 novembre 1993, en accord avec l'A.P.E.V.
(aide aux parents d'enfants victimes) que préside Alain Boulay,
une réunion à laquelle participaient une vingtaine
de parents. Il leur a tenu ces propos :
«Les parents des enfants assassinés sont choqués
par la manière dont ils ont été accueillis
par l'institution judiciaire. Ils se sont sentis tenus à
l'écart, n 'ayant pas accès à des pièces
dont beaucoup de personnes et en particulier les journalistes avaient
connaissance. Ils ont eu des informations sur le sort subi par leurs
enfants par l'intermédiaire de la presse, et pour eux c'est
intolérable»
Après avoir admis et trouvé anormal que des juges
d'instruction n'aient jamais reçu les parents des victimes,
le procureur général Albarède continuait :
«Ne devrait-on pas mettre dans le code de procédure
pénale une déclaration des droits de la victime comme
elle existe désormais pour la mise en examen, qui fait obligation
aux juges d'aviser les suspects de leurs droits? » Intention
louable qu'entendra peut-être un jour le législateur,
comme il retiendra peut-être cette suggestion avancée
dans son réquisitoire par Jean Michel Tissot, le 16 décembre
1993, lors du procès à Grenoble d'un autre violeur
et meurtrier d'un enfant de 8 ans : «Pourquoi ne pas faire
de ces meurtres là des crimes contre l'humanité, des
crimes imprescriptibles, même cinquante ans après qu'ils
aient été commis»
Chacun voit bien que derrière ces débats, à
propos de dossiers criminels particuliers, s'opposent des conceptions
divergentes de l'homme et de la société ! Dès
lors les mobilisations idéologiques s'opèrent qui
peuvent aveugler aussi bien les uns que les autres. Et ce n'est
pas parce que le capitaine Dreyfus a été reconnu innocent
sans avoir été rejugé que Roman l'est nécessairement.
La gauche n'a pas le monopole de la lutte contre l'erreur judiciaire
et rien ne serait plus grave que de maltraiter l'équité
pour défendre une thèse. A l'occasion de l'affaire
Céline, la garde à vue est devenue pour la gauche
un tel symbole que l'ancien directeur des affaires criminelles et
des grâces à la chancellerie, Franck Terrier, suivait
pas à pas l'évolution du dossier en téléphonant
chaque soir - j'en fus le témoin - au palais de justice de
Grenoble pour être certain que l'on s'acheminait vers l'acquittement
souhaité en haut lieu de Richard Roman et donc vers la condamnation
symbolique voulue par le gouvernement de François Mitterrand
de la garde à vue.
L’ENFANT
TUÉ
La
Motte du Caire, le 26 juillet 1988, il est plus de 20h30. Nous sommes
dans l'un de ces villages des Alpes de Haute Provence où,
poussé par le Mistral, le parfum de la lavande s'en vient
souvent flâner au chant des cigales. On y a le sang chaud,
peut-être parce que plus qu'ailleurs on est en Provence à
quelques encablures de Sisteron. C'est un village parfois isolé
l'hiver, quand la neige poussée par des vents fripons se
met à tomber. A La Motte on sait ce que travailler veut dire,
quand il faut que, dans les vergers, la récolte de pommes
soit bonne et généreuse.
Chaque année, outre de rares touristes, quelques marginaux
attirés par l'appât des quelques sous de la cueillette
débarquent au village. Regardés comme des bêtes
curieuses, ils ne sont pas trop mal accueillis, parce qu'ils augmentent
quelque peu les maigres recettes des rares commerçants que
les 480 habitants ont bien du mal à faire vivre.
En gros, La Motte du Caire est un village sans histoires. Au soir
de ce 26 juillet de 1988, Gilbert Jourdan n'a donc aucune raison
de trop s'inquiéter de l'absence de sa fille Céline
et de son retard au repas du soir.
Âgée de sept ans, Céline vit avec son frère
au village depuis une quinzaine de jours chez son père qui
depuis son divorce exploite le Bar de la Poste situé sur
l'une des places du village.
Dans un premier temps, Gilbert Jourdan interroge ses voisins, parcourt
les rues, sillonne les alentours au volant de sa voiture, pour finalement
s'en aller, vers 22h30 alerter la brigade de gendarmerie toute proche.
Une première battue est organisée à laquelle
participent les pompiers, la famille et des volontaires alertés
par la sirène de la mairie. Pas de résultat. Le lendemain
matin les recherches reprennent. Même échec. L'inquiétude
grandit quand les sandales de la fillette sont retrouvées
contre un rocher au bord du torrent du Grand Vallon qui longe le
village du côté d'un terrain de camping. C'est non
loin de là que le corps de Céline sera retrouvé
un peu plus tard, à l4h40.
Au cours de ces battues, plusieurs personnes sont intriguées
par le comportement de l'un des volontaires, Didier Gentil, par
sa nervosité, son agitation et ses remarques intempestives.
Ce marginal a été plusieurs fois aperçu la
veille, en compagnie de Céline, notamment vers 20h30 dans
la rue qui longe le café de Gilbert Jourdan, son père.
Les gendarmes de la brigade de la Motte du Caire décident
de l'interroger sur son emploi du temps. Routine. Et là,
ils enregistrent une confession comme on n'oserait pas l'imaginer
dans le plus atroce film d'épouvante. Didier Gentil parle
spontanément. Est-il besoin de préciser que son quotient
intellectuel est voisin de zéro. De toute évidence
il est incapable d'inventer un système de défense
pouvant résister à une instruction digne de ce nom,
c'est-à-dire méticuleuse, voire scientifique. Or il
se trouve que ses aveux sont assortis d'une terrible accusation.
C'est elle qui, quatre ans et demi plus tard, le fera comparaître
avec Richard Roman, devant le jury populaire de Grenoble sous l'inculpation
la plus terrible qui soit : «séquestration, viol commis
sur la personne d'un mineur de moins de quinze ans et par deux personnes,
précédé et accompagné de tortures, assassinat
exécuté avec emploi de tortures ou commission d'actes
de barbarie, meurtre précédé, accompagné
ou suivi d'un autre crime»
De tous ces actes, Richard Roman sera lavé au terme d'une
campagne menée de mains de maître par les meilleurs
spécialistes de l'erreur judiciaire. C'est justement pour
expliquer et faire comprendre au lecteur comment le meurtre de Céline
a failli devenir pour Richard Roman une abominable, insoutenable,
historique, dreyfusarde erreur judiciaire qu'il me faut reprendre
point par point les conditions précises des aveux de Didier
Gentil, puis des siens propres, lorsqu'ils ont été
reçus, enregistrés sur procès verbaux, avant
d'être signés puis renouvelés.
Aveux d'abord de Didier Gentil puisque c'est à partir de
ses déclarations que tout a commencé. Leur lecture
sera dure, éprouvante, insoutenable. Elle n'en est pas moins
indispensable si l'on veut comprendre ce dossier aux multiples facettes.
J'essaierai autant que faire se peut de n'exercer aucune pression
sur le lecteur. A lui de se faire une opinion à partir des
éléments objectifs qui nous furent communiqués
lors de l'instruction puis pendant le procès. Monstrueux,
les aveux des deux inculpés ont été passés
dans les locaux d'une petite gendarmerie de campagne dont on essaiera
plus tard de nous faire croire qu'elle était un local où
l'on ne répugnait pas à utiliser les méthodes
gestapistes. Or ses fenêtres étaient la plupart du
temps ouvertes ; à cette date - je rappelle que nous étions
un 17 juillet - il faisait chaud. Les nombreux journalistes présents
ont ainsi assisté, de l'extérieur certes, à
l'évolution de cette double garde à vue. Jamais -
je les ai tous rencontrés, ils l'ont tous confirmé
- ils n'ont entendu les cris, les plaintes voire les supplications
d'un suspect que l'on «cuisine», que l'on frappe ou
que l'on torture.
L'un d'eux, Jean-Baptiste Dumas, envoyé spécial de
RTL m'a remis ses notes de reportage griffonnées à
chaud lors de son arrivée sur les lieux le mercredi 27 juillet
1988. Je les retranscris ici telles quelles :
«J'arrive à La Motte du Caire, il est environ 17 heures.
Le corps de la petite Céline a été retrouvé
en début d'après midi. Didier Gentil est en garde
à vue depuis la fin de la matinée pour avoir eu un
comportement suspect lors des recherches. Son copain Richard Roman
vient tout juste d'être à son tour mis en garde à
vue. Le village est désert. Un type m'indique qu'ils étaient
bizarres. Des gamins me disent que l'un d'eux était surnommé
«le tatoué», qu'il était là depuis
peu et que c'était un ancien militaire. L'autre était
surnommé «l'indien» Il vit là depuis longtemps
et habite sous un tipi à une dizaine de kilomètres
de La Motte du Caire, à Melve. Je monte vers Melve, et arrive
à proximité. Je trouve un type qui me parle d'eux
en m'expliquant que «l'indien» élève des
chèvres. Je fais au micro une interview de lui. Il est 20
heures ; je redescends au village. Je rencontre le procureur Weisbuch,
un colonel de gendarmerie et le capitaine Perrot de Forcalquier.
Ils me disent à mots couverts que Gentil a avoué mais
pas l'autre. Je reste un moment puis je vais dormir à Sisteron.
Le lendemain matin à 9 heures, je suis devant la gendarmerie.
Vers 10 heures, la mère de «l'indien» arrive
et reste environ une heure dans les locaux de la gendarmerie. Les
enquêteurs de la section de recherche de la gendarmerie d'Aix
en Provence arrivent. Ils viennent aider les gendarmes locaux»
Les souvenirs de mon confrère Dumas sont précis. Je
note que la cour d'assises n'a pas requis son témoignage
pas plus que ceux des autres journalistes présents sur les
lieux après le crime, notamment lors de la matinée
du 28 juillet, celle qui suit l'arrestation de Gentil.
«Tout est calme autour de la gendarmerie écrit Jean-Baptiste
Dumas. Les volets sont fermés, mais les fenêtres ouvertes.
Pas de bruit, on n 'entendras de voix, pas de cris, pas de machine
à écrire. L'après midi est calme mais tendue.
Il y a quelques allées et venues autour de la gendarmerie.
Vers 20 heures, un gendarme me dit qu 'un transfert de justice va
être effectué vers 20h30. Je vais me planquer dans
un champ de pommiers à proximité de l'endroit où
la gamine a été retrouvée. Gentil se met à
genoux, simulant un acte sexuel avec le mannequin, et le gendarme
se trouve à l'opposé de Gentil, comme s'ils prenaient
le mannequin en sandwich. Une demi-heure après, c'est au
tour de Roman d'arriver. Lui aussi se met à genoux de l'autre
côté avec toujours ce gendarme. Je suis intrigué.
Quand tout est fini, je vais voir un gendarme d'Aix en Provence
que je connais. Il me dit que Roman a avoué. Je lui demande
le pourquoi de ces étranges positions à genoux avec
le gendarme. Il me répond que les deux hommes ont violé
Céline tous les deux en même temps et me précise
qu 'ils lui ont mis sa culotte dans la bouche pour ne pas l'entendre
crier, et qu'elle est sans doute morte étouffée avant
d'avoir le crâne fracassé. Le lendemain Richard Roman
et Didier Gentil sont sortis de la gendarmerie, le visage découvert.
Ils sont montés à bord de véhicules de gendarmerie
en direction de Digne. Roman avait un pantalon sombre et sale, une
chemise claire ; il était débraillé et regardait
tout fixement avec ses yeux bleu clair. Gentil, lui aussi tout débraillé,
avait l'air paumé»
Témoignage important puisque la thèse de l'un des
suspects, qui se rétractera après son inculpation
dès qu'il sera interrogé par le juge mais cette fois
sur le fond, sera d'affirmer au contraire qu'il a été
torturé et frappé jusqu'à ce qu'il craque,
avoue et signe ses aveux. Thèse qu'il reprendra tout au long
de son procès. Vrai ou faux? Un retour en arrière
devrait nous permettre d'y voir plus clair. Il est 14 heures, le
27 juillet 1988, lorsque Didier Gentil interrogé depuis 12h30
par le maréchal des logis chef Roger Ferber, commence à
mettre en cause le garçon qui l'a récemment hébergé
à quelques kilomètres du village de La Motte du Caire
: Richard Roman. Par des propos qui, certes varieront au fil des
heures et des jours et varieront encore quatre ans et demi plus
tard, mais qui toujours, même durant le procès, tendront
à minimiser son rôle, Gentil ne reconnaissant pour
son compte que le seul viol de Céline et jamais son meurtre.
Sa première déposition comporte 13 feuillets. Elle
a été enregistrée sous le n° 291/88 sur
un procès verbal de garde à vue de la gendarmerie
de Forcalquier. La voici... dans toute son horreur judiciaire, telle
qu'elle fut exposée à l'intention des jurés
de la cour d'assises :
«Je tiens, dès à présent, à vous
dire toute la vérité sur cette affaire et plus particulièrement
sur la disparition de Céline. Dimanche soir, Roman m'a fait
savoir qu'il avait l'intention de créer une secte spécialisée
dans la magie et le sexe. C'est à partir de ce moment là
qu'il a considéré que la petite Céline, qu'il
avait vue à deux ou trois reprises, était sa propriété.
Il avait l'intention d'effectuer un sacrifice avec elle. Il voulait
violer cette enfant. Je ne sais pas si, dans sa tête, il avait
prévu de la tuer par la suite. Ce que je peux vous dire,
c'est que son choix s'est immédiatement porté sur
la petite Céline, je ne sais pour quelles raisons. A plusieurs
reprises depuis dimanche, Richard Roman m'a parlé de Céline»
Gentil poursuit, sans que l'officier de police judiciaire le presse
de questions :
«Il a été décidé d'un commun accord
entre Richard Roman et moi les faits suivants : je devais «sortir»
Céline du bar pour la conduire à l'intérieur
de la voiture de Richard, à savoir une R5. Richard Roman
devait nous récupérer et nous conduire dans un champ
de pommiers situé avant la passerelle. Je précise
que Richard ne possède pas de véhicule automobile
; il devait s'en procurer un si l'occasion se présentait.
C'est ce qu'il a fait hier au soir car sa mère est venue
lui rendre visite. C'est pour cette raison qu'il avait une R5 hier
soir. Hier soir vers 20h30, j'ai comme convenu, pris la petite Céline
par la main pour aller place des Marronniers ; Je suis arrivé
sur cette place à 20h41. J'en suis certain car un des deux
jeunes qui étaient présents sur cette place m'a donné
l'heure. Je suis resté avec Céline et ces deux jeunes
gens environ dix minutes. Après, les deux jeunes gens sont
partis et je me suis donc retrouvé seul avec la petite Céline.
J'attendais Richard qui devait venir me récupérer
avec la petite, à quelques dizaines de mètres de la
place des Marronniers, à hauteur d'une villa blanche. J'ai
donc quitté la place avec Céline. J'ai pris la petite
route pour me rendre à hauteur de cette villa. Arrivé
sur les lieux, j'ai constaté que Richard m'attendait dans
une R5 que je n'avais jamais vue. J'ai pensé qu'il s'agissait
de la voiture de sa mère qui devait lui rendre visite. Nous
sommes donc montés, Céline et moi, dans le R5 conduite
par Richard et avions les emplacements suivants : Richard conduisait,
Céline se trouvait sur mes genoux et moi j'occupais la place
du passager avant droit. Nous nous sommes rendus directement vers
le champ de pommiers sans faire aucun détour»
Lues par le greffier devant la cour d'assises les déclarations
de Gentil deviennent maintenant si monstrueuses que l'on imagine
mal des gendarmes en train d'y ajouter ou d'y retrancher quoi que
ce soit. On atteint là, dans l'abomination, des sommets qui
rendraient presque héroïques ceux qui, par délégation
du pouvoir judiciaire, et en leur qualité de gendarmes, d'officiers
de police judiciaire, ont le devoir d'enregistrer sans détourner
la tête, l'effroyable relation d'un crime proprement cauchemardesque.
Le lecteur me pardonnera de poursuivre la transcription fidèle
de ses aveux, tels que nous dûmes, à notre tour, les
subir lors de cette audience de la cour d'assises de Grenoble. Voici,
selon Gentil, ce que fut le voyage de la petite Céline au
bout de l'enfer :
«Richard s'est garé, je suis descendu avec Céline,
nous l'avons conduite dans un champ, plus exactement un verger.
Céline était toujours en confiance. Richard et moi,
nous nous sommes mis entièrement nus devant l'enfant qui
ne semblait pas comprendre ce qui allait arriver. Devant elle, Richard
et moi avons commencé à nous caresser, puis j'ai sodomisé
Richard devant l'enfant qui était assise dans la même
allée que nous. J'ai éjaculé dans l'anus de
Richard pendant que ce dernier commençait à caresser
Céline sur l'ensemble du corps. Je précise qu'à
ce moment précis Céline était habillée,
mais le tee-shirt retroussé jusqu'au niveau des seins. D'après
mes souvenirs, Céline ne portait plus de culotte. Après
avoir éjaculé, je me suis retiré et j'ai vu
Richard qui retournait Céline pour la mettre à plat
ventre, se coucher sur elle pour la pénétrer. Quelques
minutes après il s'est retiré et m'a dit d'un ton
agressif «Vas-y. A toi» Je ne m'attendais pas du tout
à cette réaction et je me suis retrouvé dans
une situation difficile pour moi et j'ai refusé de commettre
cet acte. C'est alors que pour me remonter Richard m'a proposé
de fumer un «joint bien tassé», j'ai accepté
et j'ai eu une réaction bizarre. En effet, le mélange
d'alcool et de drogue a sur moi des conséquences très
néfastes, je ne sais plus ce que je fais. A ce moment là
Richard et moi étions toujours nus, la petite Céline
à plat ventre, son tee-shirt relevé. J'ai retourné
l'enfant sur le dos, elle gémissait et avait quelques râles.
Je me suis alors couché sur elle, ma verge en érection.
Je me suis frotté contre son sexe, sans pourvoir affirmer
si je l'ai pénétrée ou non. Par contre, je
me souviens avoir éjaculé sur son bas ventre et ses
cuisses. Prenant conscience de mon acte, il m'a semblé que
je décuitais d'un coup. J'ai réalisé que je
pensais enculer Richard alors qu'en réalité je me
trouvais sur Céline. Je me suis relevé, j'ai remis
le caleçon tâché que vous avez saisi, le reste
de mes vêtements et mes chaussures. N'arrivant pas à
les lacer, je suis resté un petit moment avec Richard et
Céline le temps d'attacher mes chaussures. La petite Céline
était toujours sur le dos et gémissait toujours dans
des sanglots. Un dégoût et une honte horrible s'étant
emparés de moi après la gravité de mes actes,
j'ai eu un besoin de vomir. Je suis parti en courant en direction
de l'eau où j'ai vomi. J'ai ensuite enlevé mon tricot
et je me suis rincé en m'aspergeant d'eau. Je me suis habillé
et suis retourné sur les lieux. J'ai été très
surpris car l'enfant et Richard étaient absents. J'ai scruté
le champ et je n'ai pas remarqué leur présence. Au
même moment, j'ai vu Richard revenir de la rivière
en me disant «elle s'est échappée» J'ai
décidé alors de rejoindre le bar où demeurent
les parents de Céline en essayant de rester le plus calme
possible, tout en ayant toujours en moi cette rancœur et ce
dégoût»
Il était 20h30 ce 27 juillet lorsque Didier Gentil a signé
ces aveux terribles, insoutenables, dont la mère de Céline
a dû héroïquement supporter la lecture. Elle l'a
fait le plus longtemps possible avant de perdre conscience et d'être
transportée hors de la salle d'audiences.
Les déclarations de Gentil, on le voit, ne peuvent en aucun
cas avoir été suggérées et encore moins
dictées par les gendarmes. D'ailleurs, en ce qui le concerne,
elles correspondent aux constatations de l'enquête. D'ailleurs,
pendant le procès, Gentil ne dit pas que ses aveux lui ont
été extorqués. Et jamais il ne prétendra
avoir été influencé ou malmené. Peut-on
imaginer des gendarmes, des individus normaux, dicter ou simplement
inspirer un tel récit? Pourtant les gendarmes et l'autorité
judiciaire qui les commande vont se retrouver accusés d'avoir
proprement torturé un suspect Richard Roman et pas l'autre,
Didier Gentil, avant que l'un et l'autre soient déférés
devant le juge d'instruction après la garde à vue.
Pour l'heure, dans la gendarmerie, l'horreur continue avec ces autres
précisions de Gentil :
«Lorsque j'ai pénétré Céline elle
a commencé à se débattre et à crier.
Je pense me souvenir qu'elle disait «non, je ne veux pas»
Alors qu'elle criait et se débattait Richard la maintenait.
Il était sur le côté. D'une main il lui tenait
les deux bras et avec l'autre bras il l'a empêchée
de crier. Ses cris étaient étouffés par la
main de Richard. Mais cette méthode n 'était guère
satisfaisante car on entendait toujours crier la gosse»
C'est à cet instant que, sur interrogatoire des gendarmes,
Gentil donne une nouvelle version des faits survenus après
qu'il soit allé vomir :
«Je suis remonté vers Richard qui tenait toujours l'enfant
mais dans une position différente. Il la maintenait plaquée
contre lui à l'aide d'un bras et avec l'autre main il l'empêchait
de crier, il était assis et la gamine allongée contre
lui. Céline ne pouvait pas se débattre car l'emprise
de Richard était trop forte. Richard m'a demandé ce
que je venais de faire et je lui ai répondu que j'avais vomi
et que je m'étais débarrassé du slip de Céline.
Richard était en érection. Il m'a dit qu'il voulait
passer dessus. Il était très excité. Céline
était en larmes. Richard m'a demandé de retourner
l'enfant, de la tenir et de l'empêcher de crier. C'est ce
que j'ai fait. Il a enlevé son pagne, il lui a écarté
les fesses et il l'a sodomisée. Pour vous expliquer notre
position à ce moment là, je dois dire qu'avec Richard,
nous nous faisions face et Céline se trouvait entre nous.
Pendant que Richard la sodomisait, je l'empêchais de crier
en lui plaquant la tête contre mon torse. La gamine râlait,
gémissait sous les coups de sexe de Richard. Je dois dire
que Richard est fortement membré et qu'il a pénétré
l'enfant sans préliminaires, d'un seul coup. De ma position,
je voyais son sexe aller et venir dans l'anus de la fille. Il n'a
d'ailleurs pu la pénétrer entièrement. N'arrivant
pas à éjaculer, Richard a sorti son sexe et violemment
m'a dit qu 'il n 'y arrivait pas. J'ai lâché Céline
qui était semi-inconsciente. Richard et moi nous nous sommes
disputés car je n'avais pas apprécié la façon
dont il l'avait pénétrée. Je le répète,
il s'est défoulé comme une bête sur la gamine.
Pour ma part, je reconnais que j'ai pénétré
Céline mais pas avec un tel acharnement. Je dois dire également
et cela sur votre demande, que pendant son acte, Richard poussait
des petits cris de jouissance. A propos de cette dispute, j'ai dit
à Richard qu'il y avait viol et viol, et que je n'avais pas
apprécié sa façon d'agir. J'ai dit à
Richard que j'étais dégoûté et qu'il
fallait partir. Il m'a dit : «on ne peut pas la laisser comme
ça» Je lui ai demandé ce qu 'il voulait dire
en lui demandant s'il n'avait quand même pas l'intention de
la tuer? Richard m'a répondu qu'elle pouvait par la suite
nous dénoncer car elle nous connaissait bien. C'est à
cet instant qu'il a sorti de sa poche de pantalon une cordelette
noire pour lier les bottes de paille. Il s'agit d'une corde en plastique.
Richard a pris Céline dans ses bras. L'enfant était
évanouie. Ses vêtements étaient retroussés
sur sa poitrine. Je n'ai pas remarqué de saignements au niveau
du vagin et de l'anus. Tous deux, c'est-à-dire Roman et moi
avons traversé le ruisseau pour nous rendre sans doute dans
un lieu plus éloigné. C'est Richard qui portait la
gamine. Arrivés de l'autre côté de la rivière,
Richard a posé l'enfant sans connaissance sur le sol. Celui-ci
était composé exclusivement d'herbe. Richard a passé
la corde que je vous ai décrite ci-dessus autour du cou de
Céline sans faire de nœud. Il a serré violemment,
et j'ai remarqué d'ailleurs que ses muscles (biceps) étaient
contractés. Cette strangulation a duré entre trente
secondes et une minute. L'enfant a râlé et a effectué
quelques sursauts. Richard était à genoux à
côté de l'enfant lorsqu'il a pratiqué cet étranglement.
Je pense qu'il devait avoir un point d'appui sur le corps de la
jeune fille. Il me semble que ça devait être l'un des
deux genoux. Je suis resté sans réaction et j'ai assisté
à la scène sans rien dire. Aussitôt après,
Richard a repris de nouveau la gamine dans ses bras pour la déposer
ailleurs. Il voulait dissimuler le corps. Il a trouvé cet
endroit dans une zone située à cinq ou six mètres
du lieu où il venait de l'étrangler. Il a donc déposé
délicatement Céline sur le sol. Je ne me rappelle
plus dans quelle position l'enfant a été déposée.
Richard s'est relevé et s'est emparé d'une pierre
assez grosse. J'ai pensé dans un premier temps que cette
pierre le gênait pour dissimuler le corps. Mais il s'est approché
de la fillette, il a porté la pierre au niveau de son thorax,
et l'a jetée sur le crâne de l'enfant qui se trouvait
en contrebas par rapport à la position de Richard. J'ai entendu
un bruit sourd et du sang est apparu sur la tête de Céline.
Les membres de l'enfant ont bougé mais je pense que cela
a été provoqué par le choc. Aussitôt
après, Richard m'a demandé de ne pas rester là,
planté comme ça, et de l'aider à camoufler
le corps de Céline. J'ai attendu qu'il se baisse pour ramasser
des branchages secs pour m'enfuir en courant, car je ne pouvais
plus supporter cette situation. Je suis reparti par la passerelle.
La pierre qui a servi à briser le crâne de Céline
était de forme carrée, assez volumineuse. Je ne suis
pas en mesure d'identifier formellement cette pierre, mais je peux
vous montrer des pierres identiques à celle utilisée
par Richard. Après les faits, je me suis rendu en courant
auprès de la fontaine à côté du garage
Citroën, où je me suis un peu rafraîchi avant
d'aller sur la terrasse du Café de la Poste. Je me suis rendu
à cet établissement en essayant de reprendre un peu
de mon calme. J'ai consommé une pression, mais j'écoutais,
en m'efforçant d'être calme, ce que disaient les gens
du café. Je dois dire que j'étais encore sous le choc»
A cette lecture publique devant les jurés de la cour d'assises
nous avons tous le souffle coupé. Pris de nausée,
les plus jeunes de mes confrères doivent quitter la salle.
Dans leur box, les deux accusés gardent la tête basse.
Ils ne manifestent aucune émotion. Tout cela semble leur
paraître étranger. Et pourtant, à 9hl5 du matin,
le 29 juillet 1988, Didier Gentil avait bien signé ces autres
précisions avant d'être emmené sous bonne escorte
au palais de justice de Digne où l'attendait le procureur
de la République.
Pour bien comprendre ce qui va suivre, il me faut rappeler que Gentil
passe aux aveux le 27 juillet à 12h30 et convoqué
par les gendarmes Richard Roman ne s'est présenté
à eux que trois heures après, vers 15h30. Il est entendu
par le maréchal des logis chef Jean-Jacques Ramette, assisté
de l'adjudant chef Jean-Marc Candeil et du maréchal des logis
chef Gérard Commandré, venus tous deux en renfort
d'Aix en Provence.
Après les formalités d'usage, l'audition de Roman
commence à 15h45 par son emploi du temps dans les heures
qui ont précédé la disparition de Céline.
Rien que de très banal. Roman raconte la vie qu'il mène
dans une ferme presque abandonnée, qu'il rénove tout
en élevant un troupeau de chèvres. De Didier Gentil,
il ne dit que du bien. Leurs rapports homosexuels qu'il finira par
reconnaître. Il les nie. Son emploi du temps? Certes, il ne
variera jamais, mais il cadre mal avec la déposition de certains
témoins.
Dans ce premier procès verbal d'audition versé au
dossier sous la cote Dl 211, Richard Roman affirme ne pas avoir
rencontré Didier Gentil le soir de la disparition de Céline.
Puis, aux gendarmes qui le pressent de questions il fournit un récit
assez étrange. Il est alors près de 20 heures : «Lorsque
j'ai rencontré Didier comme je vous l'ai déjà
indiqué, j'ai la certitude de l'avoir rencontré mais
je ne sais pas où. Il devait être accompagné
d'une petite fille. Ce qui est possible c'est qu'avec Didier, j'ai
eu des relations sexuelles ce soir là. Et j'ai également
la certitude d'avoir été présent au moment
du drame»
Interrogé de nouveau ce même jour à partir de
23 heures, Roman termine cet interrogatoire par des mots qui seront
pour lui lourds de conséquences même si, on le verra
plus tard, il affirmera qu'ils lui ont été dictés
par les gendarmes :
«Je demande pardon à Céline et à ses
parents et à Dieu et au nom de ma mère. Je n'ai pas
l'esprit tourné, j'étais lucide. Je demande pardon
à la famille de Céline, je ne suis pas fou. Je n'ai
rien à ajouter sur le meurtre. J'ai tué et j'ai tué
et j'ai violé Céline. Je n'ai rien à ajouter
à ce meurtre»
Le temps passe, la nuit passe, puis toute une matinée. Enfin,
à 14 heures, le 28 juillet 1988 Roman signe le cinquième
feuillet de ses aveux - qui en comportent 12 - comme il signera
le suivant entamé à 16 heures après deux heures
de repos, puis un autre à 19h45, après quarante minutes
de répit durant lesquelles il sera visité par un médecin,
le docteur Jullier avant de participer de 21h40 à 22hl0 à
une reconstitution des faits sur les lieux du drame.
Ces aveux sont, eux encore, lourds de conséquences. Car Roman
fournit des détails qui correspondent pour une bonne part
à ceux déjà enregistrés, qu'a livré
Didier Gentil. Des aveux sur lesquels Roman reviendra dès
le 29 juillet dans le bureau du juge d'instruction devant lequel
il sera présenté, mais dont il faut bien s'imprégner,
si l'on veut comprendre l'évolution du procès :
«Ce soir là, je cherchais mon ami Didier. Pour ce faire
j'ai repris la direction de Sisteron où, après avoir
passé le pont métallique, j'ai pris un chemin à
gauche en direction du camping municipal. A 150 mètres de
là, j'ai aperçu Didier lequel marchait à pied
en direction du camping. Il se tenait du côté droit
et il donnait la main à la petite Céline qu'il avait
pris soin déplacer côté fossé. Arrivé
à sa hauteur, je me suis arrêté et Didier a
pris place à l'avant, du côté passager. Céline
s'est assise sur ses genoux. Dès que mes passagers ont été
dans le véhicule, j'ai continué en direction de la
menuiserie. J'ai stationné mon véhicule à l'entrée
d'un champ de pommes. Nous sommes descendus et nous nous sommes
dirigés vers la rivière distante de dix mètres
environ. Arrivés au bord de celle-ci, Didier et moi nous
nous sommes déshabillés. La petite Céline en
a fait de même sans que nous disions quoi que ce soit. Je
ne me souviens pas par où elle a commencé, il me semble
par le haut, mais je n 'en suis pas sûr. Le fait de voir Céline
nue à déclenché chez nous une réaction
qui a fait que nous nous sommes précipités sur la
gamine, nous l'avons enlacée et comme elle n'a pas eu le
temps de se débattre nous n'avons pas été obligés
d'employer la force ou du moins de la brutaliser»
Il me faut, à cet instant, faire un arrêt image sur
cette petite phrase de Richard Roman : «... le fait de voir
Céline nue a déclenché chez nous une réaction...»
Car, on le verra par la suite, elle n'est pas sans importance. A
ce stade des aveux de Richard Roman, force est de constater qu'ils
ont beaucoup de points communs avec ceux de Didier Gentil, avec
cependant des précisions que ce dernier n'a pas fournie notamment
sur l'anatomie de son ami et ses réactions sexuelles. Voici
la suite de son horrible récit : «Nous sommes tombés
au sol tous les trois liés et très rapidement nous
l'avons pénétrée par le vagin ou par l'anus.
Ces deux pénétrations ont été simultanées
et c'est à ce moment là que Céline a perdu
connaissance. Je pense que c'est sous la douleur. Personnellement,
j'ai éjaculé. En ce qui concerne Didier, je ne peux
rien dire, hormis le fait qu'il s'est retiré le premier.
Mon acte sexuel terminé, je me suis relevé, j'ai ramassé
le corps et quatre à cinq mètres plus loin je l'ai
déposé à terre. Durant ce temps, Céline
n'a pas repris connaissance. J'ai alors pris une grosse pierre découverte
à proximité et j'ai jeté celle-ci sur la tête
de Céline. Ce dernier geste accompli, je me suis sauvé
à savoir que je suis remonté au véhicule et
suis parti chez moi. En ce qui concerne Didier, je ne sais pas où
il a été. En effet j'ai perdu celui-ci des yeux au
moment où il s'est relevé»
Sur interrogation des gendarmes, Roman donne ces précisions,
choquantes certes, mais importantes en raison des détails
apportés par l'intéressé sur son anatomie et
le vocabulaire employé : «Avant de pénétrer
Céline, j'étais en érection totale, soit une
longueur de 25 centimètres, mais je n'ai pénétré
Céline que de dix centimètres. Cela m'a suffi pour
atteindre l'orgasme»
Pratiqués beaucoup plus tard les examens des légistes
confirmeront bien des détails fournis par les deux suspects.
Mais il faut noter que c'est à cet instant, lors d'une interruption
dans l'interrogatoire, que Richard Roman a reçu la visite
du Dr Christian Jullier, psychiatre désigné par le
procureur de la République, et dont la déposition
lors du procès sera très importante puisqu'elle a
bien failli faire capoter la construction du système de défense
mis en action par les défenseurs de Roman.
Peu après, le procureur de la République, Paul Weisbuch
décide une reconstitution sur les lieux, photographiée
et filmée par les hommes de la brigade des recherches d'Aix
en Provence. Ce moment capital de l'instruction sera un élément
décisif du procès. Au lieu d'apporter de l'eau au
moulin de l'accusation, il sera au contraire une pierre dans l'édifice
patiemment construit par la défense. Enfin, au retour nocturne
de cette reconstitution, vers l heure du matin, Richard Roman apporte
les détails suivants :
«J'ai pris une grosse pierre que je lui ai violemment projetée
de ma hauteur. Et j'ai volontairement visé la tête.
Ensuite j'ai soulevé le corps de la fillette et j'ai porté
le cadavre en bordure de la rivière dans l'eau. Il y avait
une quinzaine de centimètres d'eau. Dans un premier temps
je l'ai posée, puis je l'ai retournée pour lui laver
le visage car elle saignait abondamment de la tête. C'est
là que j'ai vu qu'elle était morte car il n'y avait
pas de bulles d'air qui s'échappaient de sa bouche. De l'endroit
où j'étais, j'ai aperçu un endroit propice
en se sens qu'il y avait beaucoup de branchages. Cet endroit se
situait à une dizaine de mètres sur la rive opposée
en amont. J'ai repris le corps de la gamine et me suis dirigé
vers l'endroit repéré. J'ai franchi un talus d'environ
cinquante centimètres de haut et j'ai posé l'enfant
dans les branches. Je l'ai recouverte de branchages situés
à proximité immédiate et que j'avais repérés.
Il s'agissait de branches plutôt sèches. J'ai réparti
les branches sur tout le corps mais ce camouflage permettait néanmoins
d'apercevoir des parties du corps. A un mètre j'avais remarqué
un sac, type sac d'engrais et je l'ai pris pour recouvrir le tout.
Avec ce camouflage supplémentaire on ne voyait plus le corps.
J'étais toujours nu et comme j'avais du sang sur moi, sur
le torse, sur le ventre et sur les mains, je me suis aspergé
d'eau dans le ruisseau pour enlever le plus gros. J'ai rejoint la
voiture, pris mes vêtements qui se trouvaient sous la voiture
et j'ai regagné mon domicile» Livrés par l'intéressé,
le 29 juillet à 3 heures du matin, ces détails sont
jusque-là inconnus des gendarmes. Gentil ne leur en avait
pas parlé. Puisque Richard Roman a été acquitté
il faut donc admettre que ce sont eux qui ont, imaginé ce
scénario, l'ont tapé à la machine et l'ont
fait ensuite signer à Roman sous la contrainte. De même
un peu plus tard, à 7 heures du matin, pour le scellé
n°12 des pièces à conviction :
«La pierre que vous me présentez est bien celle dont
je me suis servi pour écraser la tête de Céline.
Je la reconnais formellement»
Puis de 8 heures à 9 heures du matin, Richard Roman bénéficie
d'un nouveau temps de repos, avant d'être conduit à
9h30 au palais de justice de Digne, un quart d'heure après
Didier Gentil son complice déclaré.
Si, tout au long de ces pages, j'ai presque retranscrit intégralement
les aveux précis des deux hommes, dans toute leur horreur,
c'est qu'ils présentent bien des similitudes. Pour douter
de leur réalité, tout au moins en ce qui concerne
Richard Roman, il faudrait croire que, depuis la pièce où
il se trouvait, il a tout entendu des aveux de Gentil, puisqu'il
les a repris à son compte, ou bien admettre qu'ils lui ont
été purement et simplement dictés par des gendarmes
informés par on ne sait qui et, de surcroît complètement
désaxés.
Or les avocats de Roman ne se sont justement pas privés,
durant le procès, de suggérer, à la grande
indignation des représentants de la maréchaussée
appelés à témoigner, que ceux-ci ont été
les auteurs des aveux signés par Richard Roman. Les mêmes
défenseurs n'ont pas ménagé davantage le procureur
de la République Paul Weisbuch sous l'autorité et
souvent en présence duquel toute l'enquête fut menée.
C'est d'ailleurs devant lui, après la reconstitution du crime,
que Richard Roman, après s'être reposé, déclare
à l heure du matin : «J'ai participé il y a
quelques heures sous la direction de Monsieur le procureur de la
République à la reconstitution des faits. J'ai indiqué
à ce magistrat que j'avais laissé le corps de la fillette
à 2 ou 3 mètres, peut-être 4 ou 5 mètres
sur la rive gauche en regardant l'amont du ruisseau. Cette déclaration
est incomplète : en effet, après le viol collectif,
j'ai tiré le corps de la fille sur quelques mètres
et je lui ai volontairement écrasé la tête avec
une pierre d'une grosseur semblable à celle dont Monsieur
le procureur de la République a prescrit la saisie. J'ai
envisagé rapidement dans mon esprit de dissimuler le corps
sous les pierres mais vu l'énormité de la tâche
j'ai refusé. Auparavant, alors que la gamine était
toujours inconsciente et avant que je lui fracasse la tête
avec un caillou, j'ai entrepris de la rhabiller. Pour ce, je me
suis rendu à côté de la voiture pour récupérer
ses vêtements»
Je dois ici préciser que ce texte là n'a pas été
lu devant les jurés de la cour d'assises, alors même
que la famille de Roman avait entrepris d'enfoncer la gendarmerie
et le parquet. Dans le numéro de mai 1993 de la revue «Esprit»,
dont il est l'un des rédacteurs en chef, Joël Roman,
le frère de Richard réitère les accusations
lancées pendant le procès :
«On est, dans cette histoire, fondé à se demander
qui prononce pour la première fois le nom de Roman, auquel
tous s'accrocheront par la suite»
Parlant des «élucubrations de Paul Weisbuch qui font
des ravages», il conclut : «Et c'est à de pareils
personnages que l'on voudrait que l'on fît confiance»
Poussant sa logique jusqu'au bout, Joël Roman va jusqu'à
regretter que des poursuites n'aient pas été engagées.
Le fait est que si, réellement un magistrat et des officiers
de police judiciaire ont commis de telles fautes, on ne voit pas
comment, dans un État de droit, elles n'auraient pas été
poursuivies pour être sanctionnées.
L’INSTRUCTION
Digne,
le 29 juillet 1988, en fin de matinée : après les
aveux de Didier Gentil et Richard Roman, c'est le début de
l'une des instructions les plus longues et les plus décousues
qu'aie jamais connue la justice française. Elle va durer
vingt sept mois, dans un climat tendu, malsain, peu propice à
la sérénité des débats. Elle entraînera
des centaines d'auditions de témoins, deux reconstitutions
agitées, des dizaines d'analyses et d'expertises peu convaincantes.
Ces témoins, ces experts nous les retrouverons pendant les
trois semaines d'audiences du procès de Grenoble, quatre
ans et demi après le massacre de la petite Céline.
C'est Marc Magnon, habituellement juge pour enfants, que le président
du tribunal de grande instance, Pascal Vincent, désigne ce
matin là pour instruire l'affaire, en remplacement du juge
habituel, Catherine Muller, qui est en congé. Comme le veut
la loi, le juge Magnon n'interroge pas les deux hommes qu'on lui
présente. Il leur signifie seulement leur inculpation pour
: «séquestration, viol aggravé et accompagné
de tortures ou actes de barbarie, assassinat»
Pendant ce temps, dans la cour du tribunal, les traits tirés
et des sanglots dans la voix, le procureur Paul Weisbuch lit à
l'intention des journalistes présents le communiqué
du parquet confirmant l'inculpation de Roman Richard, vingt sept
ans, agriculteur, et Gentil Didier, vingt cinq ans, ouvrier agricole.
Il en profite pour remercier publiquement les gendarmes qui ont
suivi cette enquête avec «cœur et intelligence»
Visiblement bouleversé, il précise : «Chacun
avait à l'esprit l'immense douleur des parents de Céline»
A cette date, la presse, y compris «Libération»,
se déchaîne et titre dans tout l'hexagone : «les
monstres», «les barbares» On ne trouve pas de
mots pour qualifier ce crime.
Même le prêtre qui officie lors des funérailles
de Céline ne peut retenir sa colère : «Pardon,
Seigneur, d'avoir donné à ces monstres le titre d’hommes»
La politique s'en mêle aussi. Yann Piat, alors député
du Front National du Var et depuis assassinée en février
1994, annonce sur un tract à en-tête de l'Assemblée
Nationale qu'elle déposera en septembre une proposition de
loi prévoyant le rétablissement de la peine de mort
pour les assassins d'enfants.
Dans une interview, Jean-Claude Gaudin, président du Conseil
Régional Provence Alpes Côte d'Azur, ne dit pas autre
chose : «Dans un cas comme celui-ci, il est regrettable que
la peine de mort ait été abolie» A Nice, trois
mille personnes défilent derrière leur maire de l'époque,
Jacques Médecin, pour demander le rétablissement de
la peine capitale. Un peu partout dans les petits villages de France
et surtout dans le Var et les Bouches du Rhône circulent des
pétitions dans le même sens qui vont très vite
recueillir près de cinq cent mille signatures.
Devant la prison des Baumettes, le père de Céline
manifeste le 5 août et lance à travers un mégaphone
: «Tu sortiras peut-être dans trente ans, mais j'aurai
ta peau» La foule qui l'entoure crie : «A mort Roman,
à mort Roman»
C'est dans cette atmosphère et sous cette pression que le
juge Magnon va officier quelques jours seulement se bornant à
délivrer aux enquêteurs ou aux experts des commissions
rogatoires afin de vérifier des points de détail.
Dans la France entière, on ne parle plus que du meurtre de
Céline, venu s'ajouter à la liste déjà
trop longue des meurtres d'enfants : Marie Dolorès, Pauletto,
auxquels s'ajouteront, hélas, les prénoms de Delphine,
de Ludivine et de bien d'autres, et récemment encore Jessica
près d'Evian.
Les deux inculpés qui, aux yeux de la loi ne sont que des
présumés coupables, sont d'ores et déjà
condamnés par l'opinion.
Les journalistes, qui interrogent les gosses du village de La Motte
du Caire, les ont déjà baptisé : «le
tatoué» pour Gentil parce qu'il se disait ancien légionnaire
en montrant ses tatouages, et «l'indien» pour Roman
parce qu'il portait des cheveux longs, vivait sous un tipi, marchant
pieds nus, vêtu d'un seul pagne. Gentil est considéré
par les psychiatres comme un sujet instable, impulsif, rétif,
introverti, présentant d'importants traits de déséquilibre
psychologique. Il est totalement inculte si ce n'est ignare. Roman
est titulaire d'un DEUG de sciences ; brillant, il est doté
d'un quotient intellectuel dépassant largement la moyenne
(127), mais il est capable de réactions impulsives et violentes.
A son retour de vacances, le 2 août 1988, le juge Catherine
Muller hérite de l'affaire prenant le relais du juge Magnon.
A vingt trois ans, Catherine Muller est le plus jeune juge d'instruction
de France. Il est récemment sorti major de sa promotion à
l'École nationale de la magistrature de Bordeaux. De suite,
elle délivre tous azimuts des commissions rogatoires pour
que les gendarmes entendent les témoins et effectuent les
perquisitions ou saisies souhaitables. Elle charge un laboratoire
anglais de l'expertise des prélèvements effectués
sur la petite Céline lors de son autopsie, puis un expert
bordelais de déterminer les groupes sanguins des inculpés
pour les comparer aux traces de sang présentes sur les vêtements
de Céline. Deux médecins légistes sont également
désignés pour déterminer les causes exactes
de la mort de l'enfant. Le Centre d'applications et de recherches
en microscopie électronique (G.A.R.M.E.) devra examiner tous
les indices prélevés par les gendarmes sur les lieux
du crime (cheveux, tissus, terre, caillou etc.)
Malheureusement, il est déjà trop tard. Les prélèvements
effectués sur Céline ont été conservés
dans le réfrigérateur du palais de justice. Non dans
un congélateur. Les pièces à conviction retrouvées
sur place ont été soit touchées, soit foulées
par tous ceux qui, volontairement ou non, ont participé aux
recherches entreprises le soir de la disparition de Céline.
Et puis Catherine Muller va bientôt accoucher. Elle est remplacée
par Françoise Vier qui, également enceinte, ne pourra
s'occuper du dossier que pendant quelques semaines. Elle sera remplacée
par une troisième femme : Brigitte Bert. Mais pour quelques
jours seulement, car la malheureuse tombe malade. Retour donc à
la case départ avec Marc Magnon... Jusqu'à ce qu’ayant
accouché, Catherine Muller reprenne le dossier en mars 1989,
avant de tomber à son tour malade, ce qui provoque le retour
de Marc Magnon pour quelques jours seulement. Guérie, Catherine
Muller revient aux affaires. Mais bientôt elle demande sa
mutation. Pour cause de mariage cette fois. C'est alors que le dossier
Céline est transmis à un magistrat qui semblait l'espérer,
le juge Yves Bonnet. On peut alors penser qu'après avoir
changé douze fois de mains, et être passé par
cinq juges d'instruction le dossier Céline est maintenant
pratiquement clos. Il ne devrait plus rester au nouveau juge qu'à
le transmettre à la chambre d'accusation pour qu'elle renvoie
les deux hommes devant une cour d'assises.
C'est mal connaître le juge Bonnet qui a longuement brigué
ce poste de magistrat instructeur. Mais que rien, bien qu'il ait
obtenu une maîtrise de droit en 1979, ne prédestinait
à s'occuper d'une telle affaire puis qu'après avoir
été agent de bureau à l'hôpital de Dijon,
il s'était tourné en 1981 vers les finances. Devenu
inspecteur des impôts, il est ensuite tenté par l'École
de la magistrature.
Discret durant deux ans au tribunal d'instance de Digne, l'affaire
Céline va lui fournir l'occasion de parvenir sur le devant
de la scène judiciaire. Il reprend point par point tout le
travail de ses cinq prédécesseurs. Mais, il s'appuie
- il l'a reconnu lui-même - sur un mémoire de 76 pages
en date du 28 septembre 1990, rédigé par deux des
avocats de Richard Roman, maîtres Muriel Brouquet et Henri
Leclerc. La conclusion de ce document est simple : Richard Roman
est donc innocent. L'argumentation développée présente
d'ailleurs bien des points communs avec la plaquette éditée
par son comité de soutien, intitulée : «Un innocent
aux assises» Maître Leclerc explique, que par une sorte
de terrible alchimie, des éléments se sont mis en
place qui constituent autant d'obstacles à la manifestation
de la vérité. Il les résume en cinq chapitres
:
- Aveux passés par Roman dans un irrationnel climat de terreur,
à la gendarmerie du village même où se sont
produits les faits, obtenus par des enquêteurs immédiatement
convaincus de sa culpabilité :
- Accusations utilitaires de Gentil qui passe des aveux destinés
en réalité à reporter sur Roman l'entière
responsabilité de tous les crimes :
- Malheur absolu des parents de Céline, opinion publique
saisie par le vertige des crimes abjects commis sur une enfant et
complaisamment décrits par la presse et condamnation sans
appel de Richard Roman par les journaux qui se déchaînent
sans rien connaître du dossier :
- Menace de mort contre Richard Roman, sa famille, ses avocats et
conditions de détention particulièrement dangereuses,
puisque chaque jour il doit être protégé tant
de certains gardiens que de certains détenus :
- Trop nombreux changements de juges d'instruction, qui se succéderont
ou se remplaceront les uns les autres au fil de ces 25 mois.
Ensuite le mémoire décortique l'instruction, les interrogatoires
comme les confrontations ; il démonte avec force la thèse
de la préméditation, insiste sur les incohérences
de la scène du viol comme du meurtre. Il insiste enfin sur
les horaires fournis par différents témoins qui, selon
les avocats, mettent hors de cause leur client. Et de conclure à
l'impossibilité pour Richard Roman d'avoir commis ce crime
en se basant autant sur ses propres aveux que sur les accusations
de Gentil.
Le tout est bien construit, rédigé en termes choisis
pour attirer l'attention du juge :
«Tout est là pour qu'à côté de
la tragédie de la petite Céline se déroule
une autre tragédie, celle de Richard Roman, celle de la préparation
d'une erreur judiciaire.
Pourtant les preuves de l'innocence de Richard Roman existent, elles
sont dans le dossier, à condition d'accepter de le lire et
de l'étudier sans préjugés. C'est ce travail
qui est ici proposé, dans l'espoir que chacun acceptera honnêtement
de remettre en cause toute idée préconçue,
parce que ni la société, ni les parties civiles, ni
la justice n'ont rien à gagner à fermer les yeux»
Le juge Bonnet ne ferme donc pas les yeux. Et un mois après
avoir reçu le mémoire de maître Leclerc, il
délivre, le 22 octobre 1990, une ordonnance de non-lieu en
faveur de Richard Roman ; Il le libère le jour même
dans des conditions peu élégantes pour la famille
de Céline.
Gilbert Jourdan, le père de Céline, s'en souvient
: «Nous avions été ce jour là convoqués,
mon ex-femme et moi, au palais de justice de Digne par le juge Bonnet.
Dans ma candeur, je pensais qu'il s'agissait d'une nouvelle formalité
et de prime abord je n'ai pas compris le sens d'un coup de téléphone
que ce magistrat a reçu devant nous. Aujourd'hui cette phrase
me résonne encore aux oreilles : «Oui, c'est bon, vous
pouvez y aller, ils sont là» Ce n'est qu'après
que le juge nous a indiqué qu'il venait de décerner
un non-lieu en faveur de Roman et qu'en conséquence il venait
de donner l'ordre de le faire libérer. Sa convocation n'était
en fait qu'un piège pour nous empêcher d'aller manifester
devant la prison au moment de sa libération si nous l'avions
apprise avant. Tellement abasourdi par cette annonce je n'ai pas
réagi sur le coup. J'ai signé sans regarder les papiers
qu'il m'a tendu et je suis parti»
Dans le même temps quelques journalistes, mystérieusement
prévenus, photographiaient la sortie de prison de Roman.
Parmi eux, Brigitte Pesenti, l'épouse de l'avocat du père
de Céline.
Quant au juge Bonnet, il assurera toujours s'être forgé
seul sa conviction. Et il se défendra d'avoir été
influencé par le fameux mémoire de maîtres Brouquet
et Leclerc. Mais il admettra avoir été choqué
par le climat de lynchage lors des deux reconstitutions effectuées
par ses prédécesseurs à La Motte du Caire.
Il faut effectivement en dire deux mots. La première, le
16 juin 1989, avait tourné court tant les plaies dans ce
village étaient vives. Sur la route, à la peinture
rouge, avaient été tracés des appels au meurtre
: «Mort à Gentil, mort à Roman» et les
mêmes menaces avaient été lancées contre
leurs avocats maîtres Juramy et Leclerc. Dans tout le village
avaient été apposées des affichettes à
l'effigie de Céline et des fleurs blanches avaient été
posées devant le café de son père autour d'une
banderole sur laquelle on pouvait lire : «J'avais sept ans,
j'adorais la vie. Deux monstres m'ont assassinée, que la
vraie justice soit faite. Pensez à vos enfants. Punissez
mes assassins comme ils le méritent»
Difficile, dans un tel climat, d'effectuer, malgré la présence
de plus de cent gendarmes, une sereine, efficace reconstitution.
Aussi, dans le café, la tension est vite montée. Des
objets ont volé, les avocats ont été frappés,
déshabillés, un officier de gendarmerie a même
du sortir son arme. Pour éviter l'émeute, le juge
Magnon a finalement décidé de tout annuler avant même
de faire venir sur place les deux inculpés.
Maître Leclerc en appelle, dès le lendemain, au ministre
de la justice Pierre Arpaillange qui déclare aussitôt
: «La famille ne doit pas compromettre l'action de la justice.
Les avocats ne doivent jamais être assimilés à
ceux qu'ils défendent. Aucune pression ne pourra rétablir
dans notre pays la justice privée»
La seconde reconstitution a lieu le 9 novembre 1989 avec cette fois
la présence de Gentil et Roman et surtout de trois escadrons
de gendarmerie et de tireurs d'élite juchés jusque
dans le clocher de l'église. Catherine Muller officie cette
fois à la place de Marc Magnon. Les journalistes sont tenus
à l'écart, les habitants du village aussi, qui hurlent
leur haine : «On aura ta peau assassin. Si tu étais
mon fils je te tuerait» Tant et si bien que de loin on n'entend
pas Roman, qui refuse de se prêter à la reconstitution,
crier : «Je n'ai rien à faire ici, je suis innocent»,
tandis que Gentil accepte au contraire de refaire les gestes de
la soirée tragique.
Quant aux avocats, ils sont encore la cible, orale, cette fois,
de la famille de Céline, surtout maître Leclerc : «II
y a trente ans, tu portais les valises du FLN, aujourd'hui tu défends
un assassin. Salaud»
Et maître Leclerc a aussi reçu, sous forme de cercueils,
des menaces de mort, tandis que le comité de soutien à
Richard Roman a été gratifié d'un colis posté
à Aubagne. Il renfermait une bombe non amorcée faite
de cinq bâtons de dynamite.
Le soir de la libération de Roman, les vitres du palais de
justice de Digne ont été brisées et son gardien
légèrement blessé. Quelques jours plus tard,
dans les rues de Digne, un cortège fort de deux cents personnes,
défile dans le silence, mais avec la voix d'une enfant transmise
par haut-parleur, qui répète sans cesse : «Je
m'appelle Céline, j'aimais la vie. Mon assassin est en liberté»
Liberté durant laquelle Roman est violemment agressé
par deux inconnus, dans les rues d'Annecy. Il y était allé
pour voir sa mère lors des fêtes de Noël 1990.
Une plainte contre X pour coups et blessures a d'ailleurs été
déposée par Roman affirmant que l'un de ses agresseurs
ne pouvait être que le père de Céline. Sa plainte
sera classée sans suite. Après cette agression, Richard
Roman disparaît de la circulation. Il change fréquemment
de refuge. Sa mère doit faire mettre sa ligne téléphonique
sur liste rouge en raison de l'abondance des insultes et des menaces
qu'elle reçoit.
Quelques journalistes gardent cependant le contact avec Roman ainsi
que le juge Bonnet qui se répand dans les milieux judiciaires
pour affirmer qu'il vient d'éviter une erreur du même
nom. Balayant, ce qu'il a redit au procès, les aveux passés
lors de la garde à vue : «L'aveu est une preuve du
Moyen Âge. Un juge ne doit pas en tenir compte»
Il est vrai que ses aveux Roman les a très vite rétractés
devant le juge Magnon par ces mots enregistrés sous la cote
D77 dès le 29 juillet : «Seule ma première version
est vraie ; c'est à dire que je n'ai pas violé et
tué Céline, je n'ai pas rencontré Didier. A
un moment de mes déclarations j'ai demandé pardon
à Céline et à ses parents et à Dieu
et au nom de ma mère, ces paroles je les ai dites, plus précisément
répétées parce qu 'elles correspondaient à
ma foi chrétienne, parce que je les faisais miennes, même
si en fait je n'avais rien à me reprocher. Par la suite,
j'ai avoué avoir tué et violé Céline
sous la pression des enquêteurs, je ne pouvais plus défendre
la thèse de mon innocence à cause de la fatigue et
de la violence des enquêteur»
Roman ajoute un peu plus tard, dans ce même procès
verbal, une phrase qui en dit long sur les interrogations qu'il
se posait à lui-même à propos de son éventuel
comportement le soir du drame : «Je sais qu'un pagne a été
saisi chez moi, pagne sur lequel des prélèvements,
des analyses seront effectués, je tiens à dire dès
à présent que si les analyses en question devaient
conclure à la présence de sang de l'enfant sur cette
pièce de tissu, cela démontrerait, selon moi, la machination
de Didier. Je n'ai pas utilisé ce pagne de toute la journée
et dans cette hypothèse, je vous dirai que Didier a utilisé
ce pagne pour me compromettre»
C'était, pour Richard Roman, prêter beaucoup de machiavélisme
à Didier Gentil ou soi-même en faire preuve. Les analyses
n'ont rien prouvé. Plus tard, devant Catherine Muller cette
fois, le 12 octobre 1988 Roman explique à nouveau ses aveux
: «J'ai cru devenir fou, j'ai cru que j'avais commis le crime
pendant mon sommeil ou que j'avais perdu la mémoire»
Dans ses autres interrogatoires, Roman ne variera plus. Il soutient
à chaque fois, comme il le fera à son procès,
que seuls les gendarmes sont à la source de ses ennuis. Après
avoir délivré son non-lieu le juge Bonnet est, en
octobre 1990, obligé de se défendre : «J'ai
prononcé ce non-lieu en mon âme et conscience. Que
ceux qui disent que j'ai subi des pressions le prouvent ou qu'ils
s'en excusent sur-le-champ» Le dossier mémoire de maître
Leclerc présente les qualités et les limites d'un
texte élaboré par la défense. Il élude
ce qui pouvait être hostile à son client pour ne retenir
de ses aveux que les passages où Roman fait état de
pressions, de menaces, de gifles et même de coups de règle
de la part des gendarmes. Ces actes n'ont jamais été
attestés par le médecin venu visiter Roman durant
sa garde à vue. En outre Roman a reconnu s'être volontairement
jeté la tête contre un mur durant cette garde à
vue.
A propos de ces «tortures», dont maître Leclerc
soulignera qu'elles sont une violation manifeste des droits de la
défense, il est intéressant de signaler qu'interrogé
sur ce point, Didier Gentil assurera n'avoir jamais été
frappé.
Est ce à dire que pour deux présumés coupables
du même crime, les gendarmes, dans le même lieu, et
dans les mêmes délais auraient maltraité l'un
des suspects et pas l'autre, alors que l'un et l'autre sont amis
et sont les présumés auteurs d'un double crime, puisque,
outre l'assassinat proprement dit, le viol est considéré
comme tel.
Ce point sera évidemment évoqué durant le procès
qui verra le juge Bonnet, passant très vite du rôle
de témoin à celui de procureur, expliquer comment
il s'est forgé sa certitude de l'innocence de Roman au point
de le remettre en liberté en délivrant une ordonnance
de non-lieu de laquelle ont fait appel aussitôt les parties
civiles de même que le parquet.
La requête est examinée le 31 octobre 1990, à
Aix en Provence par les magistrats de la chambre d'accusation de
la cour d'appel, au cours d'une audience qui ne sera pas publique,
avec la seule présence des avocats et de la famille de Céline
qui manifestera une nouvelle fois sa colère : «Nous
voulons que Roman retourne en prison. Elle, elle n'a pas eu de non-lieu»
Ce jour là, pour éviter les incidents, les policiers
doivent une nouvelle fois protéger les avocats de Roman.
Le 14 novembre 1990, la cour ordonne un supplément d'information
et désigne son propre président, Jean-Claude Carné
pour le diligenter. Il devra, entre autres, apporter des précisions
sur l'emploi du temps de Roman le soir du drame. Contre cette décision
maître Leclerc se pourvoit en cassation. Sa demande est rejetée
le 26 février 1991. Autrement dit, sont annulées toutes
les décisions du juge Bonnet qui devient la tête de
turc de la famille de Céline au point que l'oncle de la fillette,
Alain Jourdan, lui expédie avant le 25 décembre 1990
cette lettre au palais de justice de Digne : «Monsieur, je
vous souhaite de passer de bonnes fêtes de fin d'année.
Bien meilleures que celles que nous passerons, nous... En espérant
que vos enfants, eux, se réjouiront de voir passer le Père
Noël, car ma nièce, elle, depuis le 4 août 1988,
ne voit passer que les croque-morts et que vous n'aurez pas trop
d'états d'âme d'avoir relâché son assassin.
Quant à mes vœux pour 1991, c'est de vous voir rejoindre
les gratte papier de l'administration française et même,
pourquoi pas, de vous voir finir votre carrière comme balayeur
du tribunal de Digne, car vous ne valez rien déplus»
Tel est le climat de passion qui, depuis le premier jour entoure
l'enquête et l'instruction. Il faut attendre le 26 avril 1991
pour que la cour se réunisse à Aix en Provence au
palais de justice transformé en forteresse qui voit arriver
un Richard Roman métamorphosé. Fini les pieds nus,
les cheveux longs. L'indien s'est presque transformé en gravure
de mode.
En moins de deux heures son sort est réglé. A huis
clos certes, mais l'on a pu apprendre qu'après la requête
du procureur Badie réclamant la réincarcération
de Roman, son défenseur maître Leclerc avait expliqué
qu'en se présentant spontanément, son client qui aurait
fort bien pu, s'il l'avait souhaité, prendre la fuite, venait
de faire preuve de bonne volonté et qu'il en serait de même
par la suite.
Les avocats de la famille de Céline ont estimé le
contraire, parlant d'un risque éventuel de fuite, d'un risque
de récidive, de possibles troubles de l'ordre public comme
d'éventuelles pressions de l'inculpé sur les témoins.
Y en a t-il eu durant ces six mois de liberté, nul ne peut
le dire, même si plusieurs membres de son comité de
soutien en ont approché plus d'un. Je l'ai été
moi-même quelques jours avant le procès.
Toujours est il qu'à 13 heures, ce 26 avril 1991, Richard
Roman retourne en cellule après six mois de liberté,
non sans avoir crié en grimpant dans le fourgon qui allait
le conduire à la maison d'arrêt de Luynes : «Que
Dieu vous pardonné»
Il ne reste plus au président Carrié qu'à reprendre
en main l'instruction pour la treizième fois ce qu'il fera
dès le 2 mai 1991 - Trois ans après les faits... Que
de temps perdu ! C'est ce qu'écrit quelques jours plus tard
le père de Céline à François Mitterrand
dans une lettre ouverte : «Monsieur le Président, pouvez-vous
m'expliquer pourquoi dans les crimes atroces, qui concernent notamment
des enfants, la justice ne remplit pas sa tâche? Pourquoi
après 800 jours d'attente, les deux assassins qui ont violé
et tué ma fille n'ont ils pas encore comparu devant la cour
d'assises? »
Tout en s'en prenant au juge Bonnet qu'il suspecte d'avoir non seulement
subi des pressions mais de les avoir surtout assimilées,
il enchaîne : «Durant ses six mois de liberté
Roman a pu organiser sa défense et au besoin faire pression
sur des témoins. Comment voulez-vous, dans ces conditions,
faire confiance à la Justice? Quand je constate qu'un violeur
d'enfant, défendu par un avocat dont les relations avec M.
Kiejman sont étroites, qu'une partie de la presse dévoile
impunément une partie du dossier pour l'innocenter, je ne
peux plus avoir confiance. Pensez-vous que s'il s'agissait de votre
petite fille, vous accepteriez, sans rien dire, de subir trois ans
de procédure avant le procès, de constater la mise
en liberté d'un des deux monstres qui l'a violée,
sodomisée et assassinée sauvagement, de lire dans
la presse que vous êtes coupable de sentiments de vengeance
et que Roman est victime de son innocence? »
Quelques jours plus tard, c'est au tour du comité de soutien
de se manifester pour protester contre la réincarcération
de son protégé, jugée révoltante. Tout
en le suppliant de cesser une grève de la faim entamée
un mois plus-tôt.
Le juge Carné va mettre alors les bouchées doubles
pour réentendre tous les témoins, à raison
de cinq ou six par jour ; Tous, ou presque, maintiendront leurs
dépositions quant aux horaires de Roman le soir du drame,
avec quelques variantes il est vrai. Or, le créneau est étroit
qui peut permettre de l'innocenter ou seulement de conclure qu'il
a pu participer au meurtre. Le procès de Grenoble le montrera.
Certains de ces témoins, lors de ce procès, vont en
effet encore modifier cet horaire. Avec le temps, la mémoire
devient floue, d'autant que ce témoignage là, ils
l'ont déjà effectué plusieurs fois chacun.
Experts, graphologues, psychiatres sont également réentendus
par le juge, de même que Didier Gentil. Celui-ci confirme
sa version des faits. Néanmoins, pour la première
fois, il s'étonne et proteste auprès du magistrat
des pressions qu'il subit de la part d'un mystérieux groupe
de travail basé à Villeurbanne, près de Lyon,
composé de chercheurs, formateurs et penseurs en tous genres,
qui l'abreuvent dans sa cellule de courriers auxquels il ne comprend
pas grand chose mais dont la portée fera son chemin dans
son esprit torturé.
Le but de ce groupe est évident et ses membres ne s'en cachent
pas : faire innocenter Roman. Deux d'entre eux sont en liaison avec
le comité de soutien.
Mais maître Leclerc va désapprouver l'action de ce
groupe de travail ; il parle même «d'initiative déplorable»,
et il invite la justice à ouvrir une enquête. Mais
il ne porte pas plainte.
À force de persévérance, le travail de ce groupe
va finir par porter ses fruits dans l'esprit de Gentil. En plein
procès - encouragé en ce sens par son avocat lyonnais
- il ne fait que répéter ou presque, comme s'il récitait
une leçon, les propos tenus par ce groupe de travail. Jugez
de la nature du message qui lui a plusieurs fois été
seriné : «Cher Didier, il faut en effet comme un miracle
dans le cœur pour que se consolide en toi le désir de
la vérité, quoiqu'il en coûte. Notamment lors
du procès pour que tu te souviennes «vraiment»
alors que tu étais comme fou, lors du drame, pour que tu
aides Richard à être vrai. Nous te soutiendrons de
tout cœur et de tous nos moyens si tu dis un jour, en pleine
liberté d'esprit, que tu étais le seul acteur du drame»
Ce n'est peut-être pas du lavage de cerveau, mais ça
y ressemble ; c'est en tout cas ce qui s'est finalement passé
au procès sans que ce jour là, maître Leclerc
proteste, et pour cause.
Le président Carné accélère la cadence.
Très vite, son dossier s'épaissit ; si vite qu'il
est bouclé en moins de six mois. Avec ce qui peut être
considéré comme de nouvelles charges contre les deux
hommes. Le 13 novembre 1991, ils sont renvoyés devant la
cour d'assises des Alpes de Haute Provence. Tous les deux pour «viol
aggravé par deux auteurs sur mineure de moins de quinze ans
et homicide volontaire aggravé»
La défense de Roman va bien tenter un baroud d'honneur par
un pourvoi en cassation. Elle le fonde sur les conditions de la
garde à vue qu'elle estime contraires aux termes de la Convention
européenne des Droits de l'Homme et du Citoyen. Mais, en
mars 1992, la chambre criminelle de la cour de cassation rejette
ce pourvoi : elle estime, je cite les propos du président
Le Gunehec : «Contrairement à ce qui est soutenu, l'inculpé
n'a pas été privé de tout repos pendant la
durée de sa garde à vue, n'a pas été
l'objet de traitements inhumains et dégradants et ses déclarations
n'ont pas été obtenues sous la contrainte»
Pour les défenseurs de Roman c'est un camouflet. Mais le
17 juin, ils obtiennent de cette même cour que le procès
ne se déroule pas à Digne mais à Grenoble.
Pour des raisons de sécurité publique. C'est une victoire,
car il y a fort à parier qu'à Digne, le verdict risquait
d'être sévère.
Nous sommes au début de l'été 1992. Il ne reste
plus au procureur général de Grenoble qu'à
fixer les dates de l'audience, et au président de la cour
d'assises qu'à étudier à fond le dossier, notamment
l'arrêt de renvoi du président Carrié. Il fait
en tout cinquante six pages dont je ne retiendrai que les attendus
sur lesquels vont s'articuler les trois semaines d'audience :
- La mise en cause constante tout au long de l'enquête et
de l'information de Roman par Didier Gentil.
- Les aveux passés par Roman au cours de la garde à
vue tant devant les gendarmes, que devant le procureur de la République
de Digne et le psychiatre.
- Les témoignages précis recueillis lors du supplément
d'information dont il ressort que Roman est reparti 10 minutes à
un quart d'heure plus tard, qu'il est revenu dans cet établissement
vers 21h30, a stationné son véhicule à un endroit
différent de celui occupé initialement, pour quitter
l'agglomération vers 21h40.
Qu'ainsi, dans l'exact créneau horaire des crimes qui se
situent entre 21h30, nul témoin n'a constaté la présence
de Roman, alors que ce dernier est incapable de se justifier sur
son emploi du temps et se borne à soutenir que tous les témoins
se trompent.
Qu'ainsi donc, les explications de Roman - elles tendent à
retarder son heure d'arrivé à La Motte du Caire et
à avancer celle de son départ - sont singulièrement
insuffisantes face à l'ensemble des éléments
recueillis.
Devant la cour d'assises trois semaines vont être nécessaires
pour refaire, une dernière fois mais oralement, avec les
mêmes témoins, les mêmes experts, les mêmes
enquêteurs cette interminable instruction.
Auparavant, s'est mis en branle, le comité de soutien à
Richard Roman (CSRR) qu'a dénoncé avec vigueur l'avocat
de Didier Gentil, maître Juramy. Comité amplement remercié
par Roman, sa famille et ses défenseurs et dont l'efficacité
n'a échappé à personne au point qu'on lui doit
sans doute une bonne part de l'acquittement de son protégé.
LES
COMITÉS DE SOUTIEN
Les
comités existent quasiment depuis que le monde est monde.
Qu'ils soient de surveillance, de gestion, d'entreprise, d'intellectuels
ou de Salut public. Mais en matière judiciaire, le comité
de soutien est relativement récent ; il remonte au début
du septennat de Valéry Giscard d'Estaing, lorsque l'écrivain
Gilles Perrault s'est mis en tête que le meurtrier d'une petite
Marseillaise, Christian Ranucci, guillotiné le 28 juillet
1976, était innocent. Encore qu'il ne faille pas oublier
l'affaire Calas chère à Voltaire ni l'affaire Dreyfus
chère à Zola. Il s'en est suivi une violente campagne
de presse orchestrée par l'écrivain lui-même
après parution de son fameux livre «Le Pull-over rouge»,
dont un film même a été tiré.
Aujourd'hui encore, la mère du condamné, soutenue
par quelques avocats que l'on retrouve dans d'autres comités
de soutien à des accusés qui ont pourtant récidivé,
réclame la révision du procès de son fils,
en dépit d'une première requête rejetée
le 29 novembre 1991.
Elle se fonde, ce qui est parfaitement son droit sinon son devoir
de mère, sur un procès verbal surchargé et
des aveux qui cadraient mal avec les constatations. Oubliant du
coup que, dans ses aveux, Ranucci avait indiqué aux enquêteurs
où se trouvait l'arme du crime, un couteau, utilisé
pour assassiner la fillette le lundi de la Pentecôte 1974.
Or cette cachette là, - une canalisation d'égout -
seul le meurtrier pouvait la connaître.
Plus près de nous, d'autres comités de soutien ont
été constitués pour d'autres accusés.
Par des intellectuels de gauche la plupart du temps, mais avec presque
à chaque fois, la présence, en leur sein, d'ecclésiastiques
parfois haut placés. Ainsi en est-il du COSYP, le comité
de soutien à Yves Ponthieu. Y figuraient entre autres, les
signatures de monseigneur Albert Decourtray, cardinal archevêque
de Lyon et de monseigneur Matagrin évêque de Grenoble.
On ne saura jamais si c'est leur nom ou celui d'Edmond Maire qui
impressionna le président de la République, toujours
est-il que par deux fois, François Mitterrand s'intéressa
au sort d'Yves Ponthieu. D'abord pour lui accorder une remise de
peine de cinq ans, ensuite pour le gracier purement et simplement
le 5 janvier 1990 en vertu de son droit régalien. (voir annexe)
C'est selon un processus analogue que s'est constitué le
comité de soutien à Richard Roman en juin 1990. Il
est fort, au départ, d'une dizaine de ses compagnons d'adolescence
qui ne cachent pas l'identité de leurs commanditaires : «Nous
nous sommes donc constitués en association loi 1901 à
la demande de la famille de Richard et de ses avocats d'autre part»
Ce comité a deux objets principaux. Tout d'abord, apporter
l'aide morale qu'espère tout détenu en prison. Ensuite,
réunir par les cotisations demandées à ses
adhérents le plus de moyens possible pour assurer, avec la
famille, les frais d'avocats.
Baptisé CSRR, le comité de soutien à Richard
Roman a donc méthodiquement entrepris une série d'actions.
Beaucoup ont pour mission de lui écrire en prison afin de
lui remonter le moral. D'autres obtiennent un droit de visite et
discutent avec lui pour mettre en place, avec les avocats, la campagne
en sa faveur. Elle est basée sur une contre enquête,
où n'est conservé que ce qui peut lui être favorable.
Tout en se gardant d'exercer une pression sur les témoins,
le CSRR entreprend dans des cercles amis et auprès de certains
des journalistes, de chercher à convaincre. «Le comité
veut proposer une analyse objective et synthétique, qui puisse
éviter la diffusion d'idées préconçues
et de préjugés. Il ne manquera pas de soulever les
questions qui se posent par rapport aux points litigieux dans son
déroulement»
Bien fait, un ouvrage paraît, avec plan de village de La Motte
du Caire, et une étude en cinq points de l'affaire. Un chapitre
«Les prétendues charges», reprend l'esprit du
mémoire remis au juge Bonnet par le cabinet d'avocats que
manage Henri Leclerc. Il s'achève par cette phrase : «Richard
Roman est donc innocent» Affirmation reprise à la une
de la brochure réalisée par le CSRR.
Ce document est présenté et commenté lors d'une
conférence de presse tenue à Grenoble quelques jours
avant le procès. Elle sera reprise par les médias
locaux à l'adresse des habitants du département, dont
certains vont être appelés à devenir jurés.
Le procureur général de Grenoble, Michel Albarède,
s'en est d'ailleurs ému, trouvant scandaleux qu'à
quelques jours de l'audience, le comité de soutien ait tenu
à Grenoble une conférence de presse, installé
une permanence et distribué sa brochure «Un innocent
aux assises» «II ne faudrait pas, avait confié
aux journalistes ce haut magistrat, qu'un comité de soutien
se transforme en comité de pression»
Or plusieurs des jurés du procès de Céline
ont reconnu avoir consulté la brochure, avant même
d'être désignés par le sort.
Quelques semaines auparavant, une lettre datée du 13 novembre
1992 et signée du président du CSRR, l'abbé
Gérard Bouvier - il fut l'aumônier du lycée
Voltaire, au temps où Richard Roman en était l'élève
- a été expédiée de Paris aux quatre
coins de France :
«Madame, Monsieur,
Comme vous le savez aussi, Richard Roman n'a pas cessé, depuis
quatre ans maintenant, de crier son innocence. La plaquette que
vous trouverez ci-joint, «Richard Roman, un innocent aux assises»,
a été réalisée par notre comité
dans la perspective de ce procès. Elle reprend l'affaire
depuis ses débuts, retrace et analyse l'emploi du temps de
Richard, commente les différents éléments du
dossier auxquels nous avons eu accès. Un travail long et
minutieux mais essentiel, au vu des difficultés de cette
affaire et des dysfonctionnements de la justice, que nous avons
pu constater.
Nous sommes convaincus qu'elle vous permettra de mieux cerner les
tenants et aboutissants de ce double drame, le meurtre d'une fillette
et le calvaire d'un innocent, enfermé depuis quatre ans alors
même qu'il a bénéficié d'un non-lieu.
Nous nous tenons bien sûr à votre disposition pour
en parler plus avant avec vous. Sachez que vous pouvez toujours,
nous joindre sur la ligne du comité et à partir du
23 novembre sur notre numéro spécial «accueil
presse» (suivent deux numéros à Paris et à
Grenoble)
Dans l'attente de vous rencontrer, nous vous adressons, Madame,
Monsieur, nos salutations les plus cordiales.
PS : Vous trouverez également ci-joint un jeu de photos couleur
de Richard Roman»
Dans le même temps se constitue à Villeurbanne un mystérieux
groupe de travail, le «RR-DG» Il adresse à toute
la presse écrite française un autre dossier similaire
où l'on trouve cet aveu : «L'impact des médias
comptera sans doute»
D'où la colère du défenseur de Didier Gentil,
maître Juramy qui porte plainte pour subornation d'autrui.
A Marseille le juge Claude Choquet est chargé d'établir
si ce comité de Villeurbanne ne travaillait pas en sous main,
par le biais d'un ancien professeur de Roman et de l'un de ses camarades
de collège, avec le comité de soutien.
Car ce groupe de travail n'a cessé depuis 1990, soit deux
ans avant le procès, d'adresser des lettres à Gentil
- une trentaine au moins - lui enjoignant de soulager sa conscience,
de se libérer intérieurement, toutes dans le style
du spécimen que je livre ici : «Didier, tu sais si
tu es le seul à avoir violenté sexuellement Céline
; si c'est toi qui l'as tuée, si Richard a participé,
de quelle manière tout s'est passé. Relèveras-tu
ce défi d'une vérité qui te libérerait
totalement? Tu peux faire encore mieux que les experts. Tu retrouverais
ainsi ensuite plus que la pitié de La Motte du Caire ! Tu
pourrais gagner leur pardon et même plus tard leur soutien»
«C'est inadmissible, explique maître Juramy, car ces
lettres n'ont pas manqué d'influer directement sur Gentil
dont tous les rapports psychiatriques décrivent la fragilité
mentale»
Cela pourrait bien entraîner - sans que l'issue du procès
ne soit jamais remise en cause - une inspection des services de
la Chancellerie afin de vérifier si le droit a été
toujours respecté. Et si des pressions n'ont pas eu lieu
sur certains avocats, certains magistrats, voire indirectement,
sur les jurés, en examinant par le menu le déroulement
des audiences, les oublis ou les carences des uns ou des autres.
LE
PROCES
Ce lundi
30 novembre 1992, c'est un palais de justice en état de siège
qu'ont découvert, au petit matin, les habitués de
la place du marché aux herbes de Grenoble.
Plus de cent policiers ont pris place sur les quais, sur les toits,
dans les rues adjacentes, dans la salle des pas perdus. Au premier
étage du palais, des barrières métalliques
ont été installées pour canaliser les foules.
Celle des journalistes, comme celle des curieux, sans parler des
nombreux témoins cités, ou des jurés appelés
à être tirés au sort.
Il faut dire qu'avant cette première audience, le climat
était loin d'être serein. L'affrontement idéologicopolitique
présent dès l'origine du dossier, couvait. Des rumeurs
circulaient selon lesquelles le Front National allait faire venir
ses militants par cars entiers, afin de soutenir les parents de
Céline, de telle sorte que le père de l'enfant a dû
faire cette mise au point : «Nous refusons toute récupération
politique. Si les partis politiques veulent nous rendre service,
qu'ils le fassent en restant chez eux»
Climat malsain entretenu même par un hebdomadaire à
grand tirage ; il proposait à ses lecteurs de participer
à ce procès par le biais du 3615, en exprimant ainsi
leur opinion sur Minitel par un oui ou par un non, à propos
de la culpabilité de Roman. Au point que le procureur général
Michel Albarède doit intervenir auprès de «Paris
Match» pour faire cesser ce jeu étrange.
La veille, il avait déjà fustigé l'attitude
du comité de soutien, et rappelé à celui qui
allait être l'artisan de l'acquittement de Richard Roman,
l'avocat général Legrand, quel devait être son
rôle : «Le parquet doit soutenir l'accusation, nous
le ferons sans état d'âme» La suite va prouver
que ces directives n'ont pas été suivies.
Ce matin-là, la tension est extrême. A la porte du
Palais, place Saint-André, sur un chevalet chargé
de fleurs, la photo de Céline attire les regards. Son beau
sourire, la France entière le connaît.
Avec ménagement, des policiers guident vers les trois premiers
bancs du public, les membres de la famille de Céline, facilement
reconnaissables à leurs yeux rougis par les larmes, et le
badge qu'ils arborent à l'effigie de Céline surmonté
de ces trois mots «Rendez-moi justice»
Le tirage au sort des jurés ne prend guère de temps,
mais il suscite des commentaires ; malgré les récusations
de la défense, il est composé de deux hommes seulement
et de sept femmes, toutes mères de famille, ce qui n'est
pas de bon augure pour les accusés. L'appel des témoins
va se révéler plus long. Ils sont une centaine : enquêteurs,
experts en tous genres, ainsi qu'une cinquantaine d'habitants de
la Motte du Caire, familles de la victime ou des accusés.
Pour ne pas les immobiliser tous pendant trois semaines, le président
Fournier fixe, avec eux, le calendrier de leur comparution.
Commence alors la longue lecture par le greffier de la cour de l'arrêt
de renvoi. La mère de Céline, Joëlle Maurel ne
peut le supporter longtemps. Puis on informe les jurés sur
la personnalité des accusés, leur enfance, leur adolescence
et leur cheminement jusqu'à cet été maudit.
Didier Gentil est né le 12 décembre 1963 en Côte
d'Or à Arnay le Duc, d'un père employé aux
chantiers navals de La Ciotat comme balayeur, et d'une mère
femme de ménage à l'hôpital de Marseille. Ses
parents ayant divorcé en 1971, il se retrouve à Marseille
avec sa mère et ses deux frères, avant de se voir
confié, par ordonnance du juge des enfants, à la Direction
Départementale de l'Action Sanitaire et Sociale. Il connaîtra
ainsi jusqu'à sa majorité, une bonne dizaine de foyers
où on le place. Il se signale vite par une inadaptation à
la vie communautaire. Elle se traduit par des vols et des fugues
répétées. Gentil est incapable de tout effort
scolaire. Il se présente lui-même comme un enfant de
la DDASS. Quand on lui donne la parole il présente son enfance
sous un jour on ne peut plus noir.
Dans un bégaiement difficilement supportable, les jurés
écoutent son plaidoyer sans manifester d'impatience : «Abandonné
par ma famille, explique t-il, j'ai ensuite été, partout
où je suis passé, exploité, soumis à
des brimades. J'ai même dû supporter des sévices
sexuels. Une de mes nourrices m'a même violé»
Selon les experts, ce viol serait à l'origine de l'important
bégaiement dont il est affligé. Tous les témoins
de moralité cités viendront dire que sa personnalité
est fragile, que son niveau intellectuel frôle la débilité,
que son mental est enfantin, et qu'il est - cela a son importance
- très influençable. D'autres témoins l'ont
employé comme ouvrier agricole. Ils confirment son caractère
influençable, tandis que ses chefs à l'armée
se souviennent d'un garçon peu sociable, à la limite
de la marginalité. Quant aux psychiatres, ils le décrivent
comme un être déséquilibré, instable,
impulsif. Eux aussi parlent «d'envoûtement de Gentil
par Roman, véritable maître à penser auquel
il s'identifie de façon magique, à la manière
d'un chef de secte»
A la barre sa mère n'a pour lui que des mots durs : «Didier
n'est plus mon fils. Je ne lui pardonne pas. Ce qu'il a fait est
trop atroce. Mon fils je me l'enlève»
La route de ce marginal est venue croiser celle de Roman au printemps
1988. Roman dont le grand rêve a toujours été
d'accueillir ce genre de «cabossé» de la vie.
Il est né le 15 décembre 1959 à Ambilly en
Haute Savoie, d'une mère infirmière et d'un père
militaire de carrière dont la famille de Céline soutiendra
toujours, qu'il faisait partie du contre espionnage français.
A la retraite du père le couple divorce. En 1980. Cette séparation
aurait davantage affecté Richard plus proche de sa mère
que ses deux frères. Après la faculté des sciences,
Richard entre en 1979 à l'Institut Supérieur d'Agriculture
de Beauvais où ses professeurs le sentent attiré par
les problèmes d'élevage, le retour à la nature
et la réinsertion des jeunes inadaptés. Son mémoire
de fin d'études portera d'ailleurs ce titre «Accueil
des jeunes inadaptés en milieu agricole»
Après divers travaux comme ouvrier agricole, il achète
une ferme en ruines sur la commune de Melve, proche de la Motte
du Caire. Il bénéficie pour cela d'une subvention
de 108 000 francs du ministère de l'Agriculture. Il vit maintenant
de la vente des fromages que lui procure un troupeau de soixante
quinze chèvres. Dans le même temps, il s'initie au
mode de vie des indiens. Il s'installe au rythme des saisons sous
un tipi ou sous une tente de sudation. Cette sorte de sauna - procédé
violent - est paraît-il de tradition indienne chez qui il
servait de rite initiatique aux adolescents. Il veut le faire partager
à tous les marginaux de passage qui lui sont recommandés
par d'étranges communautés où il a séjourné.
C'est ainsi qu'il a accueilli Didier Gentil au mois de mai 1988.
«Je ne jouais pas au fakir, expliquera t-il aux jurés
d'une voix douce et à peine audible, mais, aux plaines, je
m'étais construit un jardin extraordinaire, un site merveilleux.
J'aimais y marcher pieds nus, parce qu'ainsi on sent mieux la chaleur
de la terre et la douceur des petites herbes. Parfois, j'allais
danser dans les bois et parler à mes amis les arbres»
Doux illuminé, berger de bonne famille, ou hippie de luxe?
Les experts qui défilent à la barre ont bien du mal
à l'expliquer. Toujours est il que, peu à peu, ils
éclairent la cour sur un aspect troublant voire inquiétant
du personnage, cherchant à côtoyer la folie par des
expériences de déstructuration pour le moins curieuses.
Par deux fois elles l'ont conduit à l'hôpital, pour
des crises, des délires exigeant un internement.
Bercé par son rêve de vie communautaire, baigné
de philosophie amérindienne vieille de cinq mille ans, Roman
est allé encore plus loin ; sans manger, sans dormir durant
des jours, il a soumis son corps à des marches sans fin,
jusqu'à ce qu'il craque, espérant ainsi, par l'ascèse,
découvrir un monde intérieur.
«Je voulais connaître mes capacités. C'est difficile
à expliquer, mais je cherchais le silence intérieur.
Je ne voyais plus le jaune de la flamme, mais les différentes
couleurs de l'arc-en-ciel. La folie n'est pas forcément synonyme
de souffrance, mais une forme de bien être. Comme je voulais
m'occuper d'enfants autistes, il me fallait devenir autiste moi-même,
en faisant ce travail de déstructuration de la personnalité.
Plutôt que de faire de longues et laborieuses études
de psychologie, j'ai décidé d'expliquer cela de l'intérieur,
par l'ascèse. C'était un silence intérieur.
Je me suis donné du mal. Il m'a fallu des jours de travail.
Mais je n'ai jamais fait dans la recherche de l'horreur, seulement
dans le merveilleux»
Après les experts, sa famille vient dire tout le bien qu'elle
pense de Richard. Militaire, son père est gêné
d'avoir un fils objecteur de conscience ; il tente cependant d'effacer
de l'esprit des jurés, l'image plutôt négative
qu'ils peuvent avoir : «Au risque de vous décevoir,
Monsieur le Président, je ne peux que vous dire que Richard
est un garçon normal, qui a grandi dans une famille normale»
Achevant sa déposition par une espèce de prémonition
: «lorsque vous connaîtrez mieux le dossier de Richard,
vous serez tous persuadés de son innocence»
Son frère, Joël Roman, ne dit pas autre chose : «Je
ne partage pas ses théories un peu fumeuses, mais j'ai la
conviction de son innocence, au point que ma confiance en la justice
de mon pays en a été ébranlée»
Même certitude de son second frère : «Jamais
de la première minute jusqu'à présent, je n'ai
douté» Quant à sa mère, elle non plus
n'a jamais douté de son innocence.
Viennent ensuite les autres témoins. On parle de l'ambivalence
sexuelle de Roman ; elle le conduit tantôt vers les demoiselles,
tantôt vers les messieurs. Des représentants des deux
sexes racontent avec délicatesse ou honte leurs amours réciproques
que Roman ne nie plus, même si, lors de son arrestation, il
avait nié son homosexualité. Sans doute parce que
Gentil avait laissé entendre qu'ils avaient fait l'amour
ensemble, juste avant le meurtre de Céline.
A propos des mœurs de Roman, il n'est fait que peu de cas,
durant les audiences, du procès verbal, pourtant important,
portant le numéro 22 et répertorié sous la
cote D 25. On y trouve résumée la perquisition effectuée
le 27 juillet 1988 à 20 heures par les gendarmes au domicile
de Roman et en la présence constante de sa mère. Passons
sur la liste des vêtements saisis aux fins d'analyse et arrêtons-nous
sur celle de quelques objets que Roman a reconnu lui appartenir.
Avant de signer ce procès verbal, à 0hl5 : «21
revues érotiques, une revue homosexuelle, une revue de bande
dessinée à caractère érotique, un journal
intime à caractère érotique, une feuille de
magazine contenant deux images d'une jeune enfant»
Un prêtre vient dire aux jurés sa conviction de l'innocence
de Richard. C'est l'abbé Gérard Bouvier, qui fut son
aumônier au lycée Voltaire de Paris, en même
temps que le président de son comité de soutien. L'avocat
général Michel Legrand - qui n'est pas encore saisi
par le doute - lui reproche son comportement : «Comment avez-vous
pu, alors que vous étiez cité comme témoin
à ce procès, organiser une conférence de presse
à Grenoble, quelques jours avant l'audience? C'est indécent
! A croire que les jurés ne sont là pour rien»
Et de brandir la brochure du comité intitulée «Un
innocent aux assises»
Alors de sa douce voix, Richard Roman s'adresse à la cour
: «Je dois dire que je suis entièrement innocent de
ce crime qui me révolte. Après le non-lieu je me suis
présenté seul devant la justice, alors que j'étais
persuadé que j'allais être réincarcéré.
J'espère que la cour le reconnaîtra et acceptera mon
innocence»
Ces propos font bondir la famille de Céline. Le président
Fournier tente de la calmer le mieux qu'il peut. Les parents de
la victime s'étonnent que Roman ait pour cette première
audience changé de présentation, en attachant ses
long cheveux derrière la nuque par un catogan. «C'est
pour impressionner les jurés, pour qu'ils oublient l'image
de son arrestation et sa tête de fou»
Comme s'il les avait entendu, Roman revient le lendemain sans son
catogan, les cheveux épars, comme s'il voulait braver la
cour, en reprenant sa figure d'antan.
Viennent les moments les plus durs de ce procès. Dans la
salle le silence est total, c'est presque du recueillement. Pas
un murmure, pas un chuchotement. Aux premiers rangs du public, surveillés
par de nombreux policiers, les proches de Céline sont tendus,
crispés, émus, bouleversés. La mère,
Joëlle, ne cesse de triturer un mouchoir trempé de larmes
qu'elle porte fréquemment à ses yeux. Un de ses proches
l'entoure de son bras. L'oncle et le grand-père se lèvent
et se rassoient sans cesse, les yeux rivés sur les deux accusés
qui ne tournent pas une seule fois la tête dans leur direction.
Très digne, la grand- mère pleure en silence, tandis
que Gilbert Jourdan, le père, les mâchoires serrées
fixe les jurés. Attentifs, ils écoutent en faisant
mine de prendre des notes pour ne pas croiser son regard.
Plus l'évolution se fait précise, plus les détails
deviennent évocateurs, atroces. Des journalistes aguerris
sont obligés de quitter la salle. Joëlle Maurel n'y
tient plus. On la soutient. Un médecin dans un couloir, où
attend une équipe du Samu, lui insuffle de l'oxygène
et lui dispense des calmants. La scène est filmée
et photographiée de loin et cette image fera la une des journaux.
Imperturbable, insensible à ces réactions, Gentil
raconte en détail comment il a emmené Céline
ce soir là, maintient sa rencontre avec «l'indien»,
décrit la scène du viol, persiste à y mêler
Roman et à l'accuser du meurtre, redisant ce qu'il a toujours
maintenu : «Je suis certain de ne pas avoir tué cette
enfant»
A ses côtés, dans le box, le visage envahi de tics,
Richard Roman pleure, se mouche, se bouche les oreilles mais ne
proteste pas. Chacun se demande même s'il ne va pas craquer,
s'effondrer, ou pour le moins crier, hurler. Car son attitude paraît
ambiguë.
Pourtant enfermé une nuit entière avec Gentil après
ses accusations, pas une seule fois il n'a crié, ni protesté.
Mieux, il ne l'a même pas questionné pour lui demander
au moins pourquoi il l'accusait. Étrange retenue.
Après de telles accusations, Didier Gentil s'attendait aux
reproches de son ami Richard. C'est ce qu'il écrit dans une
lettre adressée au juge Marc Magnon depuis sa cellule 0025
de la prison des Baumettes à Marseille où il était
écroué sous le matricule 61397 M. En date du 28 décembre
1988 et enregistrée dans le dossier sous la cote D 241 mais
avec le tampon du cabinet du juge portant la date du 2 janvier 1988
et non 1989. La voici fautes d'orthographe et de syntaxe comprises.
«Roman et t'un déséquilibrer mentale, il cache
la vérité en soit quare il sait quille n'y a aucune
preuve retenut contre lui, alore il ne dit rien. Cela peut durer
une éterniter. Je vous jure d'avoire dit la vérité
sur Roman Richard quare il le sait très bien ce quille a
fait, mais ils vous diras quille n'y est pour rien dans l'espooire
d'échapper à la justice. Et pourquoi a til fermé
la bouche le soir de nôtres arrivée aux grandes Baumettes.
Nous somme rester toute une nuits ensemble dans la maime cellule
sens quille ce minifeste quare il savait très bien ce quille
fessais. Ce soir l'a je l'aurais tuer pour mavoire mis dans cette
affaire, mais l'infirmière nous avez ingecter une dose de
sommeil d'un liquide dont je ne connais pas le nom sinont monsieur
le juge je l'aurais fait la aux moins je n'aurais pas était
enprison pour rien. Alore n'attendais pas de Roman du bien,quare
j'en est mal aux cœur de l'avoire connut et je le regrette
vraiment il m’écœuré»
Ce comportement étrange, Roman l'a expliqué d'une
phrase : «Ce n'est pas dans ma nature et puis j'étais
bouleversé par la mort de cette enfant» Dès
qu'il parle de Céline, il est en larmes. Un peu comme s'il
pleurait sur lui-même.
Devant la cour d'assises, Roman raconte lentement, d'une voix éteinte
et feutrée, sa version de la soirée tragique, du moins,
son propre emploi du temps. Mais il a été mal vérifié
et il n'est donc plus vérifiable :
«Ce soir-là, raconte t-il, ma mère était
venue me voir avec ma cousine. Nous avons dîné en famille
et vers 21 heures j'ai emprunté sa voiture pour aller acheter
des cigarettes à la Motte du Caire tandis qu'elle redescendait
avec ma cousine. J'ai bu un verre au café de la poste, suis
passé à l'hôtel où logeait ma mère.
Elle était déjà couchée. Alors je suis
rentré chez moi. Ce n'est que le lendemain que j'ai appris
la disparition de Céline. Invité à me rendre
à la gendarmerie, je m'y suis présenté au début
de l'après midi. J'ignorais tout, jusqu'à la mort
de l'enfant. C'est là que mon calvaire a commencé»
Roman évoque ses quarante huit heures de garde à vue
controversées. Didier Gentil continue de soutenir qu'elles
se sont déroulées sans violence, mais Roman affirme
le contraire.
«J'étais debout, attaché par des menottes à
un anneau scellé dans le mur. On m'interdisait de m'asseoir,
on ne me donnait pas à boire. J'ai été frappé
à coups de gifle et de règle. J'avais peur de tomber
et d'être frappé à coups de pied dans le ventre,
peur de mourir en étant abattu d'une balle de revolver. C'était
un véritable cauchemar et si j'ai avoué, c'est que
j'étais sous le choc après avoir appris la mort de
Céline»
Et Roman d'affirmer que les gendarmes exercèrent de telles
pressions sur lui en l'insultant et en le frappant, que c'en était
devenu insoutenable :
«J'ai compris qu'ils étaient tous persuadés
de ma culpabilité. Alors je n'ai pas eu le courage de résister
à toute leur haine, et j'ai pensé aller dans leur
sens.
J'étais complètement abruti par la mort de Céline.
J'ai perdu la tête, j'ai répété tout
ce qu'ils me disaient.
C'était de faux aveux que je passais, en ayant soin de les
atténuer par rapport à ce que l'on me demandait de
déclarer. La seule déclaration spontanée concerne
ma vie. Le reste ils me l'arrachaient. Je me contentais de dire
oui, d'acquiescer à leurs questions. Si j'ai avoué,
c'est parce que j'étais sous le choc de la mort de Céline.
J'ai perdu la tête, au début, et j'ai pensé
que devant tant d'insistance, d'assurance et de certitude des gendarmes,
j'avais pu avoir un moment d'amnésie ou même une crise
de somnambulisme, car je ne pensais pas les gendarmes capables de
mensonges en de telles circonstances»
A cet instant du procès, le sort de Roman est encore en balance,
parce qu'il se défend mal, se trouble, pleure et s'enfonce
même quand on lui demande pourquoi, après quatre heures
et demie seulement d'interrogatoire, il avait avoué et demandé
alors pardon à Céline :
«J'ai dit pardon à cette humanité de merde,
je crois que tout le monde aurait fait comme moi, aurait raconté
les mêmes choses pour sortir de ce cauchemar»
Quant aux accusations de Roman qui affirme n'avoir bénéficié
d'aucun repos pendant quarante huit heures, la lecture du registre
des gardes à vue de la gendarmerie aurait suffi à
dissiper ce doute. Mais personne n'en demande la lecture. Pourtant,
je le rappelle Richard Roman a bénéficié d'un
premier temps de repos, le 27 juillet de 20 heures à 23 heures.
D'un second le lendemain de 14 heures à 16 heures. Le même
jour, d'un troisième de 19h05 à 19h45 puis d'un quatrième
de 20h30 à l heure du matin. Enfin le 29 juillet de 3 heures
à 7 heures, puis de 8 heures à 9 heures. Soit quinze
heures et dix minutes sur quarante huit heures, sans compter la
visite du médecin... Ce qui correspond au temps de sommeil
normal pour tout individu de son âge. Mais il est vrai que
Roman devait être en état de stress.
Le docteur Christian Jullier vient d'ailleurs dire à la cour
que si Roman présentait des signes de fatigue, jamais en
revanche il ne s'est plaint de coups ou de sévices. Il ajoute
même : «Au cours de notre entretien Roman m'a confié
: «Quand on a vu la fille toute nue, on a perdu la tête»»
L'accusé bondit vers le micro disposé devant lui.
Il crie : «C'est faux, je n'ai jamais dit cela. Si je l'avais
dit, vous l'auriez écrit dans votre rapport»
Pour toute réponse le docteur Jullier sort calmement de sa
poche un petit carnet. Il le brandit : «Sur mon rapport, ce
n 'était pas mon rôle, mais je l'ai écrit sur
ce carnet»
La déposition du médecin accable Roman. Il finit par
se souvenir du petit carnet, mais s'en tire par cette phrase devenue
chez lui un leitmotiv «J'étais dans une logique d'aveux.
Je ne me souviens pas d'avoir passé des aveux à M.
Jullier ; ce doit être une phrase dictée par les gendarmes
! » Dans le camp de la défense, c'est la consternation.
Mais c'est compter sans maître Leclerc qui, lui, attend le
témoignage des gendarmes pour redresser la barre. Il le fait
en usant d'une technique éprouvée : il harcèle
les représentants de la maréchaussée, cherchant
à les mettre en porte à faux à propos des horaires
de garde à vue, des temps de repos, de la technique d'interrogatoire,
voulant à tout prix leur faire dire qu'ils avaient fait de
Roman, le coupable idéal, parce qu'ils ne l'aimaient pas.
Cette joute porte ses fruits. Empêtrés dans leur uniforme,
la rigidité de leur règlement, les gendarmes ne savent
expliquer à la cour leurs certitudes. D'autant que, dépassés
par l'ampleur des passions suscitées par ce fait divers,
ils ont omis de réclamer des renforts. Ce qui a nui à
la régularité de la procédure.
Mais tout de même, attaqués, critiqués, mis
sur le fil du rasoir, ils tiennent bon, rappelant tel le capitaine
Perrot : «C'est le procès de la gendarmerie qu'on fait
ou quoi? Ce n 'est pas nous qui sommes dans le box des accusés.
Il ne faudrait pas se tromper»
Maître Leclerc tente de faire dire aux enquêteurs que
l'isolement des deux suspects était mal assuré. Ainsi,
pendant la garde à vue, chacun aurait vu et entendu ce qui
se passait et se disait dans la pièce d'à côté.
Voilà qui explique pourquoi Roman a calqué ses aveux
sur ceux de Gentil. Les gendarmes résistent. Avec le maréchal
des logis chef Jean-Jacques Ramette, l'agression est plus sérieuse.
Le gendarme explique pourquoi Roman était menotté
durant son interrogatoire : «Il était violent dans
ses propos. J'ai même eu peur, il me faisait penser à
un possédé. Je ne sais pas ce que je représentais
pour lui, mais il m'en voulait. Roman m'est apparu comme un être
possédé qui répondait par des flashes. Il tremblait,
me regardait avec haine. Il me donnait l'impression de revivre une
scène. Je n'avais jamais vu cela auparavant. Cela fait douze
ans pourtant que je suis officier de police judiciaire et je ne
souhaite pas revoir une telle scène. Au début de ses
aveux, il tremblait de tout son corps. Ce n'était pas le
même homme et puis tout à coup, il redevenait normal.
Ensuite, il a eu comme un flash, il s'est raidi pour crier qu'il
demandait pardon à Céline, à la famille Jourdan,
à Dieu, à sa mère. Il était à
ce moment là comme illuminé» Réplique
de Roman : «C'est Ramette qui m'a dicté cette phrase.
Alors j'ai répété ses propres mots. Je les
ai dits dans un esprit de compassion et d'humanité, comme
le rabbin Sitruck l'a fait après Carpentras»
Roman évoque là la profanation du cimetière
juif de cette petite ville du midi. Quelle signification donner
à ses propos? On ne le lui demande pas. Et on passe à
la reconstitution faite, à la nuit tombante, le surlendemain
sur les lieux du crime. Roman persiste à dire que tous ses
gestes lui ont été dictés par le procureur
Weisbuch : la seconde bête noire de maître Leclerc.
La projection du film muet qui en a été fait n'a pas
d'impact sur la cour. Les images sont floues, peu convaincantes.
Aussi aurait il fallu, pour les conforter, projeter ensuite les
photographies prises en même temps sur place, réentendre
les témoignages de tous les gendarmes présents, ceux
qui ont noté sur procès verbal les faits et gestes
et les dires des deux intéressés. Cela aurait peut-être
permis d'établir que tout ce qui a été entrepris
et mimé ce soir là l'a été sur les indications
des deux hommes. Mais cet examen n'a pas eu lieu. Pour une raison
obscure, les jurés n'y ont pas droit.
Voilà comment la justice française se déconsidère
; voilà comment bien des crimes appelés à être
jugés par nos cours d'assises se soldent par des dénis
de justice. Ainsi arrive t-il que des innocents se retrouvent condamnés,
ou des coupables acquittés. On ne compte plus les instructions
judiciaires bâclées, les crimes non élucidés
à la suite d'informations confiées à des magistrats
inexpérimentés, exerçant leur autorité
sur des policiers ou gendarmes qui souvent ne le sont pas moins.
Il suffit ensuite qu'un avocat - dont c'est le rôle - mette
en relief les éventuelles anomalies de l'instruction pour
que tout s'écroule, et que des dossiers apparemment solides
fondent en l'espace d'un jugement comme un château de sable.
Dans l'affaire Céline, on n'a pas jugé utile de faire
au moins lire par le greffier de la cour d'assises le procès
verbal de cette reconstitution. Rédigé à la
main et signé sur les lieux mêmes par treize personnes
dont trois officiers de gendarmerie et surtout signé sur
place par les deux suspects dont il est mentionné qu'ils
ont été amenés séparément à
l'endroit du viol et du meurtre sans avoir pu entrer en contact.
Ce document est révélateur. Qu'on en juge :
ROMAN : J'ai rencontré Didier sur le chemin du camping.
UN GENDARME : Demandons à Roman de nous conduire sur les
lieux mêmes des faits.
ROMAN : Je me souviens qu'en y allant, il y avait des jets d'eau
qui fonctionnaient mais je ne peux vous dire si c'est le verger
de droite ou de gauche. J'ai placé la R5 à cet endroit
là.
UN GENDARME : Mentionnons que le témoin nous indique la deuxième
allée du verger de gauche.
ROMAN : J'étais au volant et Didier avait Céline sur
les genoux sur le siège avant, on est sorti.
UN GENDARME : Demandons à Roman de nous conduire sur les
lieux même de l'action.
ROMAN : Céline nous accompagnait.
UN GENDARME : Mentionnons que Roman nous indique la dernière
allée du verger à hauteur du premier et du deuxième
arbre.
ROMAN : Là nous avons attrapé Céline.
UN GENDARME : Lui demandons de préciser le geste.
ROMAN : On a roulé par terre et nous nous sommes retrouvés
dans cette position chacun d'un côté de Céline.
Je l'ai pénétrée par devant tandis que Didier
l'a pénétrée par derrière.
UN GENDARME : Faisons prendre un cliché.
ROMAN : Céline était un peu plus couchée que
sur le cliché. Ensuite. Didier est parti. J'ai ramassé
Céline et l'ai reposée là.
UN GENDARME : Mentionnons que l'endroit indiqué est à
environ 3 mètres du précédent.
ROMAN : Céline était évanouie. Je ne me souviens
pas si elle avait crié avant. J'ai ramassé une grosse
pierre.
UN GENDARME : Mentionnons que Roman nous présente une pierre
qui, selon lui, est ressemblante à celle utilisée.
Faisons préciser par le témoin comment il a lancé
la pierre et faisons placer sous scellés la pierre désignée.
Constatons qu'à cet endroit se trouvent de nombreuses pierres
du même type.
ROMAN : Ensuite, je suis retourné très vite à
la voiture. J'ai reculé. Je n 'ai plus vu Didier. Je suis
parti de suite.
UN GENDARME : Mentionnons qu'il est 22h30 et clôturons nos
opérations.
Cette
lecture là n'a pas été faite au procès.
Pas plus que celle concernant la même reconstitution effectuée
un peu plus tôt à partir de 20h40 avec le seul Gentil.
Pourtant elles correspondent aux détails - gestes et déclarations
- de Richard Roman peu après.
Le juge Bonnet vient témoigner. Après le procureur
Weisbuch. On entend aussi un maître chien, un photographe
amateur et tous les témoins de La Motte du Caire. Ces dépositions
vont conduire l'avocat général Legrand à se
montrer de plus en plus troublé.
Pourtant, ce qui trouble le plus l'avocat général,
de même que tous les participants au procès, est l'étrange
déclaration faite, sans crier gare, par Didier Gentil, le
11 décembre au matin.
Ce jour-là, le principal défenseur de Gentil, maître
Juramy ne participe pas aux débats. Comme chaque jour Gentil
a voulu avant l'audience s'entretenir avec l'un de ses avocats dans
les locaux du petit dépôt du palais de justice de Grenoble.
En l'absence d'Henri Juramy, son assistant, maître Saint-Pierre,
s'y est rendu. Après cet entretien d'une demi-heure, Gentil
demande la parole. Dans un long monologue, plus bègue que
jamais, il égrène des phrases qui détonnent
chez cet être simple décrit par les psychiatres comme
un benêt. Des phrases lourdes de conséquences pour
l'avenir du procès et pour celui qui les prononce. Car elles
l'accablent un peu plus et déchargent presque Roman. Gentil
explique ainsi sa déclaration :
«Maître Saint-Pierre est venu me voir et nous avons
parlé pour voir si je n'avais pas rêvé que Richard
était présent. La cour croit que Roman que j'accuse
n'est pas coupable. Je ne sais pas si je bute sur la réalité
ou si je bute sur ma vie intérieure. J'ai peut être
rêvé que Richard était présent. Je l'ai
toujours vu avec moi. Je garderai toujours ce souvenir que Roman
était là. Alors il y a peut être une hypothèse
: Roman était dans ma tête et pas sur les lieux. Je
voudrais voir mon psychiatre»
Le procès vient de chavirer, d'autant que Gentil ajoute :
«Je demande pardon à Roman, à sa famille, à
la famille de Céline»
Les avocats de Roman ne s'y trompent pas. C'est pour eux la victoire
puisque l'avocat général enchaîne aussitôt
: «Je ne peux plus maintenant soutenir contre lui une telle
accusation»
C'est le coup de théâtre. Les journalistes se précipitent
sur les téléphones. Tous omettent de remarquer que
cette semi confession ressemble très exactement à
ce que de mystérieux correspondants lui demandaient de faire
depuis plusieurs mois. On ne voit pas, ou plutôt on entend
pas que Gentil persiste à dire : «Je sais que j'ai
violé une enfant, mais je ne vois pas le meurtre. Le jet
de pierre et le camouflage du corps, je les rejette sur Roman»
Pour terminer sur une phrase désormais célèbre
: «Je ne me sens ni coupable ni responsable»
Curieux propos dans la bouche d'un illettré, étranges
contradictions et singulière initiative ressemblant fort
à un téléguidage. Si elle a fait basculer le
procès elle ne résout rien pour autant, puisque Gentil,
contrairement à ce que certains ont laissé entendre
ou voulu croire, n'a jamais, ni ce jour là ni un autre, avoué
le meurtre de Céline. C'est peut être là que
réside une erreur judiciaire. La notion d'erreur judiciaire
peut en effet fonctionner dans tous les sens : un innocent peut
être condamné à tort ou l'inverse. Et le coupable
d'un crime réel peut se trouver chargé d'un autre
sans raison.
Dans une lettre postée le 8 juin 1993 à la prison
de Varces où il est interné, courrier qu'il adresse
au juge Choquet, Didier Gentil signale que, depuis cette pseudo
confession de nombreuses lettres lui sont parvenues dans sa cellule.
On lui demande d'innocenter totalement Roman en précisant
ses aveux commencés lors du procès.
LA
FRAGILITÉ DES TÉMOIGNAGES
A
la barre de la cour d'assises, des témoins ont modifié
les déclarations qu'ils avaient faites au lendemain du drame,
tant devant les gendarmes de La Motte du Caire, que plus tard dans
le cabinet des juges d'instruction successifs de l'affaire. D'où
l'accusation de faux témoignages dans un procès où
seul compte ce qui s'y dit, à charge pour le ministère
public de poursuivre d'éventuels faux témoins. Passons
donc en revue certaines des dépositions qui ont apporté
de l'eau au moulin de la défense de Roman. Sans le vouloir
forcément.
Christian Célérier est de ceux là puisqu'on
affirmant avoir vu Roman à une heure qui l'innocente, soit
21h30, il trouble la Cour en faisant exploser une bombe : «Le
4 août suivant, le chef Ramette m'a convoqué pour une
seconde déposition, me disant que mon horaire ne correspondait
pas à sa procédure, qu'il ne fallait pas que j'aide
un salaud. Du coup j'ai avancé, à sa demande, dans
ma seconde déposition mon témoignage d'une heure soit
20h30» Cette déclaration de M. Célérier
étonne. L'avocat général se dresse : «II
faut savoir si c'est une enquête ou bien une chasse au coupable.
Il y a ici un homme qui risque de partir pour trente années
en prison, parce qu'on l'a d'emblée désigné
comme coupable»
Rappelé et confronté au témoin, le maréchal
des logis chef Ramette nie avoir exercé cette pression. De
même un autre gendarme d'Aix en Provence, nie avoir agi de
même par téléphone. On en reste là. L'incident
est clos. Christian Célérier, qui n'en avait jamais
parlé, était allé trouver le juge favorable
à Roman, M. Bonnet. Il lui avait remis trois photos d'un
coucher de soleil prises par lui, affirmait-il, le fameux soir où
il avait croisé Roman. C'était, d'après lui,
une preuve de sa bonne foi. Une aubaine pour le juge. Pourtant,
durant le procès, plusieurs experts viendront dire qu'en
aucune façon ces clichés n'ont pu être pris
ce soir là, mais datent plutôt de juin ou d'août.
Une ombre sur la sincérité du témoignage du
photographe amateur.
Ce revirement fait suite à une série d'autres qui
ont également paru douteux. D'abord les témoignages
de plusieurs habitants de la Motte du Caire venus dire à
la Cour qu'ils se sont trompés dans leur première
déposition. Quatre années plus tard ils se souviennent
mieux des faits... En 1988, tous ces témoins avaient innocenté
Roman en affirmant l'avoir aperçu au village vers 21hl5 -
21h30.
A la barre, leur souvenir devient plus précis : «Non,
non, c'était bien vers 20hl5 -20h30 que nous l'avons vu au
village», comme si tous s'étaient concertés
pour faire concorder leur version avec celle du père et du
grand-père de Céline qui ont toujours parlé
de 20h30.
L'horaire est pourtant capital dans ce dossier. Car de deux choses
l'une, ou Richard Roman n'a été vu qu'une fois à
la Motte du Caire, vers 21h30 et il n'a pas pu commettre le crime
horrible dont on l'accuse, ou bien on l'a vu deux fois, d'abord
à 20h30 (avant le crime), puis à 21h30. Dans cette
seconde hypothèse, il a eu le temps d'accomplir l'acte qui
lui vaut d'être assis aux côtés de Gentil dans
le box des accusés.
Ce décalage inattendu de la part des témoins irrite
l'avocat général : «Je constate que le temps
se déplace curieusement. Et si je m'aperçois qu'il
y a un mouvement général de glissement des heures
toujours dans le même sens, comme pour rendre service, il
ne faudra pas s'étonner si le verdict ne plaît pas
à la Motte du Caire»
Avertissement déguisé peut être, doublé
d'un autre à l'intention de la famille de Céline :
«C'est bien joli de faire parler la morte par haut parleur
dans les rues de Digne, pour désigner un coupable. Moi j'appelle
ça des vautours»
Des propos qui ont fait bondir toute la famille de la victime.
Il devient clair que parmi les jurés, ces témoignages
de complaisance doivent être mal ressentis. A trop vouloir
prouver, on ne prouve plus rien. On peut même redouter l'effet
contraire. L'accusation repose sur les témoignages de ceux
qui ont vu arriver Roman vers 20h30, tandis que d'autres l'ont vu
quitter le village vers 21h30. Il était en proie à
une agitation inexpliquée. Les premiers témoignages
sont crédibles. Certains ont vu Roman arriver au café
de la poste à 20h30. Le 28 juillet à 9 heures le matin,
le père de Céline déclare au gendarme Bernard
Michel : «Richard Roman s'est présenté dans
mon établissement le 26 juillet vers 20h30. J'ai même
été surpris de le voir arriver à bord d'un
véhicule alors que d'habitude, il se déplace sur son
âne» Même précision de la part du grand-père
de Céline, André Jourdan, enregistrée le même
jour, par le même gendarme, à llh45 : «A 20h30
le 26 juillet, Richard Roman est arrivé sur la place du village
au volant d'une voiture. Il s'est mis à la terrasse pour
y commander une demi-pression»
Il est intéressant de souligner qu'à cet instant Roman
était loin d'être revenu sur ses aveux. On voit donc
mal pourquoi les parents de Céline auraient imaginé
un tel horaire. D'autant qu'un autre témoin dit la même
chose. Il n'a aucun lien avec la famille de Céline. Pierre
Martinez est retraité. Le soir du meurtre, il était
à la terrasse du Bar de la Poste. Interrogé le lendemain,
à 21h37 par le gendarme Bernard Mouisel, il déclare
: «Hier au soir, vers 20h30, j'ai vu arriver Roman en voiture
et nous avons bu un verre ensemble en terrasse»
A eux seuls, ces trois témoignages devraient suffire. Mais
la défense de Roman sait exploiter les excès des proches
ou des voisins de la famille de Céline. L'accusation évolue
en sa faveur. De plus, Pierre Martinez, plus connu au village sous
le surnom de Cacao, est mort entre temps. Vient alors à la
barre un petit homme barbu, aux lunettes d'intello, le juge Yves
Bonnet. Celui qui a remis Roman en liberté avant qu'il ne
soit réincarcéré. Sa déposition est
reçue comme une véritable plaidoirie en faveur de
Roman, presque un réquisitoire contre une enquête dont
il affirme qu'elle a été menée en dépit
du bon sens. Il estime que la recherche des preuves scientifiques
a été négligée au profit des aveux à
tout prix et n'hésite pas à accuser gendarmes et procureur
et même ses quatre autres collègues de l'instruction
:
«Je suis totalement persuadé de l'innocence de Roman.
Si j'avais eu le moindre doute, je ne l'aurais pas remis en liberté.
Pour moi, il a craqué psychologiquement durant sa garde à
vue. S'il a avoué, c'est sous la pression des gendarmes.
Mon devoir est de dire qu'il s'agit pour lui d'une erreur judiciaire
car je n'ai pas comme modèle Ponce Pilate. Je vous le dis,
Roman est innocent »
Le juge Bonnet balaie d'un geste les questions que s'apprêtent
à lui poser les parties civiles, et se livre à une
attaque en règle de la justice et de ses mœurs :
«Accepter pour preuve des aveux, c'est le retour au Moyen
Age. Ses aveux lui ont été arrachés, dictés
par les gendarmes et le procureur. Attention, vous courez à
l'erreur judiciaire. Richard Roman, j'en suis sûr, est innocent»
Roman n'en demandait pas tant. Bonheur pour les uns, indignation
chez les autres. Le juge Bonnet a su faire impression.
Plus simple et combien plus dramatique est la déposition
de la mère de Céline. Déchirante, elle ne va
cependant rien changer. Car on juge des faits non des sentiments.
Elle parle pourtant avec ses larmes et son cœur : «Je
suis la maman de Céline. Je ne viens pas pour témoigner
mais pour parler de ma fille. Elle aurait onze ans aujourd'hui.
Elle avait de si grands yeux qu'ils lui mangeaient le visage. La
dernière image que je conserve d'elle date du jour de son
départ pour La Motte du Caire. Derrière la vitre de
la voiture, elle agitait sa main et m'envoyait des baisers. J'entends
ici parler d'innocence et de perpétuité alors que
l'innocence c'était Céline et la perpétuité
c'est mon chagrin»
Témoignage bouleversant, achevé par cette question
d'une mère en larmes : «Lequel de vous deux a tué
ma fille? regardez-moi ! » Aucun des deux ne l'a regardée,
aucun ne lui a répondu.
Gilbert Jourdan, le père de Céline tente à
son tour l'impossible : «Ce jour là, elle me disait
en sautillant avec sa nouvelle robe : «Regarde comme je suis
belle ! » Ensuite je ne l'ai plus revue. Aujourd'hui je suis
à bout, cela a assez duré. Je ne veux pas à
tout prix deux assassins mais je sais qu'il était là
à 20h30 et pas plus tard comme il le prétend. Pourquoi
n 'avoue t-il pas aujourd'hui comme il l'a fait le premier jour
? »
Un autre témoin contribue à semer le doute dans les
esprits. Le maître chien Zaoui Elbachir qui fut appelé
dans la nuit avec sa bête pour rechercher Céline. Savamment
interrogé par les défenseurs de Roman, il indique
à la cour ce qu'à partir du glissement des débats,
elle voulait entendre. Son chien n'avait, ce soir là, jamais
perdu la piste de Céline. Ce qui prouverait, selon cet expert
cynophile, que l'enfant n'a pu monter dans une voiture et que par
conséquent il n'y a pas eu de voiture sur les lieux. Or accepter
telle quelle cette thèse, c'est oublier qu'avant le pistage
Didier Gentil a caressé la chienne Minz au café du
père de Céline, qu'il a effectué plusieurs
fois ce trajet à pied et que la chienne, si bonne flaireuse
fût-elle, a arrêté sa traque à cinq mètres
du cadavre de Céline sans la découvrir. Seulement,
à ce moment du procès, la thèse de l'innocence
de Roman a déjà fait son chemin. Placardés
dans les kiosques, sur le chemin qu'empruntent chaque matin les
jurés, les titres de la presse s'en font l'écho :
«Et si Roman était innocent...»
«Le doute s'installe autour de Roman...»
«Crescendo vers l'acquittement...»
«Si Richard Roman est acquitté...»
La déposition de Paul Weisbuch, le procureur qui a dirigé
l'enquête et y a même participé durant quarante
huit heures avant de faire désigner un juge d'instruction,
est très attendue. Elle doit être l'un des grands moments
du procès. Or, le jour même de son intervention, une
nouvelle bombe est lâchée dans «Libération»
Ce quotidien, tous les participants au procès, y compris
les jurés, le parcourent souvent avant l'audience. On y trouve
un entretien de la journaliste Dominique Conil avec Paul Weisbuch.
Il a eu lieu à Lyon deux mois avant le procès, lors
d'un rapide déjeuner au cours duquel il n'a pas été
question de publication. Et surtout pas durant les audiences de
la cour d'assises.
Publié, le compte rendu de cette conversation à bâtons
rompus est un coup de pouce donné à Roman. Dominique
Conil est une amie de maître Leclerc. Son article a l'effet
attendu. De témoin, Paul Weisbuch se retrouve presque l'accusé.
Dominique Conil parle de bavure judiciaire imputable à une
erreur d'appréciation du magistrat :
«Y… est soupçonné de recel de faux billets,
écroué. Certificats médicaux en main, Y…
explique qu'il doit subir une importante opération des yeux.
Paul Weisbuch, lui, a une conviction : l'homme est coupable et son
histoire d'œil est du «cinéma» Il bloque
toute possibilité d'intervention chirurgicale. Quatre ans
plus tard, lavé de tout soupçon mais marchant avec
une canne blanche, Y… aveugle reçoit l'indemnisation
la plus importante jamais accordée à un innocent depuis
le notaire de Bruay en Artois : 200 000 Francs» Et Dominique
Conil d'achever son article par cette phrase prémonitoire
: «Une fois encore, dans la carrière de Paul Weisbuch,
sa «conviction» risque d'être mise à dure
épreuve aujourd'hui»
Prompte à renier ses idoles d'hier la presse va tirer à
boulets rouges contre le procureur. Pourtant, digne, le magistrat
retrace pour les jurés ce qu'il fit durant les quarante huit
heures de la garde à vue. Certes, il reconnaît avoir
été bouleversé par la mort atroce de Céline
: «Le spectacle de cette enfant a été pour moi
un choc. Et la première chose que j'ai faite a été
de me recueillir avant de redevenir un professionnel sans émotion
et retrouver la sérénité que doit avoir un
magistrat» Puis, pendant de longues heures, Paul Weisbuch
raconte à la Cour comment s'est déroulé l'interrogatoire
des deux hommes à la gendarmerie : «Durant toute leur
garde à vue, non seulement les deux accusés n'ont
pu communiquer entre eux, mais jamais le contenu de leurs interrogatoires
réciproques n'a été transmis à l'autre
enquêteur. Ce qui veut dire que le gendarme qui interrogeait
Roman ignorait tout de ce que disait de lui Gentil, dans une autre
pièce, et vice et versa. Des interrogatoires séparés
donc sans interférence et qui correspondaient pourtant, à
quelques détails près»
Paul Weisbuch explique à la cour quels éléments
ont été recueillis pour conforter ces doubles aveux
: traces de griffures sur les deux hommes, béance anale sur
le cadavre de la fillette correspondant à l'importance du
sexe de Roman. Ces précisions n'ont d'autre effet que de
déchaîner la colère de maître Leclerc,
et même de l'avocat général. Comme s'ils voulaient
donner l'impression d'être sur la même longueur d'ondes.
Chacun sent le procureur Weisbuch fatigué. Il est debout
à la barre depuis quatre heures et comprend mal de se retrouver
critiqué, invectivé, accusé par l'avocat de
Richard Roman d'être à la source des ennuis de son
client. Il s'excuse de quelques trous de mémoire sur des
faits datant de plus de quatre ans. D'autant qu'en qualité
de témoin il n'a pas le droit de consulter des notes.
Le président de la Cour ne saisit pas cette occasion pour
lire le procès verbal de la déposition faite par le
témoin, le 1er juillet 1991, devant le président de
la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix en Provence. Voilà
qui aurait éclairé les jurés sur la façon
dont s'est déroulée la reconstitution du crime. Voici
comment le procureur l'avait expliqué précisément
:
«En effet, j'avais donné comme instruction que les
déclarations de Gentil ne soient pas lues à Roman
et réciproquement. J'avais interdit également toute
mise en présence. J'avais même demandé que physiquement
l'un et l'autre ne puissent correspondre en garde à vue à
La Motte du Caire. De sorte que Gentil n'a pas su ce que Roman disait
et Roman s'inquiétait de savoir ce qu'avait exactement déclaré
Gentil. Le but de la reconstitution était donc de vérifier
la coïncidence éventuelle des versions des faits de
chacun. Le premier point était de localiser exactement les
lieux du crime. Pour ma part, compte tenu de ce qu'avait déclaré
Gentil, je me suis rendu préalablement vers le torrent. Après
examen des lieux je pensais que le crime avait pu être commis
dans le verger de droite où j'avais trouvé des pierres
semblables à celle utilisée pour fracasser la tête
de l'enfant. J'avais trouvé en plus des mégots de
cigarettes pouvant correspondre aux déclarations de Gentil
qui affirmait avoir fumé un joint. Gentil d'abord. Roman
ensuite m'a conduit non pas dans le verger de droite mais dans le
verger de gauche au même endroit à une allée
près, alors que personne n'avait songé à cet
endroit. Non seulement ils n'ont pas été guidés
mais, s'agissant de Roman, les gendarmes ont reçu l'ordre
exprès de ma part de tous se placer derrière lui.
De sorte que la procession était conduite par Roman qui était
en tête. En effet les gendarmes qui venaient d'assister à
la première reconstitution auraient pu tenir pour acquis
les indications de Gentil. En ce qui concerne la participation de
Roman à cette reconstitution, je l'ai averti des raisons
pour lesquelles je la conduisais ainsi, je lui ai dit que j'avais
pris acte de ses aveux mais que pour moi il importait de vérifier
si matériellement ce qu'il me disait était possible.
Il m'a répondu qu'il comprenait cela car il avait lui-même
l'esprit scientifique. Il va sans dire que s'il avait refusé,
cette reconstitution n'aurait pas été possible.
En ce qui concerne la pierre que j'ai fait placer sous scellés
pendant cette reconstitution, il s'agit d'une pierre qu'il m'avait
désignée. Dans un premier temps, il avait pris une
petite pierre qui se trouvait à côté du mannequin
car je lui demandais de refaire son geste. Il m'a indiqué
qu'il s'agissait en fait d'une pierre beaucoup plus grosse et plutôt
ronde et il m'en a désignée une de ce type qui se
trouvait un peu plus loin. C'est alors moi qui ait mimé son
geste sur ses indications, un cliché photographique a d'ailleurs
été pris : toute la scène a d'ailleurs été
filmée en vidéo. Un procès verbal a été
dressé de ce placement sous scellés de la pierre désignée.
Je n'ai posé aucune question à Roman durant la reconstitution.
L'invitant à reconstituer ses gestes spontanément.
Comme des points de divergence existaient entre sa version des faits
et celle de Didier Gentil, j'ai demandé aux enquêteurs
de poursuivre l'audition de Roman et de Gentil en ce sens. Roman
a alors donné des indications d'une extrême précision
qu'il n'avait pas fournies lors de la reconstitution. Je tiens à
rappeler que les reconstitutions en question se sont succédées
chacune hors la présence de l'autre mis en causé»
La lecture de cette déposition est omise. Du même coup
le film muet, tourné à chaud et projeté aux
jurés ne paraît pas convaincant. Malaise. Le procureur
est même suspecté d'avoir dicté à Roman
ses faits et gestes.
L'article de «Libération» porte ses fruits. Notamment,
cette réflexion de Paul Weisbuch à Dominique Conil
: «Je suis un peu un Ayatollah, un peu psychorigidé»
Paul Weisbuch raconte sa jeunesse avec son père qui se cachait
dans le Vercors pour échapper aux Allemands. Il est plus
tard le président de la Liera pour les Hautes Alpes ; «Être
juif dans les écoles de campagne, vous ne savez pas ce que
c'est. Il faut déjà ne pas se détruire. C'est
ma petite histoire de juif, et encore même pas un vrai, un
bâtard...» Ses propos ne lui sont pas pardonnés,
pas plus que ses certitudes au moment de l'enquête, même
s'il se basait sur des aveux confortés par de nombreux témoins
qui ont vu Roman par deux fois ce soir là au village, par
les traces de gouttes d'eau sur sa voiture, par le rapport d'autopsie
attestant d'une corrélation entre les blessures constatées
sur la fillette et l'anatomie de Roman. «Et je n'avais pas
encore en main à cet instant, précise le procureur,
les analyses des cheveux et de la terre retrouvés dans sa
voiture» Harcelé par les défenseurs de Roman
comme par l'avocat général, Paul Weisbuch est à
deux doigts de s'en aller, persuadé d'être tombé
dans un piège. Le moment lui semble venu de moucher ceux
qui l'accusent. Ce qu'il dit devrait provoquer l'arrêt du
procès pour vice de forme : «Par honnêteté.
Monsieur le Président, je dois vous dire que depuis la chambre
des témoins, nous entendons tout ce qui se dit ici, et surtout
si l'on parle fort»
L'incident devrait être un motif de cassation car l'article
325 du code de procédure pénale stipule clairement
que les témoins doivent être isolés et ne rien
connaître des débats avant de déposer. Paul
Weisbuch explique qu'il signale cette anomalie, parce que des témoins
ont fort bien pu modifier leurs dépositions après
avoir entendu celles de leurs prédécesseurs. Ce qui
reste évidemment à démontrer. Mais, c'est vrai,
d'autres témoins ont avant eux dressé de Richard Roman
un portrait peu flatteur. Ainsi un retraité, Jacques Vallot,
qui l'a aidé dans ses travaux, et quitté par peur
: «Parce qu'un jour, il a égorgé son chien.
Il le portait dans ses bras, il est allé dans sa cave et
je l'ai vu le dépecer avant de broyer sa chair dans son mixer.
Alors j'ai eu peur et j'ai demandé à un ami de venir
me chercher»
Un autre témoignage est lu par le Président. Il s'agit
cette fois d'un adolescent que Roman a connu deux ans avant le crime
dans un lieu de vie et qui raconte les pratiques homosexuelles de
«l'indien» Antoine Davendorfer, un ancien éducateur
de ce centre, confirme cette tendance à la pédophilie
de l'accusé. D'autres, son homosexualité. Celle-ci
est certifiée par des psychiatres comme le docteur Glezer.
Un autre, le docteur Boukson, précise que Roman était
prédisposé à devenir un chef de secte : «Il
avait un fort ascendant sur Gentil, comme sur toutes les personnes
qui venaient chez lui. C'est ainsi, ajoute t-il que commencent les
sectes» Or, lors de ses premiers aveux, Didier Gentil n'a
t-il pas affirmé que le soir du drame, Roman lui avait demandé
de lui amener une jeune fille pour la sacrifier en hommage à
une divinité Inca...?
RÉQUISITOIRE
ET PLAIDOIRIES
Parvenu
ou presque au terme de ce procès, il aurait été
logique de trouver des parties civiles soudées, des avocats
unis représentant la mère, le père, les oncles
ou les grands-parents de Céline, ou encore des associations
comme «Enfance et partage» ou la «Ligue nationale
pour la protection de l'enfance martyre» Au premier jour du
procès, les robes noires n'étaient pas moins de sept,
pour demander réparation et condamnation des deux accusés.
Or avant les réquisitions de l'avocat général
on les sent soudain hésitantes, divisées. Il est devenu
évident que Michel Legrand, représentant du parquet
sera indulgent à l'égard de Roman. Avant qu'il ne
requière, nombreux sont ses collègues de Grenoble
à lui suggérer la prudence. Tous sont inquiets de
la dérive du procès et du glissement progressif de
l'accusation. Une conversation amicale a lieu dans un bureau du
palais de justice entre plusieurs magistrats soucieux de prodiguer
de bons conseils à leur collègue. Celui-ci a mal reçu
cette intervention en forme de pression et s'est irrité de
cette démarche corporatiste. D'autant que son supérieur
hiérarchique, le procureur général Albarède,
a envisagé de prendre sa place en plein procès, en
allant s'installer dans le fauteuil de l'accusation. On le disait
inquiet de voir son subordonné abandonner peu à peu
le rôle pour lequel il a été désigné.
Mais craignant la campagne que ne manqueront pas de déclencher
les défenseurs de Roman et son comité de soutien en
criant au scandale, au coup monté, le procureur général
Albarède a fini par renoncer à ce projet. Ce qui,
par la suite, ne va pas l'empêcher d'interdire à Michel
Legrand de commenter son réquisitoire au micro des radios
périphériques, comme il s'y était engagé
auprès de leurs représentants. Ensuite il devra quitter
le palais de justice protégé par un cordon de police,
tant le père de Céline lui en veut. Alors, comme s'ils
avaient eu connaissance de ce flottement au sein de l'accusation,
les avocats des parties civiles montent au créneau en ordre
dispersé, se disant tous plus ou moins troublés par
l'évolution des audiences. Sauf, bien évidemment,
maître Garaud, nostalgique de la peine capitale et pourfendeur
des assassins d'enfants, le seul ou presque à rester persuadé
de la culpabilité des deux hommes.
Maître Yves Éric Massiani préfère ne
pas plaider, justifiant son attitude par le fait que le président
Fournier a rejeté ses trois requêtes :
- Une nouvelle reconstitution.
- L'audition du juge qui a réincarcéré Roman
après sa mise en liberté.
- Un nouvel examen psychiatrique de Didier Gentil.
«Je crains, suggère t-il, que l'on n'aille à
l'acquittement de Roman alors qu'aucun de ces doutes n'a été
levé»
Quant à Me Michel Paliard, devant la famille de Céline
médusée, il va jusqu'à devancer l'avocat général
:
«La vérité judiciaire de ce dossier fait que
vous serez amenés à acquitter Roman»
Celui-ci n'en demande pas tant, tandis que devant ce monde à
l'envers, Me Alain Lhote ne sait plus trop quoi plaider. Il le fait
cependant dans une grande et belle plaidoirie, laissant tout de
même planer le doute en s'adressant directement à Roman
:
«Êtes-vous l'homme innocent accusé par un pantin
judiciaire et broyé par une garde à vue ? Êtes-vous
un supplicié de la religion de l'aveu ? Si vous êtes
innocent, j'ai de la compassion pour vous. Si vous êtes coupable,
il vous faudra vivre avec l'image de l'enfant et vous vous enfermerez
dans une prison intérieure dont nul ne pourra jamais vous
délivrer»
A cet instant, Richard Roman pleure. Il n'est pas le seul.
L'avocat de la mère de Céline, le bâtonnier
Raoul Légier, ne profite pas de l'instant et n'a pas ces
accents émouvants qui seuls peuvent retourner un jury. Il
n'a pas de haine non plus dans ses propos. Comme beaucoup d'autres,
le doute l'habite mais, coincé par sa cliente qui n'en a
aucun, il s'en tire par une suggestion:
«J'ai la conviction profonde que les deux hommes se sont,
ce soir-là, rencontrés. Peut-être Roman n 'a
t-il rien fait de mal ? Mais alors, qu'il lève ce voile de
mystère et il pourra être acquitté au bénéfice
du doute»
Au nom du père de Céline, maître Jean-Michel
Pesenti, se lève à son tour. On attend de ce jeune
espoir du barreau marseillais plus que des battements de cils et,
sinon de grandes envolées, du moins une démonstration
éclatante de la culpabilité des deux accusés.
C'est, en tous les cas, ce qu'espère son client Gilbert Jourdan.
Or, en guise d'envolées, il ne quitte guère sa branche,
tout en se plaçant dans le sens du vent : «Messieurs
les jurés, par pitié, soyez justes»
Ainsi, la brèche est-elle béante pour le réquisitoire
du ministère public. Michel Legrand n'a plus qu'à
s'y engouffrer, glissant, si l'on peut dire, sur le banc de la défense,
par des propos qui provoquent le départ immédiat de
la salle d'audience, de toute la famille de Céline dont la
maman, une fois encore doit avoir recours au SAMU. Ce qui lui évite
d'avoir à entendre des mots auxquels personne n'aurait songé
trois semaines plus tôt :
«Roman, dans votre dossier je n'ai rien trouvé. Je
n'y vois ni preuve, ni indice. C'est pourquoi je demande aux jurés
de prononcer votre acquittement»
Certes, depuis plusieurs jours, Michel Legrand n'a caché
à personne qu'il en arriverait là, menaçant
même des témoins trop complaisants à ses yeux,
fustigeant aussi les enquêteurs, sans ménager non plus
son collègue le procureur Weisbuch, avec ces propos lourds
de conséquences :
«Le chef Ramette et le procureur Weisbuch ont amené
à la justice quelqu'un contre lequel il n'y avait pas de
preuves»
A ce propos il est permis de se demander pourquoi M. Legrand, qui
avait bien dû jeter un coup d’œil sur le dossier
avant d'accepter le siège de l'accusation, ne s'est pas aperçu
plus tôt de la vacuité de ce dossier ? Et surtout pourquoi,
au vu de ce même dossier, il s'en est allé, un mois
auparavant, assurer le père de Céline de la condamnation
de Roman ? Que n'a t-il avant l'audience, dénoncé
l'inutilité d'un tel procès avant de le prétendre
truqué ? Que n'a t-il crié au scandale pour dire que
vingt personnes, des gendarmes, gradés ou non, un procureur
et cinq juges d'instruction s'étaient trompés ou avaient
menti, voire falsifié la vérité ?
Cette prise de position tardive ne laissera pas d'inquiéter
et de poser question : ne fallait-il pas le dire avant, plutôt
que de courir le risque d'expédier aux enfers un innocent
?
Que des jurés découvrent un dossier au fil des audiences,
c'est le principe même de la cour d'assises, mais qu'un avocat
général, censé l'avoir étudié,
avoue que celui-là est vide de charges, est pour le moins
étrange. La réponse à ces questions n'est certes
pas pour demain, mais les propos du magistrat, en plein prétoire,
ont laissé chez ses pairs et au sein de la gendarmerie des
cicatrices qui ne se fermeront pas de sitôt. Ne les a t-il
pas en effet suspecté tous, sinon de malhonnêteté
du moins d'incompétence ? Ne serait ce que par ces derniers
mots :
«On ne peut pas résoudre une affaire criminelle et
faire le procès d'un homme en se basant sur son regard, sur
ses pieds nus et sur son drôle de chapeau. Ce n'est pas un
élément à charge, c'est du subjectivisme. On
ne peut pas condamner sur de vagues impressions»
II va encore plus loin, l'avocat général Legrand quand
il termine son réquisitoire :
«Est-ce que dans ses aveux, lorsqu'il a adressé une
prière à Dieu, il n'avait pas un revolver sur la tempe
? »
Propos qui sont encore commentés dans bien des brigades de
gendarmerie. Dès lors, le trio composant la défense
de Roman n'a plus qu'à enfoncer le clou. Tous trois rendent
hommage à l'avocat général avant de déclencher
un second tir de barrage.
Maître Henri Leclerc, d'abord, contre la presse dont il sait
pourtant se servir en cas de besoin. Il l'accuse de lynchage médiatique,
allant même jusqu'à fustiger le manque d'impartialité
des confrères qui ont suivi ce triste fait divers dès
son origine, à une époque où il ne s'était
pas encore vu confier le dossier par la famille Roman. Contre les
gendarmes ensuite, qui n'ont pas été de taille à
assurer une telle enquête et qui, selon lui, ont fait de Roman
un coupable simplement parce qu'ils ne l'aimaient pas.
«Parce qu'il était différent, souligne maître
Molla, qu'il préférait la compagnie du lièvre
et du sanglier à celle des hommes, parce qu'il dansait dans
les bois et parlait aux arbres. Parce qu'il était sale et
sentait mauvais et que ses fromages n'étaient pas bons»
Enfin, contre le procureur Weisbuch : «Je vous en veux d'avoir
confié à des gendarmes bouleversés, la responsabilité
d'interroger Roman. Je vous en veux de l'avoir laissé seul
avec le chef Ramette, car les aveux qu'il a recueillis, non seulement
ne tiennent pas, mais prouvent son innocence»
Le sort de l'un des accusés pratiquement réglé,
il reste à défendre le second : Gentil. Pas facile
avec, à l'inverse de Roman, une défense divisée.
D'un côté, Henri Juramy bien décidé à
charger Roman pour éviter le pire à son client. De
l'autre, maître Saint-Pierre, de Lyon, et Corinne de Romilly,
d'Aix en Provence, tous deux entrés dans ce dossier grâce
à maître Juramy qui va s'estimer trahi par ses deux
jeunes confrères.
En pleurs, maître de Romilly préfère renoncer
à prendre la parole, se refusant à charger un homme,
devant de toute évidence, être acquitté un peu
plus tard. Maître Saint-Pierre, lui, n'hésite pas à
disculper Roman. Il sait pourtant qu'adopter cette attitude revient
à enfoncer celui dont il est en principe, chargé de
tout faire pour alléger sa peine. Il réclamera cependant
aux jurés, avec beaucoup d'émotion car son talent
est certain, les circonstances atténuantes, expliquant que
toutes les statistiques prouvent que 60 à 70% des enfants
violés - ce qui a été le cas de Gentil - reproduisent
un jour ou l'autre leur souffrance sur autrui.
Plaidant en dernier, Henri Juramy n'abonde pas dans ce sens. Il
souhaite démontrer que Gentil, s'il est un violeur n'est
pas un tueur. Cette démarche va le contraindre, à
l’encontre de son prédécesseur, à charger
le plus possible Roman. Durant près de deux heures, aux limites
de l'épuisement, il se livre avec fougue, talent oratoire
et imprévisibilité, à un véritable réquisitoire
contre le berger des plaines. Seul moyen pour lui, du moins l'espère
t-il, de tirer Gentil de l'ornière dans laquelle l'ont enfoncé,
durant trois semaines, tous les acteurs de ce procès quels
qu'ils soient, et qui tous, pour sauver Roman, ont fait de Gentil
le bouc émissaire.
Henri Juramy, de sa voix puissante à l'accent inimitable
que n'aurait pas reniée Raimu, utilise toutes les ficelles,
les astuces, voire les outrances de ce métier qu'il connaît
sur le bout des doigts pour le pratiquer depuis trente ans. Tant
et si bien que sa plaidoirie sera le seul réquisitoire du
procès, faisant planer sur les jurés le spectre de
l'erreur judiciaire s'ils devaient condamner pour meurtre son client
:
«Ce verdict d'acquittement que l'on vous réclame pour
Roman, vous placera entre le guêpier et le nœud de vipères.
Le guêpier, parce qu'il ne satisfera personne, et surtout
pas la famille de Céline. Le nœud de vipères,
c'est que l'on apprenne un jour la vérité dans des
conditions atroces si Roman devait être libéré.
Ce serait un verdict de malheur et j'ai bien peur que ce l7 décembre
1992, à Grenoble, la justice française ne soit marquée
d'une pierre noire ! »
Prenant la défense des enquêteurs et du procureur,
Henri Juramy s'emporte :
«Ils ont été attaqués par mes confrères
d'en face et par l'accusation. C'est un scandale ! Monsieur Weisbuch
est un homme honnête. Mais quand un gendarme «souffleur»
et un procureur «SS» ne savent pas les choses, ils ne
peuvent pas les souffler. Si Roman a avoué certains détails,
c'est qu'il était le seul à les connaître»
Puis rappelant certains témoignages relatant une violence
latente chez Roman, l'avocat s'adresse aux jurés comme dans
un sketch :
«Vous avez quelqu'un dans vos relations qui a égorgé
son chien, l'a dépecé pour le broyer ensuite dans
son mixer ? Vous avez beaucoup de vos amis qui écrasent des
rats sur la table, au beau milieu de leurs convives ?
Vous en connaissez de vos fréquentations qui écrasent
des poussins sous leur pied devant des enfants ?
Moi je vous dis qu'un homme capable de toutes ces violences est
capable de bien d'autres»
Et de reprendre ensuite les sept points, qui selon lui, font de
Roman un coupable : «Le cheveu dans la voiture ; le cheveu
sur son pull ; la terre dans sa voiture ; les gouttes d'eau sur
son toit ; ses mensonges ; ses aveux ; les témoins»
«Ne foulez pas aux pieds ces témoins, s'écrie
Henri Juramy. Si vous l'acquittiez, ce verdict remettrait le feu
aux poudres. Vous êtes en train de commettre l'erreur de votre
vie. Et si vous l'acquittez, il ne le sera qu'ici, car toute la
France le sait coupable. Ce serait une faute majeure»
Délaissant quelques instants Roman, l'avocat s'intéresse
à son client pour soutenir qu'il n'a pu agir seul, mais bien
sous l'influence de son gourou, de son maître à penser
: Roman.
«Vous ne lui ferez jamais dire qu'il a tué, parce qu'il
n 'a pas tué, même si d'étranges missionnaires
ont fait pression durant des mois sur lui, en l'inondant de lettre
le suppliant d'innocenter Roman»
Enfin l'avocat ne veut pas terminer sa plaidoirie réquisitoire
sans s'en prendre à l'entourage de Roman.
«Je ferai Camerone, je tirerai jusqu'à ma dernière
cartouche pour dénoncer un verdict fabriqué. Les amis
de Roman ont cherché à le sacraliser. C'est tout juste
s'ils ne réclament pas pour lui le mérite national.
Ce que l'on a vu ici, c'est de la comédie humaine, une lame
de fond à coups de médias qui veut depuis des années
l'acquittement de Roman, une lame de fond préparée
depuis longtemps et qui a tout submergé grâce à
un comité de soutien qui a manipulé la presse, un
juge et qui risque de vous manipuler aussi. Attention à ne
pas rendre un verdict sous influence»
Un long silence suit cette dernière envolée. Les parents
de Céline se prennent à rêver qu'elle va renverser
le cours des choses. Maître Juramy conviendra quelques instants
plus tard, qu'elle n'a pas eu assez de poids sur les magistrats
de la cour.
«Il est beaucoup trop tard. J'ai été beaucoup
trop seul. Seul contre tous. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.
Je ne lâcherai jamais Gentil car moi, je sais qu'il n'a pas
tué Céline»
LIBERTÉ
Richard
Roman se retrouve libre le 17 décembre 1993, après
plus de quatre années de prison durant lesquelles, à
l'en croire, il a plusieurs fois touché le fond. Souvent
humilié, frappé même selon ses dires par les
gardiens de prison, d'autres fois par les détenus qui ont
une sainte horreur de ceux qu'ils surnomment les «pointeurs»
et horreur également des tortionnaires d'enfants.
Libre mais obligé de se cacher aussitôt, redoutant
la vengeance de ceux qui restent persuadés de sa culpabilité.
Et dont le raisonnement est simple pour ne pas dire simpliste :
«A la voix d'un juré près, il serait aujourd'hui
en prison pour trente ans. Comment voulez-vous qu'on le croie innocent?
»
C'est donc sous protection policière que Richard Roman quitte
la prison de Varces une fin d'après midi de décembre
non sans accorder quelques mots aux représentants de la presse
accourus pour une interview qui n'a rien d'improvisée :
«Je suis tellement démoli socialement, relationnellement.
Il me faudra renaître. Je voudrais vivre à la campagne
de nouveau, être amoureux. Je voudrais avoir des enfants.
Je crois que pendant dix ans je vais partir de la France pour aller
aider un pays en voie de développement»
Pas de confidences ce soir-là, puisqu'il a été
décidé qu'il les réserverait aux journalistes
amis, ceux qui l'ont soutenu, transformant souvent leurs articles
en plaidoyers plutôt qu'en comptes rendus. C'est ainsi que
deux jours plus tard, on découvre la photo de Roman aux côtés
d'un cheval au galop et près des siens, de ses avocats comme
des membres de son comité de soutien. Photo prise dans une
propriété de Crolles, dans l'Isère, près
de Grenoble, lors d'un raout préparé de longue date,
bien avant le verdict. Photo parue dans «Libération»,
puis «L'événement du jeudi» et «Le
journal du dimanche» dans lesquels Roman s'explique sur son
attitude à l'audience, qui avait paru trop tranquille :
«C'est mon tempérament, je ne suis pas très
exubérant. Et je priais beaucoup. Je n'ai jamais autant prié
que pendant le procès. Le fait de pleurer c'est ma façon
de réagir. Une larme c'est aussi un cri. Je ne sentais pas
l'hostilité de la salle. C'est le premier matin qui a été
le plus dur, avec la lecture de l'arrêt de renvoi. J'ai dit
: ce n'est pas la vérité. Ensuite j'ai beaucoup regardé
la mère de Céline, même si elle ne m'a pas vu.
Mais je ne pouvais pas la fixer, ça aurait été
pire. Le moindre cillement d'elle me faisait pleurer»
Plus tard, Richard Roman s'est en quelque sorte adressé aux
parents de Céline par le truchement de «L'événement
du jeudi», alors que jamais durant le procès il n'a
songé à le faire, ne serait ce que pour leur crier
son innocence. Pas même le jour où la mère de
Céline est venue déposer à la barre en se tournant
vers lui, suppliant dans un sanglot : «Je veux savoir qui
a tué mon enfant»
Ce n'est qu'après sa mise en liberté que l'on a donc
pu lire des propos que les parents de Céline auraient souhaité
entendre avant. «C'est trop tard aujourd'hui, a expliqué
Gilbert Jourdan. Qu'il nous fiche la paix, qu'il se taise, qu'il
fasse silence. S'il a des comptes à demander qu'il s'adresse
à la justice. Qu'attend-il d'ailleurs pour exiger des réparations?
Pourquoi n'engage t-il pas un procès en responsabilité
contre les gendarmes? Qu'attend-il pour mettre en cause le juge
d'instruction qui l'a placé en détention? Où
sont les actions contre le procureur Weisbuch? Il faut que lui-même
ou ses avocats aillent jusqu'au bout et que les plaintes soient
déposées, sinon comment voulez-vous que nous admettions
le verdict de Grenoble? »
Le père de Céline a raison. Richard Roman a parfaitement
droit à des indemnités, droit de demander réparation
à la société qui l'a emprisonné pour
rien, durant quatre ans. Pour cela, il a du adresser une requête
à la commission d'indemnisation, actuellement présidée
par Jean Dardel et composée de magistrats de la cour de cassation.
Une réparation difficile à chiffrer car il a fallu
tenir compte du préjudice moral et financier subi par Roman.
Il n'existe bien évidemment aucun barème puisque,
selon les justiciables, les indemnités varient pour un même
temps de détention. D'autant qu'en ce qui le concerne, la
commission a fort bien pu estimer qu'en passant des aveux «même
forcé» il a également une part de responsabilité
dans sa détention. Mais peut-être la commission aura
t-elle été plus généreuse en raison
de la publicité faite autour de ce drame durant des années.
Et puis comment estimer l'argent qu'un marginal, vivant en pagne
et pieds nus en élevant des chèvres, a perdu. C'est
évidemment plus aisé pour un PDG ou un OS salarié.
A titre d'exemple, la commission a récemment alloué
50 000 F à un homme emprisonné durant quatre ans pour
un hold-up dans les Bouches du Rhône qu'il n'avait pas commis
Et 20 000 F à une femme après deux ans de prison pour
un assassinat auquel elle était étrangère.
Le plus célèbre indemnisé reste Jean-Marie
Deveaux, puisque la loi qui accorde réparation aux victimes
d'erreur judiciaire porte son nom, la loi Deveaux. Il avait été
accusé du meurtre barbare d'une enfant de huit ans, Dominique
Bessard, la fille d'un boucher de Bron, près de Lyon, chez
lequel il travaillait comme commis. Il avait dix neuf ans. La cour
d'assises du Rhône l'avait condamné à vingt
ans de réclusion le 7 février 1963 mais celle de Dijon,
après huit ans de prison, l'avait acquitté lors d'un
second procès, le 27 septembre 1969.
Là encore c'était le fruit d'un long combat mené
en partie par un visiteur des prisons, un père jésuite
aujourd'hui avocat, le père Robert Boyer, épaulé,
c'est vrai, par le talent d'un ténor du barreau de Lyon André
Soûler. Ils avaient été soutenus par une sorte
de comité de soutien composé de journalistes tel Frédéric
Pottecher, d'écrivains comme Bernard Clavel et Daniel Same,
d'ecclésiastiques, de ministres tels Louis Joxe, Jean Foyer
ou René Capitant, et même d'un policier M. Chavalor,
directeur honoraire de l'école nationale de police de Saint
Cyr Au Mont d'Or.
Depuis 1805, il avait été le premier justiciable bénéficiaire
d'un second procès sur pourvoi du garde des Sceaux «dans
l'intérêt de la loi et du condamné» Et
pourtant, comme Richard Roman, il était passé aux
aveux complets, donnant des détails sur la mise à
mort effroyable de l'enfant, éventrée et égorgée
avec un couteau de boucher.
Premier en France à bénéficier d'un second
procès, mais premier également à bénéficier,
après son acquittement, de la loi dédommageant les
erreurs judiciaires. En 1972, la Trésorerie générale
lui avait versé 125 000 F, une indemnité calculée
pour ses huit ans de prison sur la base du salaire d'un commis boucher.
«Cette somme est dérisoire à côté
de la souffrance que j'ai endurée» avait seulement
déclaré à l'époque Jean-Marie Deveaux.
D'autres, comme Roland Agret, ont pu bénéficier de
cette loi. Il avait été acquitté le 25 avril
1985 à Lyon après avoir été condamné
le 28 avril 1973, par la cour d'assises du Gard, à 15 années
de réclusion pour le meurtre d'un garagiste dont il aurait
été le commanditaire. Devant ses juges de Lyon, il
avait expliqué que son combat était une affaire d'honneur
et pas d'argent et qu'il renonçait à se faire indemniser.
Par la suite, il avait, par l'intermédiaire de son avocat
maître Guy Berman, introduit une demande devant la commission
d'indemnisation pour un montant jalousement tenu secret. Là
encore, cet acquittement n'avait été que le fruit
d'un long combat de l'accusé. Grèves de la faim, ingestion
en cellule de stylos et de 17 manches de fourchettes ou de cuillères,
nécessitant plusieurs interventions chirurgicales. Agret
n'avait pas hésité à se couper, à deux
reprises, les phalanges de deux de ses doigts de la main d'où
le titre de son livre relatant son combat : La justice à
deux doigts près. Le tout appuyé par l'action de l'écrivain
Claude Mauriac et du père dominicain Jean Cardonel entre
autres.
Depuis, Roland Agret se bat pour tous ceux qui se révoltent
contre la Justice, ou qui, comme lui crient soit au complot, soit
à l'erreur judiciaire. Ainsi est-il venu à Grenoble
soutenir les trois gitans accusés d'un meurtre et d'un viol,
dans le procès baptisé par la presse «Le trio
à la 205 rouge» Ce qui n'a pas empêché
la Cour de condamner les trois hommes malgré leurs dénégations.
Et si certains jurés avaient pu avoir des doutes, les propos
entendus par les gendarmes dans le fourgon qui les ramenait en cellule
après le verdict, propos aussitôt notés sur
procès verbal, ont dû les rassurer : «Je t'avais
bien dit qu'on aurait dû la buter cette salope» Ils
parlaient ainsi de la jeune femme à qui ils avaient fait
subir les derniers outrages, ce qu'ils avaient énergiquement
contesté durant tous les débats. Mais le procès
était fini.
Fini aussi celui de Richard Roman qui savoure désormais sa
liberté retrouvée, non sans avoir repris son errance.
Et comme il ne possède aucun repère, il semble avoir
du mal à retrouver son équilibre, son monde n'étant
semble t-il pas le nôtre. Mangeant à n'importe quelle
heure, habitant chez l'un un jour et le lendemain chez l'autre.
Tantôt en ville, tantôt à la campagne, supportant
mal les appartements et la vie civilisée. Par deux fois déjà
il a craqué. La première a été cachée
par ses proches mais la seconde est parvenue aux oreilles de la
presse qui en a fait mention le 13 mai 1993 par des titres qui n'ont,
à l'époque, pas fait réagir ses défenseurs
: «Richard Roman sombre dans la folié» «Parisien
Libéré» «Richard Roman interné»
«Le Dauphiné Libéré» et «Le
Progrès», «Roman a fini par craquer» «France-Soir».
Dans la nuit du 23 au 24 avril 1993 en effet l'équipage d'un
car de police découvre Roman pieds nus, criant, gesticulant,
tenant des propos incohérents à caractère religieux
dans le 5ème arrondissement de Paris.
«Libération» sous l'inévitable signature
de Dominique Conil et un titre informatif «Séjour psychiatrique
pour Richard Roman» explique : «En fait Richard Roman,
après avoir harangué les passants pendant quelques
heures à proximité de l'Institut du Monde Arabe, a
été ramassé par Police Secours et conduit à
l'infirmerie de la Préfecture. Son état confusionnel
- et non un diagnostic de dangerosité - lui a valu de se
retrouver hospitalisé. Un épisode délirant
comme il en a déjà connus, et sur lesquels il avait
dû s'expliquer lors du procès fleuve de Grenoble. Les
sorties de prison sont souvent difficiles, celle de Richard Roman
sans doute plus que d'autres. Innocenté mais contraint de
vivre discrètement en raison des menaces qui pèsent
sur lui, libéré, mais pas plus inséré
socialement aujourd'hui qu'hier, il a d'abord traversé une
phase euphorique, avant d'accuser un sérieux contrecoup.
Entouré par ceux qui l'ont soutenu lors de son affaire, transformé
physiquement, il est venu en février remercier son comité
de soutien. Souriant, détendu, il ne ressemble plus à
l'homme photographié dans le box, au regard trop pâle
sous les flashes. Comme il l'avait annoncé lors de sa sortie
de prison, Richard Roman effectue des démarches pour quitter
la France. Son séjour parisien prolongé précipitant
sans doute le phénomène de décompensation lié
au stress du procès. Richard Roman traîne dans les
Halles, s'enthousiasme pour un Imam rencontré dans un foyer,
dort chez les uns et les autres et s'éloigne de son comité
de soutien. Il décide alors de ne plus accorder d'entretien
et d'une manière générale de ne plus parler
de «l'affaire» Il ne supporte pas qu'on veuille organiser
ou normaliser son existence mais n'est guère en situation
de la gérer lui-même. Comme en atteste l'interpellation
de l'Institut du Monde Arabe : un de ces «troubles à
l'ordre public» fréquents mais qui trouve un tout autre
écho lorsqu'on s'appelle Richard Roman»
Entré le 24 avril à l'hôpital de Maison Blanche,
Roman quitte cet établissement dix sept jours plus tard.
Non sans que son avocat, maître Leclerc commente ce séjour
:
«Quand un homme comme lui, fragile, a subi ce qu'on lui a
fait subir pendant quatre ans, ce n'est pas très étonnant
qu'il dérape un peu» Propos recueillis par le «Parisien
Libéré» daté des 15 et 16 mai 1993 comme
ceux de Gérard Bouvier, le président de son comité
de soutien : «C'est un être complètement démoli.
Ses quatre ans de prison, les soupçons qui le poursuivent
encore, les rumeurs, le procès ont laissé des traces
indélébiles. Et le mal ne fait qu'empirer. Lorsqu'il
est sorti de prison, lavé de l'accusation d'avoir tué
la petite Céline, il était bien. Il pensait pouvoir
refaire sa vie. Mais la réalité est dure. Personne
en France ne voudrait l'avoir comme voisin. Qui lui donnera du travail?
Le passé est toujours là. Toutes les tentatives se
sont soldées par des échecs. Alors il vit au jour
le jour, et les issues semblent de plus en plus lointaines. Il ne
supporte aucune structure. Dans un appartement il déplace
tout, devient vite difficile à supporter. Il n'aime que les
animaux et les plantes. Il avait, pendant dix ans, réalisé
son rêve avec sa bergerie de La Motte du Caire, et on lui
a cassé son rêve et sa vie. Il ne retrouvera peut-être
jamais son équilibré»
A l'issue de cet incident, son frère Joël tient à
peu près les mêmes propos. Et tous ses proches d'ajouter
en forme de réquisitoire : ce qu'on lui a fait subir n'est
sans doute pas étranger à tout ça.
C'est tout juste si ses proches ne laissent pas entendre que cette
crise n'est que la conséquence du drame auquel il a été
mêlé et dont on l'a blanchi. C'est oublier que, par
deux fois avant le drame, Roman avait été hospitalisé
: du 28 mai au 22 juillet 1982 à Clermont dans l'Oise, puis
du 22 au 27 juillet de la même année à Dijon.
Ce qu'il a d'ailleurs admis au cours de son procès. Les deux
fois il avait tenté une «expérience» en
pratiquant l'ascèse. Sans manger et sans dormir, en marchant
sans cesse, il avait voulu aller jusqu'au bout de lui-même
par une expérience de folie délibérée.
Cette recherche de la destruction de sa personnalité devait
lui permettre de «gagner en mobilité psychiatrique»
Une double expérience qui n'a pu, chez ce personnage fragile,
que laisser des séquelles, même si son incarcération
et son procès n'ont fait qu'en rajouter.
L’AUDIENCE
CIVILE
Lors
des procès d'assises, les audiences civiles se déroulent
la plupart du temps dans la foulée. Parce qu'elles n'intéressent
guère que les parties civiles en quête de dommages
et intérêts, il est bien rare que les journalistes
y traînent leurs guêtres. En général,
elles se déroulent sans effets de manches, à mots
couverts, dans une ambiance feutrée, les avocats se bornant
à déposer leurs conclusions, chiffrant les préjudices
subis, qu'ils soient moraux, financiers ou ceux du prix de la douleur.
Si le 17 décembre au soir, cette audience s'était
déroulée, comme de coutume, quelques minutes après
le verdict des jurés, la sérénité y
aurait sans doute gagné, évitant ainsi, six mois plus
tard, de raviver des plaies béantes. Mais c'est sans doute
pour éviter des incidents en maintenant dans le palais de
justice une certaine pression que le président Foumier a
estimé devoir repousser à plus tard cette audience
là.
D'autant qu'il fallait prévoir une sortie de prison médiatique
pour Richard Roman, suivie d'une mini conférence de presse
sous l’œil des caméras de la télévision.
Rencontre avec la presse prévue depuis plusieurs jours déjà,
tant la famille de Roman, ses avocats et son comité de soutien
étaient persuadés de son acquittement. En accord avec
le parquet général, des journalistes proches de Roman
avaient, avant le réquisitoire de l'avocat général,
préparé un registre sur lequel ont dû s'inscrire
tous ceux qui souhaitaient se trouver éventuellement à
cette sortie de prison très protégée. Cette
liste «d'accrédités» a été
ouverte quatre jours avant la fin du procès, c'est à
dire bien avant les plaidoiries des avocats de la défense
et par conséquent bien avant la délibération
des jurés.
Comme si le sort des deux accusés avait été
décidé à l'avance, comme si les trois magistrats
de la cour savaient, avant que les jurés se décident,
ce qu'ils allaient décider.
C'est en raison de ce verdict quasi programmé que l'audience
civile n'a pas eu lieu à l'issue du procès comme c'est
pourtant la coutume. Six mois plus tard, c'est vrai, les passions
étaient retombées. Pas de jurés le 8 juin 1993
au matin, que des magistrats. Trois : le président Foumier
et deux assesseurs, moins de policiers dans la salle, moins de gendarmes
dans le box, trois au lieu de neuf. Moins de journalistes aussi.
Et surtout un seul accusé, Didier Gentil. Moins d'avocats
également, mais un nouveau venu, Gilbert Collard, du barreau
de Marseille, remplaçant maître Pesenti dont le père
de Céline n'a plus voulu.
La cour a très brièvement entendu quelques parties
civiles, réclamant le franc symbolique pour «Enfance
et partage», 500 000 F pour la mère de Céline,
Joëlle Maurel, mais les réclamant au seul Didier Gentil,
celui-ci étant le seul condamné.
Seulement, avec maître Collard, il allait en être tout
autrement. S'appuyant sur la jurisprudence et sur un récent
procès qui a vu une boulangère de Reims acquittée
pour le meurtre d'un jeune beur, mais condamnée à
verser à sa famille des indemnités, l'avocat marseillais
a brandi l'article 372 du Code de procédure pénale.
Qui stipule que la partie civile «dans le cas d'un acquittement,
peut demander réparation du dommage résultant de la
faute de l'accusé telle qu'elle résulte des faits
qui sont l'objet de l'accusation»
Or, pour maître Collard donc pour le père de Céline,
la «faute civile» de Richard Roman découlerait
de «l'influence considérable qu'il exerçait
sur Gentil qui le percevait comme un gourou, comme un mage vivant»
Du coup, Richard Roman, bien qu'absent juridiquement et physiquement,
s'est retrouvé à nouveau au centre des débats.
Et maître Collard de s'appuyer sur les rapports des psychiatres
estimant «que Roman soit ou non coauteur du délit,
on peut affirmer qu'il a eu sur Gentil une influence considérable
de nature à dissoudre un surmoi bien précaire, à
libérer des pulsions sexuelles latentes au nom d'une idéologie
ésotérique à finalité obscure»
Ainsi maître Collard a t-il posé d'emblée l'affirmation
de la responsabilité morale de Richard Roman reprenant ses
propres termes : «C'était l'accès à une
certaine folie qui m'intéressait, plutôt que la folie
elle-même qui est toujours limitée. Je voulais arriver
à une maîtrise de cet accès. Dans un certain
sens, mon but était de vérifier l'accessibilité
à la folié» Et pour démontrer l'influence
de Roman sur Gentil, il a rappelé les propos de Gentil décrivant
Roman : «Avec lui, j'étais comme un automate, obéissant
au doigt et à l’œil. Il aurait pu me faire faire
n'importe quoi» Et d'ajouter : «Quand on vient chez
lui, on ne sait pas quand on repart, on oublie tout, les lois, les
interdite» Il ne fait aucun doute, selon maître Collard
que Roman a exercé sur Gentil un envoûtement : «Sans
Roman, la personnalité criminelle de Gentil n'aurait pu éclore.
On est responsable quand on agit sur autrui» En conséquence
l'avocat a demandé à la cour que Richard Roman soit
déclaré responsable du dommage résultant de
sa faute et qu'il soit condamné à verser à
la famille Jourdan la somme de 500 000 F.
Arguments qu'ont balayés évidemment les défenseurs
de Roman, dénonçant le «terrorisme intellectuel»
de maître Collard, qui s'obstine, ont-ils précisé,
à réfuter la décision des jurés de l'Isère,
et qui «continue à diaboliser et à accuser un
innocent. Il faut laisser tranquille Richard Roman qui reconstruit
aujourd'hui son corps, son âme et sa vie dans une clandestinité
indigne»
Il faut noter que dans les jours qui ont précédé
cette intervention, maître Collard a reçu plusieurs
appels téléphoniques d'avocats et de journalistes
cherchant à faire pression sur lui pour l'inciter à
renoncer à sa démarche.
Au moment où les défenseurs de Roman demandaient qu'on
le laisse tranquille, Didier Gentil a bondi dans son box, ce qu'il
n'avait jamais fait durant les trois semaines du procès :
«J'en ai marre. Je n'ai pas tué Céline. C'est
Roman le coupable. Si la justice l'a acquitté, c'est son
affaire. C'est lui, Roman, qui a tué la petite» Une
colère ponctuée de coups de pieds, de coups de poings
et d'insultes envers le président, colère vite maîtrisée
par les gendarmes présents, mais que son avocat, maître
Juramy, a aussitôt reprise à son compte. Pour rappeler
que ce cri d'innocence avait toujours été le sien,
même quand certains ont cru ou voulu entendre le contraire.
C'est vrai que lorsque durant le procès de décembre,
Didier Gentil a eu cette phrase curieuse «j'ai peut-être
rêvé que Richard était présent. Je l'ai
toujours vu avec moi. Je garderai toujours ce souvenir que Roman
était là. Je n 'arrive pas à l'expliquer. Il
y a peut-être une hypothèse. Roman était dans
ma tête et pas sur les lieux, il s'est empressé d'ajouter
: «Mais si je l'ai violée, en tout cas je ne l'ai pas
tuée» Seulement cette dernière précision
n'a guère été relevée parce qu'à
cet instant le procès avait déjà basculé.
Maître Juramy revient donc à la charge car il espère
voir le procès de Grenoble annulé par la cour de cassation
et entend faire acquitter son client lors d'un éventuel second
procès. Acquitté du meurtre de Céline mais
pas du viol qu'il reconnaît. La loi, qu'il connaît bien,
lui interdisant d'évoquer une éventuelle culpabilité
de Roman, au point que, si second procès il y avait eu, Roman
n'aurait pas comparu une seconde fois, maître Juramy s'en
est allé dans sa démonstration, avec une grande prudence,
procédant par insinuations. Le procureur général
Michel Albarède l'avait d'ailleurs mis en garde contre tout
débordement, qui aurait pour conséquence de débattre
du fond, et donc de contester le verdict rendu par la cour d'assises
de Grenoble.
Ce qui n'empêche pas l'avocat d'asséner avec force
: «Mon client, à l'heure actuelle, doit bénéficier,
au regard de la loi, comme tout justiciable, dans la mesure où
il s'est pourvu en cassation, de la présomption d'innocence.
Et tout ce que je pourrais évoquer légalement pour
sa défense sera évoqué. Car je serais infidèle
à ma mission d'avocat si j'agissais autrement» Il en
appelle en conséquence au témoignage d'un médecin
vacataire de la prison des Baumettes, le docteur Robert Sebaoun
qui aurait recueilli, lors de l'une de ses visites, des confidences
de Richard Roman d'une importance capitale, tout du moins pour la
défense de Gentil. Et cela deux ans après la mort
de Céline, c'est à dire hors de la pression des gendarmes
ou de sa fameuse logique des aveux.
Des confidences si graves que le docteur Sebaoun, avant de se confier
à la justice, avait pris le soin de consulter le Conseil
de l'ordre. Et ce n'est qu'après avoir obtenu son accord,
ainsi que la déontologie l'exige, que le médecin a
consigné entre les mains du procureur adjoint de Marseille,
Mme Baudron, une lettre destinée au président de la
cour d'assises de Grenoble, Dominique Foumier. Nous étions
le 4 décembre 1992, ce qui veut dire que le procès
avait déjà commencé.
Cette précision est importante car elle explique que ce document
n'ait pas pu figurer parmi les pièces constituant le dossier
versé aux débats de Grenoble, qui seules pouvaient
être utilisées pour éclairer les jurés.
Cela peut paraître idiot, mais la France étant un pays
de droit, il faut y respecter le droit.
Seulement ce même droit autorise un président de cour
d'assises à lire des documents parvenus en cours d'audience
et ce, en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Il ne l'a
pas fait, pas plus que ne l'a demandé l'avocat général
Michel Legrand pourtant qui en avait eu connaissance. Au point d'affirmer
en public qu'il avait un joker dans sa manche pour faire condamner
les deux accusés. Affirmation, niée par la suite dans
une controverse avec le procureur adjoint de Lyon, Paul Weisbuch,
pourtant témoin. Controverse sur laquelle nous reviendrons.
Maître Juramy, à l'audience civile enfonce le clou
pour dire que ce document escamoté lui servirait pour faire
acquitter son client du meurtre de Céline si le verdict de
Grenoble était cassé ce qui n'a pas été.
«Vous auriez dû faire citer ce témoin à
l'époque» a répliqué le procureur général
oubliant curieusement qu'à l'époque, maître
Juramy avait justement demandé à la cour de le faire
citer, ce qui lui avait été refusé. Il est
vrai qu'à l'époque le procureur général
n'occupait pas le fauteuil du parquet.
Il sera intéressant de connaître un jour le contenu
de cette lettre, témoignage bombe à n'en pas douter,
mais, qui a fait long feu parce qu'occulté.
Quant au docteur Sebaoun, interrogé par des journalistes,
il a invoqué le devoir de réserve pour refuser de
fournir le moindre détail sur les confidences que lui a faites
Richard Roman, deux ans après le drame. «C'est comme
médecin exerçant à la prison marseillaise des
Baumettes que j'ai été amené à le rencontrer.
Ensuite, j'ai agi en accord avec le Conseil de l'ordre. Je n'ai
pas le droit d'en dire plue»
Seul un second procès aurait pu lever ce voile. Il n'aura
pas lieu, le pourvoi de Gentil déposé par maître
Juramy ayant été rejeté. L'avocat se faisait
pourtant fort de faire devant une autre cour d'assises, acquitter
son client du meurtre de Céline : «On se serait trouvé
ainsi, explique t-il avec un acquittement de mon client et la cour
d'assises de Grenoble aurait alors pu prendre le nom de ce théâtre
parisien qu'on appelle l'Ambigu, puisque l'affaire Céline
serait devenue un meurtre sans coupable, ce qui s'est déjà
vu»
Comme il fallait s'y attendre la cour d'assises de l'Isère,
bien qu'elle se soit donnée quinze jours pour délibérer,
n'a pas retenu le recours du père de Céline. Le 21
juin au matin, elle a rendu son arrêt dans un désintérêt
général, comme si tous les protagonistes de ce drame
avaient depuis longtemps compris que «la chose était
entendue»
Au point qu'à 9h30, heure de la convocation, la salle était
quasiment déserte. Il y manquait même l'accusé
Didier Gentil que la justice avait tout simplement oublié
de faire sortir de sa cellule. Le temps de s'en apercevoir, d'alerter
la prison de Varces, d'y expédier une escorte gendarmesque,
l'audience a débuté avec une heure et demie de retard
pour ne durer que cinq minutes, le président Foumier se bornant
surtout à dire, ce qui était prévisible le
rejet de la demande du père de Céline ainsi explicité
:
«Considérant qu'il ne résulte pas des débats
que les griefs articulés par certaines des parties civiles
contre Richard Roman, tenant, à son mode de vie, à
sa sexualité, à ses lectures et à ses quêtes
spirituelles et philosophiques, sont constitutifs de fautes civiles,
ou sont de nature à avoir eu l'influence que, reprenant des
déclarations de Didier Gentil, leur attribuent ces parties
civiles sur la personne de ce dernier, considérant qu'il
ne résulte pas non plus des débats que ces griefs
sont en relation de consulter avec les faits dommageables dont les
parties civiles demandent réparation, la cour déboute
les consorts Jourdan de leurs demandes formulées contre Richard
Roman»
Ce jour là, Richard Roman a donc été acquitté
pour la seconde fois. Et Gentil condamné également
pour la seconde fois, mais à payer des dommages et intérêts
à tous les membres de la famille de Céline.
Je ferai grâce au lecteur du détail des sommes allouées
aux uns et aux autres, mais il faut savoir tout de même, que
seule l'association «Enfance et partage» à obtenu
ce qu'elle réclamait, à savoir le franc symbolique.
Le père, les grands parents paternels et les oncles de Céline
n'ont obtenu que 320 000 F alors qu'ils en souhaitaient 500 000,
tandis que les sommes allouées aux proches de la mère
de Céline ainsi qu'à elle-même, ne se sont élevées
qu'à 730 000 F contre l 900 000 réclamé. Autant
de sommes que devra prendre à sa charge le Fond de garantie
des victimes des actes de terrorisme et autres infractions, prévu
à cet effet, Didier Gentil, insolvable, étant incapable
de s'acquitter de ces règlements.
C'est donc au matin du 21 juin 1993 que s'est achevée l'affaire
Céline dans l'indifférence générale.
Seul un avocat était présent contre quinze en décembre,
huit journalistes au lieu de cinquante. Quant à la famille
de Céline, connaissant sans doute à l'avance la décision
de la cour, elle n'avait pas pris le chemin de Grenoble. Continuant
à espérer connaître un jour la vérité
autrement que par un second procès qui lui a indirectement
été refusé.
Quelques jours après cette décision de justice, Didier
Gentil prenait une nouvelle fois sa plume. Cette fois à l'adresse
du président Foumier qui venait de le condamner pour la seconde
fois. Lettre mystérieusement demeurée secrète
mais qui a été versée cependant au dossier
expédié à la cour de cassation.
Gentil, en termes très clairs y reconnaît une nouvelle
fois le viol de Céline, y redit une nouvelle fois son innocence
dans ce qui a suivi ce viol et accuse une nouvelle fois Roman d'avoir
commis le meurtre, mais en donnant des faits une nouvelle version
: «Contrairement à ce que j'ai déclaré
le jour de mon arrestation, je n'avais pas rendez-vous ce soir là
avec Roman. C'est tout à fait par hasard que nous nous sommes
rencontrés. Parce qu'il me cherchait, ne m'ayant pas vu à
la bergerie alors que je devais m'occuper des chèvres.
C'est après avoir su au café de M. Jourdan que je
venais de quitter l'établissement qu'il m'a cherché
et trouvé par hasard près du verger où je me
promenais avec Céline pas très loin du ruisseau. C'est
là que nous avons décidé de nous baigner et
c'est là qu'en voyant la petite toute nue on est devenu fous
tous les deux»
Nouvelle version de Gentil, la quinzième peut-être
que n'ont pas retenue les magistrats de la cour de cassation même
si elle écarte la présence de la voiture de Roman
sur les lieux.
REGLEMENT
DE COMPTE POLITIQUE
Le
procureur de la République Paul Weisbuch est sans conteste
un homme qui dérange.
Juge d'instruction à Grenoble, il dérangeait déjà,
dans les années 75, le milieu italo-grenoblois parvenant
à mettre derrière les barreaux plus d'une centaine
de ses représentants, proxénètes, souteneurs
et julots de tous poils. Parce qu'à force de patience il
était parvenu à convaincre une demi-douzaine de jeunes
prostituées à parler enfin. Des filles de joie qui
transpiraient la peur et la tristesse mais qui toutes, avaient accepté
le «deal» du magistrat : «Vous parlez, vous accusez,
et moi je vous protége»
L'incroyable, c'est qu'elles étaient venues devant le tribunal
raconter ce qu'avait été leur souffrance. Dire comment,
sous la menace, souvent les coups et la torture, des hommes indignes
de ce nom les avaient contraintes à se prostituer à
la chaîne. Dans des conditions si atroces qu'il a bien fallu
parler de traite des blanches. Car c'est à «l'abattage»
qu'elles allaient, dans de sordides cabanes de chantier, satisfaire
les envies de travailleurs immigrés usant et abusant d'elles.
Cinquante fois par jour était souvent leur lot qui les voyait
parfois enchaînées quand elles se montraient par trop
récalcitrantes. De leur calvaire, un film, «Les Filles
de Grenoble», a même été tourné
et produit par Paul Lefèvre, chroniqueur à la télévision.
A l'époque, la magistrature unanime avait rendu hommage à
Paul Weisbuch pour avoir obtenu le témoignage des filles
permettant que soient condamnés pour la première fois
à de lourdes peines leurs tortionnaires. La médaille
du Mérite national lui avait été décernée.
Menacé, victime de plusieurs tentatives d'attentat, obligé,
pour se faire oublier, de se laisser pousser la barbe, il avait
dû quitter son cabinet d'instruction grenoblois pour se voir
confier plus tard le siège de procureur de la République
de Digne dont il se serait bien passé étant donné
ce qui allait lui arriver.
C'est vrai qu'il s'agit d'un homme entier, direct, qui ne mâche
pas ses mots, même s'ils dépassent parfois sa pensée
et qui admet mal de se voir accuser quand il estime n’avoir
fait que son métier. Qui ne comprend pas que sa parole de
magistrat, d'homme tout simplement, puisse être mise en doute
et encore moins en cause. Et qui n'a pas compris qu'au procès
de Grenoble, certains aient insinué qu'il avait outrepassé
ses fonctions durant l'affaire Céline et qu'il avait commis
des faux. Car c'est bien de cela dont il s'est agi puisque le défenseur
de Roman, Henri Leclerc a ouvertement laissé entendre qu'il
avait pour une bonne part suggéré ses aveux à
Roman et qu'il les avait même manipulés.
Paul Weisbuch n'a pas compris qu'un collègue, magistrat du
parquet comme lui, l'avocat général Michel Legrand,
emboîte quasiment le pas à ces allégations.
Aussi, quand il a su que ce dernier avait, lors de son réquisitoire,
abandonné l'accusation contre Roman, suggérant son
acquittement et qu'il l'avait attaqué personnellement, son
sang n'a fait qu'un tour. Sa colère était si grande
qu'il la laissa épancher au creux de l'oreille d'une journaliste
dont il avait fait la connaissance à Digne. Conversation
téléphonique qu'il ne pensait pas destinée
à être publiée. Naïveté de sa part?
Sûrement pas, puisqu'au cours de cette conversation de trente
minutes - on le verra plus loin - il avait refusé, à
trois reprises, qu'elle soit enregistrée.
Pourtant, dans le n° 799 de «VSD», du 23 décembre
1992, six jours après le verdict de Grenoble, ses propos
sont reproduits sous le titre : «J'accuse l'avocat général
Michel Legrand de forfaiture» L'article est signé de
Sylvie lurillon et présenté par la rédaction
de l'hebdomadaire comme un entretien téléphonique
accordé à ce journal.
Qu'avait dit Paul Weisbuch au téléphone? Certes, des
propos pas très agréables pour M. Legrand, d'ailleurs
appelé par lui «Legland», reflet d'une violente
colère, de la part d'un homme s'estimant désavoué
par les siens :
«Ce qui a été fait là est une forfaiture.
C'est répugnant. C'est la première fois qu'on voit
un ministère public passer à l'ennemi, dans les rangs
de la défense et devenir le collaborateur, le supplétif
de la défense. C'est un collabo, c'est ahurissant»
Ces propos ont conduit le garde des Sceaux de l'époque, Michel
Vauzelle, à demander l'ouverture d'une enquête, confiée
aussitôt à l'inspection générale des
services judiciaires. Elle est attribuée à deux fins
limiers, Jean Geromini inspecteur général, et Jean-Pierre
Atthenont, inspecteur. Dès le 30 décembre - comme
quoi la justice peut être rapide quand elle le veut -.
Dans le même temps, le bâtonnier de l'ordre des avocats
de Paris, Georges Flecheux, avait alerté le garde des Sceaux
et protesté par lettre contre les propos de Paul Weisbuch.
Pas à titre personnel, mais à la demande de l'avocat
de Richard Roman, Henri Leclerc.
Le rapport de l'inspection générale des services judiciaires
ne comporte pas moins de deux cents pages. Au vu de ce document,
demandé, faut-il le rappeler sous un pouvoir de gauche une
sanction est prise six mois plus tard, le 30 juin 1993 : déplacement
d'office. Décision signée par Pierre Méhaignerie,
le nouveau ministre de la Justice d'un gouvernement de droite.
Les attendus en sont quelque peu courtelinesques : «Attendu
que Monsieur Weisbuch, procureur de la République adjoint
auprès du tribunal de grande instance de Lyon, lors d'une
conversation téléphonique avec une journaliste a tenu
de violents propos contre son collègue l'avocat général
Legrand (...)
(...) Attendu que ce comportement prend d'autant plus de relief
que Monsieur Weisbuch, parquetier d'expérience et familier
des médias, a couru sciemment le risque qu'ils soient portés
à la connaissance du public (...)
(...) Attendu que ces faits, constitutifs de fautes disciplinaires,
nécessitent que Monsieur Weisbuch soit éloigné
de la juridiction de Lyon au sein de laquelle il exerce ses fonctions,
Par ces motifs, décide : Article unique : «la sanction
disciplinaire du déplacement d'office est prononcée
contre Monsieur Paul Weisbuch»
Lorsqu'on lit dans le rapport des enquêteurs le compte-rendu
de la cassette transmise par «VSD» plusieurs détails
prouvent que l'interlocutrice du magistrat en colère n'a
jamais parlé d'article à paraître mais seulement
d'un livre à écrire, précise t-elle. Et lorsque
par trois fois, elle demande si elle peut enregistrer les propos
du procureur, la réponse de ce dernier est catégorique
: «non, non, non»
Dès lors, comment ne pas se demander si Paul Weisbuch n'est
pas tombé dans un piège? D'autant que, dans les morceaux
choisis de ce long dialogue (trente et une minutes, soit 15 pages
dactylographiées), il n'a pas été retenu ce
passage qui a pourtant son importance :
«Pour moi, il y a des charges contre Roman. Que la cour l'acquitte
dans le doute, je dis d'accord, ok, c'est le problème des
jurés. Chacun sa place. Il y avait dans le dossier suffisamment
de charges pour l'envoyer aux assises. Un point c'est tout. Je ne
dis pas que ça suffit pour condamner»
Ces propos tendent au moins à prouver que Paul Weisbuch ne
veut pas à tout prix la tête de Roman ainsi que l'a
dépeint maître Leclerc. Seulement ces phrases là
n'ont pas été retenues par «VSD» Tout
au plus le procureur affirma t-il qu'à ses yeux, il n'y avait
pas dans le dossier d'éléments suffisants pour imputer
le meurtre à Gentil.
Il y a toutefois plus intéressant dans ce dialogue téléphonique.
Paul Weisbuch raconte les propos tenus devant témoins et
durant le procès par l'avocat général Michel
Legrand. La scène se déroule dans un restaurant proche
du palais de justice, «le Petit Vatel» :
«Legrand m'a attiré dans un traquenard. Au cours de
ce repas il m'a fait croire qu'il était convaincu de la culpabilité
de Roman et qu'il allait requérir contre lui. Il m'a même
parlé d'un joker qu'il avait dans sa manche. Le témoignage
d'un psychiatre de la prison des Baumettes qui avait recueilli les
aveux de Roman, deux ans après les faits. Et son joker, il
ne l'a jamais sorti. Il m'a mis en confiance pour mieux m'abattre.
C'est dégueulasse. D'ailleurs avant le procès on a
déjeuné deux fois ensemble. J'ai été
totalement piégé, trahi, on m'a tiré dans le
dos»
Interrogé par «VSD», qui a publié ses
propos dans le même numéro 799, l'avocat général
Michel Legrand dément avoir rencontré M. Weisbuch
durant le procès et ce de manière très claire
:
VSD : Avez-vous rencontré Weisbuch en dehors du dossier?
M. LEGRAND : Non je ne l'ai jamais vu.
VSD : Même en privé?
M. LEGRAND : Non.
Ces
réponses font donc passer Paul Weisbuch pour un menteur,
un falsificateur. Or, lors de son interrogatoire par les inspecteurs
des services judiciaires M. Legrand reconnaît avoir lors de
deux repas, rencontré M. Weisbuch avant et pendant le procès.
Il précise même :
«Je tiens à signaler que si j'ai déclaré
ne pas avoir rencontré M. Weisbuch, cela correspond à
ce que j'ai dit au journaliste, mais pas à la réalité.
La réalité est la suivante puisque je l'ai rencontré
deux fois. Une fois bien avant le procès au restaurant Europole
à Grenoble, le seconde, pendant le procès, un samedi,
avant sa déposition au restaurant «le Petit Vatel»,
près du palais»
Ainsi dans les propos des deux hommes rapportés par «VSD»,
ce n'était pas M. Weisbuch qui avait menti.
Interrogé par les mêmes inspecteurs parisiens sur ce
fameux joker dont il aurait disposé, M. Legrand s'est montré
plus évasif sans nier tout à fait en avoir parlé.
«Je tiens à dire qu'au cours de ce procès et
compte tenu du climat passionnel, de nombreuses personnes se sont
manifestées, tant auprès de la police que de la gendarmerie,
en prétendant avoir des révélations à
faire sur cette affaire. Loin de considérer cela comme des
arguments pour l'accusation, j'ai toujours fait part de ma circonspection
sur ces éléments parallèles et tardifs. En
ce qui concerne le médecin des Baumettes se posait en outre
le problème du secret professionnel»
Il y avait donc bien sous-jacent, le témoignage d'un médecin
des Baumettes, dont on sait maintenant qu'il avait été
délivré par son conseil de l'Ordre de son secret professionnel.
Or ce médecin n'a pas été cité à
la barre.
Dans son interrogatoire M. Legrand ne nie pas avoir été
au courant de ce témoignage de dernière heure. Il
est donc permis de se poser la question : pourquoi n'a t-il pas
demandé au président de la cour de le faire venir?
Si Paul Weisbuch estime être tombé dans un piège,
dont l'hebdomadaire «VSD» aurait été l'instrument,
c'est que cet hebdomadaire avait, quelques mois plus tôt,
déjà publié une interview bidon du magistrat.
L'épisode remonte au 19 novembre 1992, par conséquent
bien avant le procès Céline mais au début de
l'affaire Noir-Botton. Sous la plume de Philippe Pallat, l'hebdomadaire
dans ses pages 68 et 69 faisait dire à Paul Weisbuch : «Je
sais bien que Madame Botton n 'a pas beaucoup d'égards pour
le parquet de Lyon, mais l'affaire n'est pas finie» Or Paul
Weisbuch déclare n'avoir jamais donné d'interview
à «VSD» et n'avoir jamais rencontré ce
journaliste qu'il ne connaît toujours pas. C'est si vrai que
le 24 novembre 1992, François Siegel, directeur de la publication
de «VSD» adressait au procureur de la République
de Lyon Jean Amédée Lathoud cette lettre «personnelle
et confidentielle»
«Je vous confirme que, pour des raisons de déontologie
professionnelle mettant en doute la réalité d'une
interview réalisée dans le cadre de l'affaire Botton
par Philippe Pallat, ce dernier, pigiste extérieur au journal,
sera désormais dégagé de toute obligation concernant
«VSD»»
Ajoutons que le journaliste en question avait déjà
été condamné à Toulouse, pour faux,
usage de faux, abus de confiance, contrefaçon et falsification.
Seulement le mal était fait. Le supérieur hiérarchique
de Paul Weisbuch, le procureur général Nadal sollicite
sa mutation, le 9 décembre 1992 soit six jours avant le réquisitoire
de M. Legrand daté du 15 et avant la publication de «VSD»
le 23.
La preuve semble dès lors apportée, que sans parler
de l'article de «Libération» paru le jour de
la déposition de M. Weisbuch au procès Céline,
tout à été fait pour déstabiliser ce
magistrat. Non seulement pour décrédibiliser son témoignage
mais surtout pour l'écarter du dossier du meurtre de la petite
Céline.
Pour peaufiner le tout, maître Henri Leclerc est venu en juillet
1993 enfoncer le clou en prenant en marche, la défense d'un
élu lyonnais des Verts, Etienne Tête que Paul Weisbuch
avait poursuivi pour escroquerie. Une nouvelle fois, devant la presse
accourue, le procureur Weisbuch fut accusé de tous les mots
et de tous les maux.
De ces avatars, Paul Weisbuch a pu se consoler, en lisant ce texte
humoristique publié par l'Association professionnelle des
magistrats sous le double titre : «Les bouffons de la République.
Lettre du neveu de province»
«Mon cher oncle, nous avons suivi avec intérêt
un procès criminel provincial des plus crapuleux, concernant
le cruel assassinat d'une enfant. Ce n'est pas tant la personnalité
des accusés qui nous a intéressés, que celle
des magistrats chargés de l'affaire, et en particulier de
l'avocat général Lepetit (le lecteur aura reconnu
M. Legrand) qui semble bien parti pour devenir un digne émule
de Muche (le lecteur n'aura pas fatalement reconnu M. Truche, le
plus haut magistrat parisien) tant il a su lui-même se présenter
sous des apparences avantageuses.
«Je dois vous dire, mon oncle, que ce personnage nous vient
de votre capitale et que je ne vous en félicite pas, tant
il paraît représentatif d'une certaine fraction de
notre corps, dont la caractéristique est d'être à
promouvoir à n'importe quel prix, et de vouloir que ça
se sache. Sans doute savez-vous que Lepetit qui fut juge enquêteur
à la cour de sûreté du Royaume, y était
réputé pour sa férocité.
Lorsque notre monarque accéda au royaume et supprima cette
cour, Lepetit s'en réjouit suffisamment bruyamment pour que
tout le royaume en soit informé. Lorsqu'une partie du pouvoir
échappa à ce même monarque, et que fut créée
une juridiction chargée de la lutte contre les grandes compagnies
qui dévastaient le Royaume, Lepetit s'y fit nommer, à
nouveau comme juge enquêteur, et reçut en charge les
dossiers des bandes insulaires, envers qui il se montra impitoyable,
jusqu'à ce que notre monarque, qui avait exprimé à
ce sujet bien des indulgentes réserves, ne reprenne la totalité
du pouvoir. Lepetit devança alors tous les désirs
et libéra tout le monde ! Vous comprendrez donc pourquoi
le voir aujourd'hui, à l'occasion de ce procès sordide,
s'acharner non pas sur les accusés, mais sur un collègue,
ne nous a pas autrement étonnés, surtout que le dit
collègue s'occupe avec ardeur de Monsieur Gendre (donc le
gendre du maire de Lyon Pierre Botton), alors que notre monarque
en recherche d'alliance politique souhaiterait moins de zèle.
Eh bien mon oncle, vos usages parisiens ne correspondent pas aux
nôtres, il s'en faut de beaucoup»
Voilà ce qu'en termes galants ces choses sont dites par des
magistrats. Elles laissent planer un doute sur les mobiles ayant
poussé la Chancellerie d'avant les élections de mars
1993, à tout faire pour écarter Paul Weisbuch du dossier
Noir-Botton afin de permettre d'éventuels replâtrages
d'une majorité sortante se sachant fort mal en point. Un
monarque en recherche d'alliance expliquerait-il tout?
Si on fouille dans le dossier compliqué de l'affaire Noir-Botton,
il est aisé de s'apercevoir que des fuites, imputées
à M. Weisbuch n'ont pu être organisées que de
Paris et émanant de proches du garde des Sceaux socialiste
de l'époque. Ce que prouve une note de synthèse parvenue
entre les mains d'un journaliste du «Nouvel Observateur»
vers le 10 octobre 1992. Bien avant le procès Céline.
Lorsque l'on veut noyer son chien, on l'accuse de la rage...
CONCLUSION
Parvenu
au terme de ce survol d'une affaire judiciaire hors du commun, et
qui est loin d'être terminée, il nous faut en tirer
les enseignements sinon les conclusions. Pour redire d'abord que
la justice populaire est passée. Bien passée? C'est
là que les avis divergent. Sans qu'il soit ici question de
remettre en cause le verdict de Grenoble, force est de constater
qu'il a laissé une impression de malaise. Au sein de la famille
de Céline d'abord, qui estime avoir été bafouée,
trompée, menée en bateau. Elle croit toujours à
la culpabilité de Richard Roman. Et on la lui avait fait
croire en haut lieu. Son chagrin rivé au cœur, elle
refuse d'admettre que l'acquittement a blanchi Roman, estimant qu'un
verdict n'est que la décision de femmes et d'hommes qui peuvent
se tromper et surtout qui peuvent avoir été trompés.
D'autant qu'aux jurés on ne demande rien d'autre que leur
intime conviction, sans jamais qu'ils aient à rendre compte
de ce qui l'a forgée...
De même qu'une condamnation, un acquittement est sans aucun
doute une décision difficile et souvent lourde à prendre
pour des jurés. Ils en débattent parfois durant des
heures. Et moins les jurés sont d'accord entre eux, plus
le délibéré est long. Quatre heures en ce qui
a concerné Richard Roman.
Bien qu'ils aient prêté serment de ne rien révéler
de leurs délibérations, les jurés restent marqués
par la session qu'ils ont vécue. Quelque-soit le dossier
traité. Soixante d'entre eux se sont réunis à
Paris, au Sénat, pour débattre avec des magistrats
et des avocats et tirer la leçon de ce qu'ils avaient vécu.
Ils sont cadre, postier, infirmière, représentant
ou enseignant venus de Lyon, Lille, Grenoble ou Aix en Provence.
Ces quelques extraits de leurs réflexions sont significatifs
: «On sort de cette expérience différente. On
est directement confronté à ce que la société
peut sécréter comme marginalité, comme problèmes.
On apprend plus en quelques jours qu'en plusieurs années
d'une vie» Ou encore : «Ça demande un effort
d'attention de tous les instants puis un effort d'analyse critique
avant la décision» Pour ce professeur d'anglais marseillais
: «L'expérience de juré apprend la tolérance.
L'accusé dans le box on ne le voit pas comme un monstre.
Pendant tous les débats, on tente de comprendre. Sans oublier
la victime. On se dit que le doute doit toujours bénéficier
à l'accusé et on a toujours le recours de voter blanc»
Tous ou presque nient farouchement que pendant le délibéré,
le président ait pu les manipuler ou simplement infléchir
leurs idées, et tous ou presque reconnaissent, où
qu'ils aient siégé, avoir une admiration sans borne
pour le président qu'ils ont connu. Avec cette réserve
cependant d'un cadre de banque : «Mon président était
un homme d'une force calme et tranquille, jouant en quelque sorte
le rôle du père et je me demande, avec le recul, si
l'homme qu'il était et qui nous a paru admirable ne nous
a pas conduits à lui faire une confiance aveugle lors du
délibéré» Quel aveu ! Qui rejoint cette
autre réaction d'un juré venu de Mulhouse stigmatisant
«l'attitude menaçante d'un assesseur mécontent
de sa prise déposition» et se plaignant des explications
irréelles du président sur l'application des peines.
Il leur avait dit : «Si vous lui infligez douze ans de réclusion
l'accusé n'en fera que six» Le même juré
note «les manœuvres habiles du président pour
arriver au verdict qui lui semblait conforme à la jurisprudence»
Le président Dominique Foumier assistait à ce séminaire.
Il a regretté que les jurés ne soient pas toujours
représentatifs de toutes les couches sociales. «Ce
sont toujours les mêmes qui se font excuser, les artisans,
les commerçants et les professions libérales»
Peut-être parce que l'indemnité qu'ils touchent n'est
que de 320 F par jour. Jamais, même après de grands
procès comme celui de Klaus Barbie, un juré n'a trahi
son serment de ne rien dévoiler des débats, et pourtant
ce secret est sûrement lourd à porter. Ainsi en a t-il
été pour ceux de la Drôme qui, le 21 juin 1993,
ont purement et simplement acquitté un garçon de trente
ans, Gunther Sourzac, pourtant accusé du viol en 1991 d'une
jeune femme rencontrée nuitamment au sortir d'une boîte
de nuit valentinoise. Un viol qu'il avait toujours nié mais
pour lequel l'avocat général, Michèle Monteil,
avait tout de même requis de huit à dix ans de réclusion
en insistant sur sa dangerosité, sur son passé fort
de dix années de prison et de douze condamnations. Seulement
les jurés, séduits sans doute par les plaidoiries
de ses deux avocats ou par ses cris d'innocence ont décidé,
après une heure et demie de délibérations,
son acquittement.
Libéré tard dans la soirée du 21 juin, on devait
le retrouver, on ne sait trop pourquoi, le lendemain, dans les rues
de Livron, à 30 kilomètres de Valence, arborant fièrement
à la ceinture un revolver de calibre 22 long rifle. Les gendarmes,
alertés par des passants, accourent et le retrouvent dans
l'armurerie de la commune. L'adjudant Jean-Pierre Vignaux, quarante
huit ans, père de quatre enfants, tente de le raisonner mais,
devenu soudain furieux, Gunther Sourzac tire par deux fois et tue
le gendarme. Depuis, aucun des jurés qui l'avaient acquitté
la veille ne s'est manifesté.
A noter que durant la période 1985-1989, les taux d'acquittement
varient de 3,1 % à Lyon à 7,3 % à Paris. Le
verdict de Grenoble fera désormais partie de ces statistiques.
Même s'il a surpris beaucoup de Français qui, comme
la famille de Céline, croyaient à la culpabilité
de Roman et s'attendaient à sa condamnation. C'est là
toute l'ambiguïté des verdicts de cour d'assises, lesquels,
à partir du moment où il suffit d'une majorité
d'au moins huit voix sur douze, peuvent contenter les uns, mécontenter
les autres, transformer un innocent en assassin ou un coupable en
innocent.
Dans le cas présent, ce verdict a soulevé déjà
quelques lames : au sein de la magistrature au point que des magistrats
de haut rang se sont entre déchirés, au sein du barreau
au point que des avocats et non des moindres se sont opposés
sur les raisons mêmes de leur mission, au sein de la famille
de Céline, de ses proches, et dans toute une partie de l'opinion
qui ne comprend pas comment un procès dont l'issue paraissait
acquise a pu, contre toute attente, basculer.
Aussi, bien qu'il soit impossible de décrire ce qui a marqué
l'esprit des jurés tout au long des trois semaines d'audience,
peut-on passer en revue tout ce qui a pu changer le cours et la
face des choses, dresser la liste de ce qui n'a pas été
fait aux premiers moments de l'instruction et de ce qui aurait pu
ou dû l'être, la liste de ce qui n'a pas été
fait lors du procès, de ce qui a été passé
sous silence volontairement ou par incompétence, la liste
de ce qui a été dit, volontairement ou non et qui
a contribué à ébranler les consciences. On
verra alors en quoi ces carences, ces absences, quelque fois ces
mensonges, exploités par une défense soudée
comme un pack de rugby ont permis d'enfoncer le clou dans un terrain
préparé à l'avance par les membres du comité
de soutien.
Pour mieux comprendre l'évolution de ce procès, il
faut passer en revue ce qui aurait permis de vider l'abcès,
évitant que des questions restent posées, que des
doutes subsistent.
En principe, dans un procès d'assises, pour des jurés
qui ne connaissent rien du dossier, l'enquête doit être
reprise à son point de départ avec le défilé
à la barre de tous les acteurs du drame : témoins,
experts, enquêteurs, au besoin magistrats. De tous les acteurs,
ce qui n'a pas été fait pour des raisons qui m'échappent.
C'est ce que l'on appelle l'oralité des débats puisque,
dans ce genre de procès, seuls deux hommes connaissent le
dossier : le président de la cour d'assises et l'avocat général.
Le président Dominique Fournier s'était penché
sur ce dossier, pour le bien connaître, sept cents heures
au bas mot. L'avocat général Michel Legrand beaucoup
moins semble t-il. Vu l'importance médiatique de cette affaire,
on était en droit de s'attendre à ce que personne
ne soit oublié lors des débats. Les experts, quelques
gendarmes, un procureur, une cinquantaine d'habitants de La Motte
du Caire et tous les membres de la famille de Céline ont
certes été cités à la barre mais un
seul juge d'instruction s'y est présenté : Yves Bonnet,
celui qui estimait Richard Roman innocent.
Pourquoi les quatre autres, et notamment le dernier, M. Carié,
qui avait pourtant pris la grave décision de faire réincarcérer
Roman sous le matricule 20627 W, n'ont-ils pas été
entendus? Face au témoignage de M. Bonnet qui l'estimait
innocent, il aurait été intéressant d'apprendre
de leur bouche pour quelles raisons quatre autres juges d'instruction
avaient pensé le contraire.
De leurs explications, de leurs points de vue, la lumière
aurait peut-être jailli. Or, malgré la demande des
parties civiles, le président Foumier, à défaut
de l'avoir cité officiellement, a refusé de faire
venir M. Carié à la barre en vertu de son pouvoir
discrétionnaire. Nul n'a donc su pourquoi ce magistrat avait
fait réincarcérer Roman après six mois de liberté.
De même, n'ont été cités que deux ou
trois gendarmes et pas tous ceux - plus d'une dizaine - qui ont
participé à l'enquête comme à la première
reconstitution, ce qu'auraient pu réclamer les avocats des
parties civiles, plus spécialement celui du père de
Céline. Totalement dépassé - il l'a reconnu
à l'issue du procès - et se réservant pour
sa seule plaidoirie, maître Pesenti n'a jamais été
l'aiguillon permettant plus de clarté. Ainsi n'a t-il pas
saisi au bond la déposition d'un psychiatre, le docteur Jullier,
venu raconter dans quelles conditions, durant sa garde à
vue, Roman lui avait confié : «Quand on a vu la fille
toute nue, on est devenu fous»
A la décharge de maître Pesenti, force est de constater
que l'avocat général Michel Legrand ne l'a pas fait
non plus, comme il n'a rien fait pour appeler à la barre
le docteur Sebaoun, vacataire à la prison des Baumettes,
auquel Roman aurait, deux ans après les faits, effectué
des confidences : «J'ai participé à quelque
chose d'horrible»
Il aurait été intéressant également
de rechercher la trace de deux autrichiens qui se seraient trouvés,
selon leurs dires tardifs, dans le verger au moment du drame. Deux
hommes d'une cinquantaine d'années employés par un
producteur de pommes proche de La Motte du Caire, mais employés
«au noir» et se trouvant en situation irrégulière
en France. Ce qui expliquerait qu'ils aient préféré
prendre le large plutôt que de venir témoigner. Pris
de remords d'après ses propos enregistrés sur bande
magnétique, l'un deux, prénommé Alexandre,
a voulu, quatre ans et demi plus tard, soulager sa conscience. C'est
la raison pour laquelle, depuis le Vaucluse où il disait
se trouver, il a pris, dès les premiers jours du procès
de Grenoble, contact téléphoniquement avec un service
de police grenoblois, il assurait vouloir faire des confidences,
lors d'un contact qu'il souhaitait discret avec des policiers sans
uniforme.
Il ne voulait pas que ces policiers, qui le lui ont proposé,
se déplacent là où il prétendait travailler,
toujours au noir, chez un agriculteur de la région d'Apt,
à Cadenet précisément, mais acceptait en revanche
de se rendre en auto stop à Grenoble. Un rendez-vous téléphonique
fut pris pour le lendemain au cours duquel ce mystérieux
Alexandre apporta à son interlocuteur d'autres précisions,
assurant qu'il avait, avec son compagnon, assisté le 26 juillet
1988 à la fin du drame de La Motte du Caire assurant que
deux hommes y participaient dont le plus grand avait jeté
une pierre sur la tête d'une fillette. Et d'ajouter qu'il
serait à Grenoble le lendemain et prendrait rendez-vous par
téléphone à 13 heures. Les policiers grenoblois
attendent toujours cet appel. Ce jour-là, pour la première
fois, à 13 heures précisément, le mystérieux
interlocuteur appelait le poste de police d'Annecy, le registre
des appels le prouve, expliquant qu'il s'était trompé
lors de son parcours et qu'il reprendrait contact une fois parvenu
d'Annecy à Grenoble. En prenant soin d'ajouter qu'il avait
peur, se sentait menacé et avait reçu des pressions
et des menaces de la part de l'entourage de l'un des accusés.
Depuis, cet Alexandre n'a plus donné signe de vie. C'est
sans doute la raison pour laquelle l'avocat général
Legrand, pourtant prévenu de cet appel par la police, n'en
a pas fait part à la Cour et n'a pas demandé au président
qu'il fasse rechercher cet homme, ou plutôt ces hommes, par
tous les services de police disponibles afin de les forcer à
venir témoigner. Peut-être aurait-on pu savoir s'il
s'agissait d'une mauvaise plaisanterie, d'une manipulation ou d'un
témoignage réellement sérieux.
Il n'en a rien été, même si cet étrange
correspondant avait affirmé que deux autres personnes se
trouvaient non loin d'eux, dans le verger du drame, témoins
de la scène tragique.
Cette précision a son intérêt quand on sait
qu'un couple de touristes Hollandais, qui campait non loin, a raconté
à ses voisins de campement, avant que le crime ne soit découvert
et avant de reprendre son périple de vacanciers, qu'il avait
aperçu deux hommes courant après une fillette. Ces
deux Hollandais non plus n'ont pas été recherchés
durant le procès, ce qui paraît plus logique puisque,
à rencontre de ceux des Autrichiens, leurs propos n'étaient
pas parvenus au palais de justice de Grenoble, et encore moins,
à l'inverse des premiers, par l'entremise d'un service de
police. Depuis un détective privé d'Aix en Provence,
Bernard Naranjo, engagé par le père de Céline,
espère les retrouver en Hollande. Ne serait-ce que pour étancher
la soif de vérité des parents de l'enfant tuée.
Le plus troublant avec ces témoignages est que l'identité
des deux Autrichiens est parfaitement connue. Ils ont été
contrôlés par routine, avant l'affaire Céline,
par un gendarme auxiliaire, un jeune appelé du contingent
effectuant son service militaire à la Motte du Caire. Or
la gendarmerie, sur instruction de sa direction, a refusé
de communiquer ces identités à la PJ de Grenoble.
Sans doute pour ne pas tomber sous le coup de la loi Informatique
et Liberté qui interdit à tous services de police
ou de gendarmerie de se constituer des fichiers. Ce qui explique
que la botte secrète que croyait détenir l'accusation
au début du procès n'ait pas fait long feu. Il y a
eu également cette lettre parvenue en cours d'audience à
la gendarmerie de la Motte du Caire émanant d'un Marseillais
et signée de son nom. Elle donne son adresse. L'homme, aussitôt
contacté par des journalistes, a démenti l'avoir expédiée.
Elle était pourtant intéressante : «Je n'en
peux plus. Il faut que je libère ma conscience. Richard Roman
va être acquitté. Il est coupable. Je l'ai vu avec
Didier Gentil accomplir leur acte. J'y étais. Si je ne suis
pas intervenu, c'est parce que j'ai eu peur des ennuis. Maintenant
je suis vieux, ça m'est égal. Ne me mettez pas en
difficulté. Pensez à ma famille. Mais je vous en conjure,
ne me citez pas. Faites-moi confiance. Ils sont tous les deux coupables.
Je ne veux pas être interrogé par la police, la gendarmerie,
ni par les journalistes. Je ne veux pas qu'après, quand ils
seront sortis de taule, ils veulent me faire la peau, espérant
ainsi rétablir l'ordre. Veuillez agréer, Monsieur
Ramette, mon salut respectueux.
PS : Ne les libérez pas»
Démarche curieuse puisque non reconnue par celui qui l'avait
signée, ce qui fait que l'on ne saura jamais si cet homme,
affolé par l'afflux des journalistes, a préféré
se taire, ou s'il s'agissait d'un canular de mauvais goût
dont il aurait été la victime. Cette dernière
version semble la plus plausible d'autant que ce Marseillais a certifié
n'avoir jamais mis les pieds à la Motte du Caire.
Quant aux oublis, aux carences, ils sont bien antérieurs
au procès. Ils datent d'une instruction décousue qui
a changé douze fois de mains au point que le père
de Céline la trouve, à juste titre, scandaleuse. C'est
cette série d'oublis, d'omissions, qui a pesé lourd
au cours du procès et conduit à l'issue que l'on connaît.
Par exemple, les empreintes des deux hommes, s'ils étaient
bien deux comme le prétendait à l'époque Gentil,
ont été mal recherchées sur les canettes de
bière achetées par ce dernier et retrouvées
sur les lieux du drame. Par exemple, on n'a pas retrouvé,
parce que mal cherché, les mégots des «joints»
que Gentil affirmait avoir fumés en compagnie de Roman «pour
nous donner du courage» Là encore, grâce aux
nouvelles techniques de la police scientifique, des empreintes auraient
pu être décelées sur le papier de ces mégots.
Par exemple, on n'a pas cherché à relever sur le sol
où, selon Gentil, était garée la R5 de Roman
des traces éventuelles de pneus. Un simple moulage aurait
suffi à lever toute équivoque.
Par exemple, on n'a pas cherché à analyser sous les
ongles des deux suspects les poussières pouvant s'y trouver.
Or les techniques actuelles auraient permis d'affirmer sans risques
d'erreur lequel des deux avait porté la pierre ayant servi
à fracasser la tête de Céline.
Par exemple, sans doute parce qu'ils ont mal été conservés
dans un réfrigérateur au lieu d'un congélateur,
on a mal exploité les prélèvements effectués
à l'autopsie dans le corps de Céline. Or, les techniques
de la science moderne permettent de dire avec certitude, en cas
de viol, s'il y a eu pénétration et de qui, même
sans éjaculation. Cela n'a pas été fait, ce
qui aurait pourtant permis en cas de réponse négative
pour Roman d'éviter à ce garçon vingt sept
mois de prison et le spectre d'une erreur judiciaire.
Par exemple, les traces de boue présentes dans la voiture
de Roman et qui auraient permis avec certitude de savoir si elle
était ou non passée dans le verger ont été
mal exploitées. Alors qu'un examen affiné aurait pu
être déterminant. De même, pour la semelle de
ses chaussures puisque ce soir là il en portait.
Par exemple, on a mal exploité les rares cheveux découverts
dans la voiture de Roman ou sur ses vêtements. Un cheveu retrouvé
sur la housse de sa R5, aurait eu entre 5 et 32 % de chances d'appartenir
à Céline, selon le centre d'application et de recherche
en microscopie électronique, tandis qu'une autre expertise
permettait d'identifier, à 75 %, un des cheveux retrouvé
sur un pull-over de Roman comme similaire à ceux prélevés
sur la victime. Pourcentages trop minces pour l'un, pas assez élevés
pour l'autre, pour devenir des preuves déterminantes.
Un laboratoire de Metz, «l'Institut de physique et d'électronique»,
dispose aujourd'hui d'une technique, de matériels et d'hommes
capables d'aboutir à de quasi certitudes. Dirigé par
le professeur Jean-François Muller, ils viennent de confondre,
grâce à un seul cheveu, l'adjudant-chef Pierre Chanal
pour deux crimes qui remontent à six ans pour l'un et à
douze pour l'autre. On suspectait ce sous-officier de quarante deux
ans, condamné à dix ans de prison, le 23 octobre 1990,
par la cour d'assises de Saône et Loire pour le viol d'un
jeune auto stoppeur hongrois, d'être également à
l'origine de la disparition de sept jeunes militaires du camp de
Mourmelon entre 1980 et 1987. Suspicion seulement, mais voilà
que les microscopes du professeur Muller, ses spectromètres
à balayage dont le grossissement peut atteindre cent cinquante
mille fois, ont permis d'affirmer que des cheveux retrouvés
dans la fourgonnette de Chanal, lors de son arrestation le 9 août
1988, appartenaient bien à deux des disparus de Mourmelon.
Par exemple, on n'a pas recherché sous les ongles de Céline
les traces de peau, de poils ou de sang. Alors qu'au moment de leur
arrestation, le torse des deux hommes présentait des traces
pouvant laisser penser qu'en se débattant sous l'horreur
de ce qu'elle était en train de subir, Céline avait
griffé ses tortionnaires. Celles de Richard Roman constatées
le 27 juillet 1988 à 17 heures par docteur Richard Valla,
médecin assermenté à Digne les Bains, étaient
les suivantes : «Égratignures avec croûtes en
regard de l'omoplate gauche de 10 centimètres environ. Petites
égratignures de l'avant bras, thorax et abdomen» Celles
constatées sur Didier Gentil, à la même heure,
par le même médecin, étaient quasiment les mêmes
: «Diverses égratignures du cou avec croûtes,
cicatrices en dessus du mamelon gauche et d'autres proches de la
sixième vertèbre cervicale»
Les techniques de la science moderne permettent aujourd'hui d'établir
à qui appartient quoi, même une particule, une poussière
de peau. Cela aurait été capital, puisque si Gentil
a admis ces griffures, Roman, lui, a toujours soutenu, après
être revenu sur ses aveux, que les traces visibles sur son
buste provenaient de ronces.
Par exemple, on n'a pas cherché à analyser les traces
de gouttelettes d'eau repérées sur le toit de la voiture
utilisée par Richard Roman. Dans le cas présent, il
aurait été intéressant de savoir si ces gouttes
d'eau venaient d'une pluie reçue durant le trajet effectué
par sa mère (Annecy-La Motte du Caire) même si ce toit
était encombré d'une table et de divers matériels,
ou bien provenaient de l'aspersoir automatique en action dans le
verger du drame, le seul aspersoir en fonction ce soir là
dans le secteur.
Pourtant la justice n'a pas lésiné sur les frais durant
le déroulement de l'instruction. Ne serait ce qu'à
propos de photographies prises près de la bergerie de Roman
par le touriste Christian Célérier, qui s'est très
vite présenté, beau geste civique, à la gendarmerie.
Il affirmait que le soir du crime, le 26 juillet 1988, il avait
aperçu Richard Roman au volant de la voiture de sa mère,
descendre de sa bergerie vers 21h30, une heure innocentant le berger
des plaines. Pour preuves de ses dires, il avait produit beaucoup
plus tard, les négatifs de photographies qu'il avait prises
ce jour-là, à cette heure là, en compagnie
de son épouse Régine et de leur fils Christian. Seulement
deux experts, commis par le juge, MM. Maurice et Marcellin, qui
sont venus sur place prendre les mêmes photos du coucher de
soleil à l'endroit précis indiqué par M. Célérier,
sont formels : «En aucun cas, les photos prises par le témoin
n'ont pu l'être le 26 juillet, jour du drame, mais soit entre
le 6 et 8 mai, ou bien alors entre le 3 et 5 août»
Pour confirmer la conclusion de ces deux experts, de nouveaux clichés
ont été pris le 26 juillet 1991, soit à la
date anniversaire du crime. Constatant que le soleil ne se couchait
pas, à l'horizon, au même endroit que le soutenait
le témoin. Ce qui démontrait de façon indiscutable
que les photos de M. Célérier n'avaient pu être
prises le jour où il le prétendait.
On pouvait alors penser que ce témoin allait être mis
sur le gril par les avocats des parties civiles et l'avocat général,
pour lui faire admettre soit qu'il s'était trompé,
soit qu'il avait menti. Eh bien pas du tout, puisqu'il a au contraire
été l'artisan d'un des premiers tournants de ce procès
en affirmant que le patron de la brigade de gendarmerie de La Motte
du Caire l'avait menacé et obligé de changer, en avançant,
l'horaire de sa déposition.
Confronté au gendarme devant la cour, M. Célérier
a confirmé et sa déposition et ses accusations, même
s'il n'a paru choquant à personne qu'il ne reconnaisse pas
le chef Ramette, debout en uniforme dans le prétoire à
ses côtés.
Même somnolence ou carence des avocats au moment de la déposition
du proviseur du lycée d'Albertville, Jean-Louis Queyrel venu
dire comment, en vacances à La Motte du Caire, il avait participé
aux battues entreprises pour retrouver Céline. Cet homme
calme et pondéré venait pourtant de déclarer,
qu'intrigué par le comportement de l'un des volontaires de
la battue (il s'agissait de Gentil), il était venu signaler
ses doutes à la gendarmerie le 27 au matin. Et qu'il avait
croisé dans les locaux de la brigade, une femme d'un certain
âge, venue signaler aux représentants de la maréchaussée
qu'elle était inquiète car son fils ne lui avait pas
ramené sa voiture la veille au soir, comme il s'y était
engagé.
Personne n'a bondi ! Sur le banc de la défense cela se comprenait,
mais pas sur ceux d'en face, à savoir les parties civiles
et l'accusation qui auraient pu et dû demander que ce témoin
soit confronté à la mère de Richard Roman,
présente dans la salle. Était-ce bien elle ou non?
On ne le saura jamais.
Dans un village de 480 âmes seulement, rares devaient être
les femmes ayant, ce soir là, attendu d'un fils qu'il ramène
une voiture. Il aurait été important de le savoir
et de savoir ensuite, de Roman lui-même, si tel était
le cas. Puisqu'on l'a vu repartir du village de façon désordonnée
au volant de cette voiture, pourquoi avait-il gardé le véhicule
de sa mère alors qu'il aurait dû le laisser au village?
Personne n'a songé à réclamer cette confrontation,
comme si toutes les parties concernées avaient déjà
baissé les bras.
Il est vrai que ce procès a tissé des liens entre
des parties théoriquement adverses. Au point que la famille
de Céline s'est offusquée de ce qu'ait eu lieu, durant
le procès, un déjeuner entre le défenseur de
Roman et l'avocat général, devant le palais de justice,
au restaurant «La Table Ronde» en compagnie des journalistes
qui avaient, quelques jours avant l'audience, organisé la
conférence de presse du comité de soutien à
Roman, au club de la presse de Grenoble présidé par
le frère de Bernard Kouchner, l'ancien ministre de François
Mitterrand.
Un déjeuner qui a choqué plus d'un magistrat du parquet
de Grenoble, mais qui n'a pas marqué le frère de Richard,
Joël Roman, lequel s'est pourtant indigné, dans un article
de la revue «Esprit», de ce que, lors d'une interruption
de séance, des gendarmes, avant de témoigner, aient
pu discuter ensemble, avec leurs chefs et un avocat de la partie
civile au vu et au su de tous, devant le palais de justice.
Des liens tissés c'est sûr, puisque depuis ce procès
des avocats adverses plaident désormais ensemble. Sans parler
de la proposition faite en juin 1993 à l'avocat général
Michel Legrand par maître Leclerc d'accepter la vice présidence
de la Ligue des Droits de l'Homme. Très fier de l'offre,
puisqu'il s'en était ouvert ce jour là à tous
ses collègues du palais, Michel Legrand a toutefois repoussé
cette charge.
Je n'évoquerai que pour mémoire le témoignage
du maître chien de la gendarmerie, témoignage haut
en couleurs, qui a frappé les imaginations parce que bien
exploité par la défense de Roman sans aucune réaction
des parties civiles, pas plus que de l'accusation. Pourtant le flair
de la brave Minz, que Gentil avait de surcroît caressée
au Café de la Poste, n'avait pas permis, à quelques
mètres près, de déceler le cadavre de Céline.
Aucun de ces éléments n'a inspiré les avocats.
Et cette accumulation d'oublis et d'omissions a fait basculer le
procès. Un climat, une ambiance, une atmosphère fort
bien entretenus, sinon orchestrés par le comité de
soutien et les défenseurs de Roman, ont su, dès avant
l'ouverture des débats, mettre en condition les acteurs.
Tous, du président aux jurés, de l'accusation aux
avocats, ont été matraqués par des articles,
des émissions de télévision, des conférences
de presse, des lettres, des reportages. Une espèce d'hypnose
médiatique s'est développée.
Ajoutez des témoins qui ont forcé la dose ou hésité,
d'autres qui ont menti, des expertises mal faites ou pas faites,
les oublis de l'instruction, les balbutiements des parties civiles,
et vous comprenez mieux le verdict.
Pauvres jurés qui ont dû avoir du mal à comprendre
la justice et à se faire à ses méandres. Surtout
quand ils ont constaté que tout, dans ce procès, partait
en quenouille, que rien ne s'y déroulait comme ce qu'ils
pouvaient connaître de la justice.
Comment en effet leur expliquer ce monde à l'envers, où
l'on a vu un juge d'instruction, simple témoin, M. Bonnet,
se faire accusateur, procureur, sans être une seule fois interrompu
ou rappelé à l'ordre, alors que quatre des ses semblables,
d'un avis diamétralement opposé, n'ont pas eu droit
à la parole. A l'époque, M. Bonnet avait pourtant
été désavoué par sa hiérarchie
pour avoir oublié que le rôle d'un juge d'instruction
est d'instruire à charge et à décharge.
Comment ont-ils pu s'y retrouver, ces jurés, en constatant
que l'avocat général ne suivait plus l'arrêt
de renvoi qui lui avait été soumis, mais prêchait
la clémence plutôt que d'accuser.
Comment leur expliquer le revirement des parties civiles tournant
leurs robes pour se rallier à la thèse de l'innocence.
Comment leur faire comprendre que l'un des avocats de Gentil ait
estimé de son devoir de se ranger, sans crier gare, dans
le camp des défenseurs de Roman, acceptant du même
coup de faire porter à son client la double responsabilité
du viol et du meurtre de Céline.
Pauvres jurés qui n'ont appris qu'au lendemain du verdict
que la liste des journalistes désireux d'interviewer Richard
Roman à sa sortie de prison avait été établie
avant qu'ils se retirent pour délibérer et avant le
réquisitoire de l'avocat général. Comme si
en haut lieu l'acquittement de Roman avait été décidé
sans tenir compte de ce que pourrait être leur opinion.
Bien entendu, quelques journalistes ont crié à l'exemplarité
de ce procès. J'en veux pour preuve, ces titres :
«Le coupable était presque parfait», selon Le
«Nouvel Observateur» «L'exemplarité d'un
procès», «Un procès exemplaire»
pour «Le Progrès» et «Le Dauphiné
Libéré»
Mais également «Chaos judiciaire» pour «Le
Figaro», ou «C'est la campagne qu'on assassine»
pour «Lyon Matin» et j'insiste sur «Pauvres, pauvres
jurés» de «France Soir»
Quoi qu'il en soit, l'affaire Céline fera date, même
si la cour de cassation a rejeté le pourvoi de Didier Gentil.
Son avocat, maître Juramy comptait pourtant sur un nouveau
procès estimant que le premier avait donné lieu à
bien des motifs de cassation. Il avait, explique t-il, bien des
billes dans sa besace pour l'obtenir : Refus d'audition, pressions,
reconstitution refusée, problèmes d'acoustique, etc.
La cour de cassation, n'a certes pas à réexaminer
les faits, elle se doit seulement d'étudier la légalité
des décisions d'un procès. Les exemples sont nombreux
de verdicts cassés pour un banal vice de forme, un simple
détail de procédure : témoin présent
par erreur dans la salle d'audience avant que de déposer,
procès verbal non signé, juré ayant omis de
prêter serment, etc... De ces prétextes, maître
Juramy en avait trouvé au moins huit.
- Les pressions exercées durant des mois, sinon des années,
sur Didier Gentil par un obscur groupe de travail de Villeurbanne,
proche du comité de soutien.
- Le refus par le président, d'un transport de toute la cour
d'assises sur les lieux du drame, durant le procès, pour
une reconstitution totale, qui n'a jamais été faite,
notamment celle de l'emploi du temps minuté de Richard Roman,
le soir du drame. Or, avant le procès, le président
Foumier n'avait pas exclu cette hypothèse, si elle lui était
demandée. Deux escadrons de la gendarmerie mobile avaient
été mis en «alerte sur roues», en raison
de cette éventualité. Cela lui a été
demandé. Il a refusé.
- Le refus par la cour d'entendre comme témoin, en vertu
de son pouvoir discrétionnaire, le président de la
chambre d'accusation d'Aix en Provence, M. Carné, qui avait
fait annuler le non-lieu du juge Bonnet. Il aurait pu avoir des
choses à dire ou, du moins, expliquer ses raisons. On lui
a refusé la parole.
- Le refus par la cour d'une nouvelle expertise psychiatrique de
Didier Gentil après qu'il se fût mis à demander
pardon à Richard Roman.
- Le refus par la cour de faire citer à la barre, toujours
en vertu du pouvoir discrétionnaire du président,
un ancien codétenu de Didier Gentil à la prison des
Baumettes, Eric, trente ans, natif d'Aubagne, cent kilos, un mètre
quatre vingt quinze, écroué le 23 novembre 1991 pour
escroquerie. Il avait été placé dans la cellule
de Gentil, peut être même à l'époque pour
le faire parler. Et comme ce dernier lui avait effectivement fait
certaines confidences, il a, une fois libéré, éprouvé
le besoin de les confier aux jurés : «Je lui ai fait
raconter le drame dans ses moindres détails. Il m'a alors
livré des précisions importantes à mes yeux.
J'ai donc éprouvé, au moment du procès, le
besoin d'aller dire ce que je savais. Je voulais libérer
ma conscience, parce qu'il s'agissait du meurtre d'une fillette
et que j'ai des enfants, moi aussi. Je pensais aux parents. Je ne
me sentais pas le droit de me taire. Alors, j'ai contacté
l'avocat de la mère de Céline, le bâtonnier
Légier, et je suis allé à Grenoble où
je me suis installé à l'hôtel de l'Europe, dans
l'espoir d'être convoqué comme témoin. Je souhaitais
vraiment contribuer à éclairer les débats.
Je voulais confier à la justice tout ce que m'avait révélé
Gentil. Mais ce que j'avais à dire n'est jamais arrivé
jusqu'aux jurés, car on ne m'a pas permis de témoigner»
- Le refus par la cour de faire déposer à la barre
d'autres gendarmes que les trois sélectionnés. Or,
présents sur les lieux, notamment lors de la première
reconstitution ils étaient dix, tous assermentés.
Un lieutenant colonel, un commandant, un capitaine, un adjudant,
deux maréchaux des logis et quatre gendarmes, ils auraient
pu dire comment s'était déroulée cette reconstitution.
Et surtout si elle avait été orientée, dirigée,
télécommandée, effectuée ou non sous
pression. Or, tous ces gendarmes, dont aucun n'était de La
Motte du Caire mais tous de Digne les Bains ou d'Aix en Provence,
et parmi lesquels ne figurait pas l'adjudant chef Ramette, ont signé
à 22h30 ce procès verbal, comme l'a signé Richard
Roman. Procès verbal d'abord rédigé sur les
lieux à la main, ensuite dactylographié, et dans lequel
Richard Roman et Didier Gentil dictaient leurs faits et gestes,
Roman indiquant de lui-même, en parlant du meurtre : «Le
tout a duré cinq à dix minutes. Il faisait un peu
plus jour que ce soir. Je ne peux vous dire l'heure, je n'ai jamais
de montre»
- Autre point possible de cassation, la lecture, même brève,
par le président Foumier, du rapport d'un expert avant que
celui-ci ne vienne déposer à la barre. Ce seul détail,
pourtant insignifiant, est un motif de cassation.
- Enfin, il y a le mauvais isolement de la salle des témoins
révélés en pleine audience par le procureur
Paul Weisbuch. C'est évidemment un autre motif de cassation,
même si, par la suite, il a été demandé
au service d'ordre de veiller à ce que les deux portes qui
séparent ces salles soient constamment fermées.
Mais on l'a déjà lu, la cour suprême n'a retenu
aucun de ces arguments. En cas de cassation, et donc d'un nouveau
procès, seul aurait comparu Didier Gentil puisque seul condamné,
Richard Roman ayant été acquitté une fois pour
toutes. Maître Juramy se faisait pourtant fort, devant une
autre cour d'assises, un autre jury, un autre président,
un autre avocat général, de faire acquitter son client
du meurtre de Céline. «A nouveau condamné pour
viol, explique l'avocat de Didier Gentil, il l'aurait été,
puisque ce viol il le reconnaît, mais acquitté du meurtre
de Céline, il l'aurait été aussi parce qu'il
ne l'a pas commis»
La justice se serait trouvée, dans cette hypothèse,
avec un meurtre sans coupable.
Décidément l'affaire Céline fera date dans
les annales judiciaires. En raison de son horreur d'abord, de son
instruction bâclée ensuite, puis de la passion qui
a marqué les débats.
La justice est passée, et il ne viendrait à l'esprit
de personne de remettre en cause sa décision même si
elle a laissé pantois plus d'un chroniqueur. A preuve ce
commentaire de Jean-Pierre Berthet sur TFI au soir du verdict :
«Tous ceux qui ont suivi ce procès pendant trois semaines,
en ressortent ce soir un peu vidés. Trop d'émotions
! Trop de contradictions ! Trop de violences à fleur de peau
! On est presque soulagé à cet instant de pouvoir
dire que la loi interdit de commenter une décision de justice»
En raison de toutes ces lacunes et de toutes ces bizarreries, il
est difficile de faire admettre aux parents de Céline qu'il
n'a pas existé une espèce de complot ayant abouti
à ce verdict qu'ils rejettent en bloc, personne ne les ayant
préparés, surtout pas leurs avocats, à l'éventualité
d'un acquittement. Pas un instant, ils n'ont songé que les
jurés, des gens comme eux, pourraient se laisser séduire
par les sirènes de la défense. C'est la raison pour
laquelle, il leur est difficile d'écarter l'hypothèse
d'une machination.
Et c'est vrai que, pour qui n'est pas familier des subtilités
du monde de la basoche, le processus qui a conduit à l'acquittement
de Roman ressemble à une toile d'araignée patiemment
tissée.
Le premier fil s'est déployé, tel celui qu'Ariane
avait confié à Thésée pour combattre
le Minotaure, dans le bureau du juge Magnon, quarante huit heures
après la mort de Céline, à l'instant où
Roman, revenant sur terre, est en même temps revenu sur ses
aveux. Cette toile, le berger des plaines a commencé par
la tisser en solo en criant à la machination des gendarmes.
En solo, puisque, à cet instant, il n'avait à ses
côtés ni famille, ni avocats et encore moins de comité
de soutien. Son cri d'innocence jaillira durant les quatre années
qu'il passera en prison comme durant ses six mois de liberté.
Il va multiplier les lettres à sa famille, à ses anciens
amis, à ses ex-relations, à des proches dont l'engagement
fut timide au début tant les aveux les avaient troublés.
Le premier à croire à l'innocence fut sans conteste
son ancien aumônier du lycée Voltaire à Paris.
Il allait devenir le président du comité de soutien
à Richard Roman. On sait la part active qu'il a prise pour
insuffler d'abord le soupçon du doute, ensuite la certitude
de l'innocence.
On a vu combien d'autres comités de soutien sont parvenus,
à force de conviction et de harcèlement, à
faire remonter leurs certitudes jusqu'au sommet de l'État.
Beaucoup de leurs protégés ont bénéficié
de remise de peine, voire de la grâce présidentielle.
Et Didier Gentil semblait tellement persuadé de l'efficacité
de ce comité de soutien qu'il a tenu, lors du procès,
à mettre en garde les jurés et le président
de la cour : «Pour moi, Monsieur le Président, Roman
ne tient que parce qu'il a dans la salle sa famille, ses connaissances,
son comité de soutien. Moi, je n'ai personne. Enlevez-lui
tout ce monde là, il finira par craquer» Roman n'a
pas craqué.
D'autres comités de soutien, avant le sien, ont su faire
merveille. Or, leur protégé a récidivé.
Donc les cris d'innocence avaient su flouer, duper des amis, puisqu'il
n'est pas question, fût-ce un instant, de les soupçonner
de malhonnêteté même intellectuelle.
Roman et son comité de soutien ont donc fait merveille, aidé
par un groupe de penseurs villeurbannais. Étrange comité,
baptisé groupe de travail RRDG qui a œuvré dans
l'ombre sans que l'on sache jamais très bien qui le composait
ni pour qui il roulait. On peut seulement constater qu'il s'est
parfaitement jumelé au comité officiel, à croire
parfois que les deux n'en faisaient qu'un.
A force d'instiller ici, de distiller là, il en reste fatalement
une trace. Évoquant ce travail de longue haleine, maître
Juramy a parlé d'une véritable lame de fond qui a
porté ses fruits le jour du verdict.
Ébranler les consciences, poser les questions qui suscitent
le doute, inquiéter les esprits soupçonneux, exciter
ceux enclins à critiquer, par principe, la police et la justice,
l'ordre et la loi, titiller les âmes sensibles, les bonnes
consciences, les donneurs de leçons, les redresseurs de torts,
brandir le spectre de l'erreur judiciaire, c'est le cocktail qu'agitent
ceux qui se rassemblent en comité de soutien. C'est si vrai
qu'à chaque fois, dans la liste des signataires, des pétitionnaires,
on retrouve les mêmes noms, même après qu'ils
aient été trompés ou qu'ils se sont parfois
trompés.
Des noms qui se mobilisent rarement, il faut le souligner, pour
défendre les victimes. Comme si leur cœur penchait toujours
du même côté et jamais vers les familles des
enfants violés, des vieilles dames assassinées, pratiquant
ainsi une sorte de charité à sens unique.
Pour
ma part, je ne crois pas, à l'inverse de la famille de Céline,
à l'existence d'un complot. Il y a eu, c'est vrai, et longtemps
avant le procès, des pressions sur des avocats, sur des journalistes.
Pourquoi pas sur des magistrats, voire des jurés. Cela ne
suffit pas pour parler de complot. Cela dit, je crois encore moins
à l'existence d'un complot contre Richard Roman, parce qu'il
avait les cheveux longs et marchait pied nus.
De qui se moque t-on lorsque l'on veut faire croire qu'en quarante
huit heures, il se serait trouvé une vingtaine d'hommes à
la Motte du Caire, gendarmes et petits gradés sans parler
de leurs officiers, certains venus d'Aix en Provence et de Forcalquier,
pour construire un piège aussi démoniaque contre un
homme qui leur déplaisait? Un procureur de la République
aurait ensuite marché dans leur combine de même que
plus tard quatre juges d'instruction? Ils auraient, ensemble, été
capables de construire une aussi monstrueuse machination?
C'est pourtant ce qu'ont fini par dire les jurés de Grenoble
en admettant, par leur verdict, que les aveux de Richard Roman lui
avaient été arrachés.
Je n'irai pas non plus jusqu'à penser - comme certains le
suggèrent aujourd'hui - qu'il ait existé une autre
machination, celle d'un acquittement programmé, ou du moins
orchestré de longue date. Sûrement pas. Un acquittement
souhaité, c'est plus plausible en revanche. Or, un souhait
peut devenir réalité par toutes sortes de moyens et
de méthodes.
Souhaité par Richard Roman c'est évident, par sa famille
et son comité de soutien ça l'est aussi, souhaité
par certains journalistes prompts à s'enflammer pour les
causes étranges ou perdues et venant, par principe, au secours
de ceux qui ne leur paraissent pas comme les autres, souhaité
également par une frange de barreau comme par nombre de magistrats
dont la propension est de vouloir tout remettre en cause, on a encore
pu noter ce comportement à propos de la fin tragique de l'homme
à la bombe, le preneur d'otages des enfants de l'école
de Neuilly.
C'est ce que certains nomment le vent de l'histoire. Il consiste
à suivre la coqueluche de l'intelligentsia du moment. Certains
sont animés par la charité chrétienne, d'autres
par le refus de l'ordre établi.
Intellectuels, pour la plupart de gauche, ils estiment viscéralement
indispensable de soutenir plutôt un marginal qu'un ouvrier
spécialisé, un homosexuel qu'un père de famille
tranquille. Avec l'avantage d'avoir pu s'en prendre, par le biais
de l'affaire Céline, à l'ancien système de
la garde à vue.
Quelle meilleure démonstration, j'allais écrire aubaine,
pour insinuer que Richard Roman n'aurait pas pu avouer s'il y avait
eu la présence d'un avocat à la vingtième heure
de garde à vue. C'est ce que beaucoup ont écrit après
le procès de Grenoble, en oubliant qu'il avait avoué
à la cinquième heure et non à la vingtième.
C'est aussi pour dénoncer cette garde à vue que beaucoup
souhaitaient l'acquittement de Grenoble, en réclamant la
présence d'un avocat dès le début de l'interrogatoire
afin de ne plus laisser un suspect, fût il terroriste, seul
en présence des enquêteurs.
C'est pour toutes ces raisons qu'il est facile d'affirmer que, si
l'acquittement de Roman n'était certes pas programmé,
il était bel et bien souhaité par une espèce
de complot médiatico-juridico-politique.
Dans un récent ouvrage où il se raconte et retrace
sa carrière depuis son passage durant deux années
au Parti communiste avant de devenir militant socialiste, Henri
Leclerc évoque son dernier combat judiciaire, à savoir
la défense de Richard Roman. Il n'évoque pas, mais
sans doute le livre était-il déjà sous presse,
sa prestation devant la cour d'assises de Nice, comme partie civile
cette fois. Un procès qui a vu la condamnation le 3 février
1994 à dix huit années de réclusion criminelle
d'un marocain Omar Raddad accusé du meurtre de la femme qui
l'employait comme jardinier, Mme Marchal et qui, depuis son arrestation
n'a jamais cessé de clamer son innocence et sans jamais avoir
avoué malgré la pression, qu'a du être à
l'époque celle des enquêteurs.
Dans ce livre, en fait un entretien avec Marc Heurgon, un agrégé
d'histoire qui a longtemps milité avec lui au sein du PSU,
maître Leclerc est présenté comme un des plus
grands avocats pénalistes français, un retour en arrière
sur sa carrière depuis que tout jeune avocat, partisan de
l'Algérie algérienne, il défendait les militants
du FLN, accusés à l'époque en France de terrorisme.
Pour terminer cet ouvrage sur le procès de Grenoble dans
un chapitre intitulé : «l'affaire Roman, ou le difficile
chemin de l'innocence»
Et en le lisant, la première remarque qui vient à
l'esprit, c'est la relation qu'il y fait de son premier contact
avec son client, le 16 août 1988 à la prison des Baumettes
à Marseille quand il découvre pour la première
fois Richard Roman, mais visiblement marqué par des coups.
Question logique du grand pénaliste qu'est maître Leclerc
: «C'est à la gendarmerie que vous avez eu cela? »
Réponse de l'intéressé : «Non, c'est
à la prison»
Or, on le sait désormais, l'un des arguments de Roman et
de son défenseur a été d'affirmer que les aveux
avaient été arrachés par la violence des gendarmes.
Autre découverte dans cette autobiographie, c'est la conséquence
qu'a eu l'émeute déclenchée à La Motte
du Caire le jour de la reconstitution du meurtre de Céline.
Henri Leclerc ne le conteste pas : «Cette aventure a donc
déchaîné un nouveau tohu-bohu médiatique
qui ne peut plus que nous être favorable. Il est certain que
les violences dont nous avons été l'objet vont changer
le climat. Nous sentons bien que quelque chose a bougé dans
l'opinion publique, et je profite bien entendu de cette ouverture
médiatique pour affirmer l'innocence de Richard Roman»
Gilbert Jourdan, le père de Céline a soutenu, il faut
le souligner, que ces incidents avaient été manipulés
par des personnes étrangères à son village.
Pour revenir aux sévices subis en prison par Richard Roman
il faut noter que lorsque maître Leclerc voudra les faire
cesser, c'est au juge Bonnet qu'il s'adressera alors qu'il ne l'a
pas fait auprès de ses prédécesseurs : «Une
fois, nous avons demandé au juge Bonnet d'intervenir discrètement
auprès du directeur de la prison, ce qu'il a fait, et Richard
nous a dit que ce jour là il n'avait pas été
frappé»
Plusieurs fois dans son ouvrage maître Leclerc rend hommage
à ce magistrat mais pas à lui seul : «Trois
hommes ont réussi à se hisser à l'inaccessible
niveau que nos institution traditionnelles assignent à leurs
fonctions : un juge d'instructions, Yves Bonnet, un président
de cour d'assises, Dominique Fournier et un avocat général,
Michel Legrand» Autant d'éloges qui n'auraient pas
fleuri si le verdict de Grenoble avait été autre.
Et maître Leclerc de conclure : «Je crains pour l'avenir,
les hommes qui se prétendent parés des vertus qui
furent alors celles de ces magistrats. C'est pour cela que je continuerai
à combattre les institutions. Il faut ici signaler que, après
le procès, d'autres magistrats se répandirent en invectives
contre leurs collègues de Grenoble. Pour eux, le désastre
judiciaire, ce n'était pas ces quatre ans pris à la
vie d'un innocent, parce que nos institutions avaient mal fonctionné,
c'était le fait que ce «dysfonctionnement», comme
on dit, eût été révélé
par ce procès qui n'avait pas suivi jusqu'au bout la pente
toute tracée depuis les «aveux» de Richard Roman
dans les locaux de la gendarmerie de La Motte du Caire»
Que Richard Roman ait été acquitté ne m'a,
personnellement, nullement choqué et son acquittement n'aurait
dû choquer personne puisque, en France, pays de droit, le
peuple est souverain par l'entremise de ses jurés tirés
au sort sur les listes électorales. Quoi de plus démocratique,
même s'ils sont assistés de trois magistrats dont c'est
la profession de juger. Que dire devant la souveraineté du
peuple?
Il n'empêche que l'acquittement de Richard Roman n'aurait
jamais pu être contesté si l'instruction et le procès
n'avaient été sujets à des controverses et
à des doutes. Et cet aspect concerne le fonctionnement de
notre État de droit.
Des doutes sur la manière dont ont été menés
l'instruction et surtout les débats, existent. Tous ceux
qui ont participé aux audiences en sont ressortis avec une
impression de malaise comme si des ficelles avaient été
tirées en coulisse, comme si des pressions diffuses ou confuses
s'étaient infiltrées dans l'esprit des acteurs de
ce procès. Si tel n'avait pas été le cas, peut-être
la manifestation de la vérité aurait elle éclaté
plus tôt.
Seulement, il demeure trop de zones d'ombre, trop de non dits, trop
de témoins écartés, trop d'étrangetés
lors des audiences pour que la principale victime de ce tragique
fait divers, Céline, puisse à jamais dormir tranquille,
et que ses parents puissent enfin trouver le repos du cœur.
Une bonne justice dépend des vérités bien éclaircies
qu'on lui rapporte.
Il faut à des jurés beaucoup de cœur, d'intelligence,
de clairvoyance et de réflexion pour ne pas se perdre dans
les erreurs, les fables ou les impostures.
Éclairés, les jurés de Grenoble l'ont-ils assez
été? Ont-ils rendu leur sentence sous la pression
comme le soutiennent encore aujourd'hui l'avocat de Didier Gentil,
maître Juramy et celui du père de la petite Céline,
maître Collard? Eux seuls pourraient le dire. D'autant, qu'ils
ne disposaient pas, à l'époque du manuel que vient
d'éditer pour eux le ministère de la justice : Le
Premier Guide à l'usage des jurés des cours d'assises.
Il expose, en cinq chapitres, leurs droits et leurs devoirs, bien
des magistrats ayant constaté la crainte qu'ils ont tous
de se tromper dans leur décision.
Certains souhaiteraient pour eux un stage de formation d'une semaine,
avant les sessions d'assises, pour les décomplexer avant
qu'ils ne siègent. Car, selon Alain Vugeweith, du syndicat
de la magistrature, organisation plutôt à gauche, «Les
jurés sont perdus par rapport au rituel, aux symboles, au
langage de l'univers judiciaire»
Ceux du procès de Céline ont-ils subi directement
ou indirectement des pressions? Ils emporteront sans doute avec
eux ce lourd secret en vertu du principe qui porte un nom dans la
langue des hommes. C'est le vrai. Parce que le vrai est et que le
vrai vient toujours à bout du faux qui ne l'est pas.
Que tous ceux qui pleurent Céline, se consolent en songeant
que de toute évidence le peuple de France juge ses juges,
parce que, lui, recherche le vrai, fût-ce des décennies
plus tard.
En acquittant Richard Roman, le 17 décembre 1992 ce peuple
a tranché. Respectueux des lois, le père de Céline,
Gilbert Jourdan, se refuse aujourd'hui à commenter ce verdict.
Enfermé dans son chagrin, il se tait, mais il espérait
connaître la vérité lors d'un nouveau procès
de Didier Gentil.
À ceux qui viennent encore le voir derrière le comptoir
de son café de La Motte du Caire il murmure inlassablement
: «Pour moi, il a été acquitté au bénéfice
du doute et condamné à la suspicion légitime
à perpétuité»
Lyon
le 31 décembre 1993
ANNEXE
Yves
Ponthieu, quarante trois ans à l'époque, économe
de l'hôpital de Hauteville Lompnes, dans le département
de l'Ain, avait été arrêté le 23 juillet
1981 pour le viol et le meurtre d'une jeune infirmière de
cet établissement, Monique Soubeyran. Le corps de la jeune
fille avait été retrouvé calciné dans
une clairière près du col de la Berche à quelques
kilomètres d'Hauteville. Près de son cadavre, outre
son slip déchiré, les enquêteurs devaient découvrir
le livre «Vénus Erotica» d'Anaïs Nin qu'un
libraire de la commune affirma aussitôt avoir vendu à
l'économe de l'hôpital.
Interrogé par les gendarmes, Yves Ponthieu devait avouer
le meurtre, après, il est vrai, plus de quarante heures d'interrogatoire.
Aveux renouvelés dans la foulée devant un juge d'instruction,
Mlle Gérard-Blanc : fraîchement sortie de l'École
de la magistrature, elle ne pouvait être taxée de cruauté
mentale. Aveux accompagnés d'une foule de détails
que seul un coupable pouvait fournir. Par exemple, l'endroit où
il avait caché les sous-vêtements de la victime et
la bouteille d'essence avec laquelle il avait brûlé
son cadavre.
Quelques jours plus tard, Yves Ponthieu était revenu sur
ses aveux, criant à l'erreur judiciaire et à la manipulation
des enquêteurs, grève de la faim à l'appui.
A partir de cet instant, à l'initiative d'un prêtre,
se mettait en branle un comité de soutien fort de plus d'un
millier de signatures parmi lesquelles - outre celles des deux prélats
et de Gilles Perrault - figuraient des hommes politiques comme le
centriste André Diligent et le socialiste Michel Delebarre.
Auparavant, comme pour l'affaire Céline, ce comité
de soutien avait opéré selon un processus bien établi
et qui semble maintenant servir de modèle. D'abord, une contre
enquête sur le dossier lui-même. Sachant que dans tout
fait divers, il est facile de déceler dans l'enquête,
- qu'elle soit confiée aux gendarmes ou à la police
judiciaire - des zones d'ombre ou des insuffisances, il y a toujours
quelque part un procès verbal qui n'a pas été
signé, une expertise mal exécutée, un témoin
oublié, etc. C'est évidemment le rôle des avocats,
que de profiter de la moindre erreur de procédure, sinon
jamais il n'y aurait de cassation possible.
Mais revenons à la stratégie des comités de
soutien et, dans le cas présent, de son évolution
en faveur d'Yves Ponthieu. Le résultat de la contre enquête
ne se fait pas attendre puisque paraît très vite un
document intitulé pour la circonstance «Essai de contre
enquête», signé par l'abbé Jean-Hubert
Vigneau. Il permet d'organiser une série de conférences
de presse et de débats publics, dans plus de vingt localités
du département. Sans parler des articles dans «Libération»,
qui font ressortir les erreurs, les omissions, les lacunes sous
les imprécisions de l'enquête.
De ce tout on ne peut s'empêcher de penser qu'il est destiné
à faire pression, d'abord sur l'opinion publique ensuite
sur les jurés de la cour d'assises. Ce sera peine perdue
dans l'affaire Ponthieu. Le 22 avril 1983, la cour de l'Ain l'a
condamné à vingt années de réclusion
criminelle.
Un moment désorienté par ce verdict de Bourg en Bresse,
le COSYP est vite reparti en campagne, multipliant déclarations
et pressions. Le résultat? La décision présidentielle
que l'on sait, laissant sans voix ou presque la mère de la
jeune infirmière : «C'est une blessure de plus a déclaré
Mme Soubeyran, j'aurais pu moi-même former un comité
de soutien. A quoi bon? Ma fille ne reviendra pas. Mon chagrin me
suffit, mais j'accuse toujours»
Quant au responsable de l'enquête, l'adjudant chef Flacher
il a seulement eu cette réaction devant l'émoi des
habitants d'Hauteville : «A mon avis, le public ne fait pas
de différence entre la grâce et l'innocence»
Constat plus lourd qu'un commentaire.
Il n'empêche que si, depuis sa libération, Yves Ponthieu
souhaite un retour à l'anonymat, il n'a pas renoncé
pour autant à faire connaître sa vérité.
«Le retour à l'anonymat est nécessaire dit-il,
pour que je puisse travailler avec le comité de soutien et
mes avocats à la révision de mon procès»
Depuis, maître Henri Leclerc y travaille.
Pour démontrer, s'il en était besoin l'efficacité
des ces comités, il faut aussi évoquer un autre dossier
: «l'affaire Tangorre» Elle a conduit, comme dans la
précédente François Mitterrand - un peu sous
la pression publique ou l'hypnose médiatique - à gracier
un condamné qui finira par récidiver.
«L'affaire», allusion à l'ouvrage de maître
Jean-Denis Bredin, avait débuté par une série
de viols et d'attentats à la pudeur, commis à Marseille
par un homme répondant toujours au même signalement.
Dix huit jeunes femmes étaient venues signaler ces agressions
à la police entre le mois de décembre 1979 et avril
1981. Pour décrire celui qui avait été baptisé
par la presse «le violeur des quartiers sud» comme un
homme jeune, moustachu, à cheveux courts, en jean et baskets
circulant en 2 CV et souvent armé d'un couteau. L'enquête
était au point mort quand le 12 avril 1981, une patrouille
de police aperçoit dans le 8ème arrondissement de
Marseille, un homme qui s'enfuit en courant. Il est jeune, moustachu,
il a les cheveux courts, il est vêtu d'un jean. Il est chaussé
de baskets, possède une 2 CV et surtout, porte sur lui un
couteau de cuisine. C'est suffisant pour qu'un juge d'instruction
l'inculpe ne serait-ce qu'en raison de ses alibis peu convaincants
pour le jour des viols. Et puis il ressemble beaucoup au portrait
robot réalisé par ses victimes, qui toutes le reconnaissent
formellement. Malgré l'absence d'aveux la cour d'assises
d'Aix en Provence le reconnaît coupable de onze viols et le
condamne à 15 années de réclusion criminelle
le 24 mai 1983.
C'est à partir de cet instant que se crée un comité
de soutien emmené par l'historien Pierre Viddal-Naquet qui
va prononcer cette petite phrase qui a remué bien des consciences
de l'époque : «C'est l'affaire Dreyfus de l'homme ordinaire»
Un livre paraît très vite qui d'ailleurs causera plus
tard sa perte. Il est écrit par un chercheur du CNRS, Gisèle
Tichané dans lequel sous le titre «Coupable à
tout prix» la jeune femme cherche à prouver l'innocence
de Tangorre.
Elle y parvient en partie puisque le comité se gonfle de
nouvelles signatures qu'on ne trouve pas sur les listes de Jean-Marie
LePen : Charles Hemu, Marguerite Duras, Françoise Sagan et
même l'épouse du Président, Danièle Mitterrand.
On y trouve également la signature de Michel Noir. En décembre
1983, «Libération» publie une contre enquête
sous la plume de son correspondant Jacques Maigne et dans «Le
Monde» Pierre Vidai Naquet, supplie le Garde des Sceaux de
placer Tangorre en liberté provisoire ce qu'il accorde le
20 décembre 1987 tandis que François Mitterrand lui
octroie quatre ans de grâce présidentielle.
C'est donc apparemment l'erreur judiciaire dans toute son horreur
fustigée par tous ceux, qui, quelques mois durant, ont salué
la reconversion du jeune homme comme buraliste à Lyon. Seulement,
quelques mois plus tard, le 27 mai 1988, deux jeunes américaines
en pleurs se présentent aux gendarmes de l'autoroute près
de Nîmes. Jennifer et Carole racontent comment elles viennent
d'être violées par le conducteur d'une 4 L verte qui
avait accepté de les prendre en stop près de Marseille.
Elles fournissent de lui un signalement précis et un luxe
de détails sur sa vêture et l'intérieur de son
véhicule, notamment la présence d'une pile de livres
dont la couverture présente une photo sous un titre comportant
en lettres vertes le mot coupable.
Tangorre, est arrêté le 24 octobre 1988 alors qu'il
s'apprêtait à lever le rideau de son bureau de tabacs
«Le Marigny», place Carnot à Lyon. Aussitôt
ses amis crient à la manipulation et le jeune homme déclare
au juge : «Soit ce sont des féministes qui n'ont pas
digéré ma libération ou c'est parce que certains
ne veulent pas d'un second procès qui mettrait à jour
le scandale judiciaire qui a valu de condamner un innocent à
15 ans de réclusion»
Mais cette fois la mayonnaise ne prend pas, son comité de
soutien reste discret et seuls croient à une seconde erreur
judiciaire les membres de sa famille. Les deux américaines
qui l'avaient reconnu sur photo depuis les États Unis sont
formelles quand elles leurs sont présentées en France.
Elles ont fourni trop de détails pour qu'il y ait doute ne
serait-ce que la présence dans sa voiture de plusieurs exemplaires
de son livre. Les jurés du Gard ne s'y sont pas trompés
en le condamnant à dix huit ans de réclusion criminelle
le 8 février 1992. A l'énoncé de ce verdict,
Luc Tangorre s'est évanoui après avoir crié
: «Pas deux fois, pas deux fois» Sa mère comme
son père croient cependant toujours à son innocence
et à l'erreur judiciaire tandis que les trente trois signataires
de son comité de soutien ont préféré
remiser leur slogan ; «le viol est un crime, l'erreur judiciaire
aussi» Et si leur conscience les incite encore à soutenir
qu'il vaut mieux un coupable en liberté qu'un innocent en
prison, il n'est pas inutile de rappeler en quelques lignes l'affaire
Knobelpiess.
Né à Elbeuf en 1947, d'une famille du quart monde,
Roger Knobelpiess est l'archétype de ce que notre société
peut produire de réelle délinquance, pour peu qu'elle
ne sache pas endiguer, contrôler la petite délinquance
et maîtriser surtout la pré délinquance. Plusieurs
fois condamné pour vols, il se voit pour un hold-up qu'il
affirme n'avoir pas commis, infliger quinze années de réclusion,
plus en raison de sa parenté - un frère tué
lors d'un cambriolage - et de son casier judiciaire. Ce qui lui
fait écrire : «Rien ne rime mieux avec casier judiciaire
qu'erreur judiciaire»
Une petite phrase qui va déchaîner tout ce que la France
médiatico-juridico intellectuelle compte de personnalités
atteintes du prurit de la pétitionnite. D'autant que ce garçon
de trente quatre ans, qui a passé la moitié de sa
vie en prison se met, malgré son analphabétisme à
publier des livres qui vont faire fureur : «Q.H.S.»
et «L'acharnement» préfacé par le philosophe
Michel Foucault. Ce qui lui vaut une permission de sortie durant
laquelle il va commettre une nouvelle série de hold-up jusqu'à
une nouvelle arrestation en mars 1977, une nouvelle condamnation
assortie d'une demande de grâce présidentielle. Elle
sera satisfaite par François Mitterrand six jours plus tard
qui le libère quatre mois avant l'expiration de sa peine
en novembre 1981. Il se fera arrêter deux ans plus tard, en
juin 1983 après l'attaque d'un fourgon blindé à
Palaiseau dans l'Essonne. Au grand dam des supporters de son comité
de soutien dont on n'entendra plus parler.
Texte
de
C'est
tout à fait par hasard, en feuilletant un journal d'annonces,
que j'ai découvert un jour, que le café restaurant
pizzeria de la Motte du Caire était en vente.
Je n'avais même pas la moindre idée où se trouvait
ce village. J'ai dû prendre une carte pour le repérer,
afin d'aller voir sur place si cette affaire m'intéressait.
C'était dans le courant du mois de février 1988.
Nous voilà partis un beau matin à la découverte
de La Motte du Caire.
Passé Sisteron, voyant la petite route sinueuse que nous
avions empruntée, j'ai eu l'impression que j'allais trouver
un trou perdu, sans vie, au milieu des montagnes.
La route m'a paru très longue, et j'ai été
soulagé lorsque j'ai aperçu le clocher et les toits
du village de la Motte au milieu de ses montagnes et entourés
de champs de pommiers.
En entrant dans ce joli petit village de 500 habitants la première
chose que l'on voit, c'est le café restaurant pizzeria que
je venais voir. Je ne pouvais pas le manquer. Je rentrais dans le
bar, et là, nouvelle surprise, le bar était plein,
comptoir, tables de belote, et jeunesse dans la petite salle de
jeux. Ce fut le coup de foudre, et l'affaire fut faite en très
peu de temps. Je m'installais à La Motte du Caire avec ma
compagne Nathalie le 1er avril 1988.
Au soir du 31 mars, nous avons offert à toute la population,
un grand apéritif pour inaugurer notre arrivée, et
très vite nous avons été adoptés par
tout le monde.
Nous nous sommes fait des amis et j'ai l'impression d'avoir toujours
vécu là.
La deuxième semaine des vacances de Pâques, mes parents
m'amenèrent mes enfants, Christophe 8 ans et Céline
6 ans et demi, qui demeuraient à St Zacharie avec leur maman.
Ils étaient très heureux de passer cette semaine avec
nous. Ils se sont très vite fait des copains et copines de
leur âge et familiarisaient même avec les clients, car
chacun leur disait un mot gentil.
Christophe a toujours eu un regard bienveillant sur sa petite sœur
Céline, et une patience d'ange pour jouer avec elle. Il était
toujours prêt à partager ses jeux de garçon.
Ils ne se quittaient jamais, si ce n'est à l'école
pour rentrer en classe.
Jouant toujours avec ce grand frère à des jeux de
garçons Céline était devenue un peu comme lui,
jouant aux soldats, voitures de pompiers, football. Les poupées
et les dînettes ne l'intéressaient pas. Elle était
très dissipée, mais malgré cela toujours souriante
et très affectueuse, vêtue plus facilement d'un short
que d'une jupette. A regret les vacances se terminent et les deux
enfants regagnent St Zacharie avec mes parents.
Cela nous fait un grand vide. Heureusement nos parents montent assez
souvent pour nous donner un coup de main, et cela nous a bien aidé
pour nous adapter à cette nouvelle vie qui s'organise peu
à peu. Nous essayons de notre mieux d'animer le village en
faisant, soit des soirées pizzas soit des concours de belote.
Un beau jour, je vois arriver une équipe de hippies, 2 garçons
et une jeune fille. Très étonné je m'adresse
aux habitués du bar en leur disant : «Qu'est-ce que
c'est? D'où sortent-ils? » et de me répondre
: «Ils ne sont pas beaux, ils sont sales, mais très
polis. Ils habitent une ruine aux plaines sur le plateau de Melve.
Ils élèvent des chèvres, et il n'y a jamais
eu de problèmes avec eux» Ils disent bonjour, en entrant
touchent la main à tout le monde ainsi qu'à moi-même
et me commandent une consommation qu'ils me règlent. Ils
sont devenus pour moi, à partir de ce jour, des clients comme
les autres, et je les considérais comme tels. Il s'agissait
de Richard, Noël et Laurence. Les beaux jours arrivant, ils
avaient l'habitude de s'installer à une table en terrasse,
et d'y passer des après-midi entiers à lire ou à
écrire. Je n'ai jamais cherché à comprendre
ce qu'ils faisaient.
Dans le courant du mois de mai un quatrième personnage arrive
avec eux, un beau jour. C'était Didier qui s'était
joint à eux, et à leur mode de vie. Il leur arrivait
aussi de faire des travaux saisonniers chez les paysans des alentours.
Pour ma part, je les avais pris en pitié croyant qu'ils étaient
dans cet état par manque d'argent, et il m'arrivait même
de leur offrir du pain, ou des restes du restaurant.
Un jour Noël me demande de lui trouver un appartement pour
ses parents, pour les vacances. Comme je suis resté un peu
surpris il ajoute : «Ne croyez pas que mes parents sont comme
moi, ils sont au contraire très riches et capables de se
payer un loyer et des vacances, quant à moi, je suis comme
ça parce que j'aime cette vie» En effet ses parents
sont venus pour les vacances à la Table d'Hôtes de
la Motte, et je les ai même eu comme clients au restaurant.
Je me suis rendu compte bien plus tard, qu'il en était de
même pour Richard. Fils de familles aisées, blasés
de tout, et qui tombent par plaisir dans la marginalité et
la drogue.
Pour sa part, Richard avait tout pour réussir. Intelligent,
ingénieur agronome, il est le fils d'un officier militaire
de carrière et d'une infirmière. Son frère
Joël, est rédacteur en chef de la revue «Esprit»
et son frère Thibaud, technicien vétérinaire
et chercheur en biologie moléculaire.
Le mois de juillet commence, et j'étais heureux à
l'idée que mes parents allaient arriver cette fois avec les
enfants.
Quelques jours avant le 14 juillet toute la famille arrive comme
convenu.
Christophe et Céline étaient très heureux de
nous revoir, ainsi que de retrouver leurs copains et copines de
la Motte, les jeux électroniques, le baby foot, le flipper,
les sirops, les glaces que je ne peux par leur refuser, tant ils
sont heureux et moi aussi.
Mes parents les avaient pris la veille au soir chez leur mère,
afin de partir le lendemain matin de bonne heure. En passant, ils
s'arrêtent chez leurs amis pour leur dire bonjour et leur
montrer les enfants qu'ils ont revus avec plaisir. Ceux-ci portaient
depuis peu de temps une chaînette en argent qu'ils étaient
tout heureux de montrer à l'amie de ma mère qui leur
dit : «Elle est belle cette chaîne ! Mais attendez,
je vais vous donner une médaille à chacun pour y accrocher
» Ce qui fut fait, un trèfle à 4 feuilles pour
Christophe et une vierge pour Céline. Ils étaient
très contents, et n'ont plus quitté cette chaîne
de toutes les vacances. Autre anecdote ce jour-là, Céline,
malgré ses airs de grande fille ne pouvait pas dormir sans
sucette, et, l'ayant oubliée chez sa maman, mes parents et
Céline ont passé une nuit blanche, et ont dû
en partant s'arrêter à nouveau au village pour la récupérer.
Afin de les occuper un peu pendant ces vacances, de temps à
autre, Christophe essuie les verres du bar, tandis que Céline
s'occupe de dresser les couverts pour les repas de la famille.
Les après midi se passent soit à la piscine du village,
après la sieste, ou alors nous les emmenons avec nous faire
les courses à Gap, Sisteron ou Digne. C'était vraiment
pour eux de folles vacances.
Le soir du 14 juillet, à la retraite aux flambeaux, ils ont
même eu un lampion allumé pour faire le tour du village
derrière la fanfare. C'était les plus heureux.
La semaine suivante, alors que leur départ avançait,
commencent à arriver sur la place du village, les caravanes
de forains, venant s'installer pour la fête votive de la Sainte
Marie Madeleine. Là alors plus question de redescendre à
St Zacharie. Ils ne voulaient rien manquer. Les manèges,
le tir à la carabine, les autos tamponneuses, la pêche
miraculeuse, et en plus de tout cela, un cirque !
Vu leur insistance, je téléphone à leur mère
pour la mettre au courant, et avec son accord, avons décidé
qu'ils regagneraient St Zacharie après la fête le mercredi
27 juillet dans la journée. La fête s'est déroulée
merveilleusement et ils ont profité de tout au maximum.
Le lundi 25 déjà le rythme ralentit. L'après
midi jeux pour les enfants auxquels, bien entendu, ils ont participé,
et le soir danse sur la place effectuée par un groupe folklorique.
La Motte redevient peu à peu plus calme. Le mardi matin 26
juillet, tranquillement, les forains démontent leur matériel,
et jusqu'au soir les caravanes quittent la Motte. Certains ayant
plusieurs remorques feront même plusieurs voyages dans la
journée.
Dans mon établissement, tout se passe normalement, comme
les autres jours. Mon père fait l'ouverture ce matin là,
car nous essayons de nous relayer pour pouvoir récupérer
à tour de rôle. Ma mère est à la cuisine
pour préparer le repas de midi. Je mets ma terrasse en place
et reprends mon service au comptoir.
Lorsque Céline descend de l'appartement avec Christophe et
Nathalie, elle est toute heureuse et ravie de nous montrer qu'elle
est habillée comme une petite fille, avec un long tee-shirt
qui lui sert de robe, serré à la taille par un foulard
fluo, et une barrette dans ses cheveux et elle nous dit : «Regardez
comme je suis belle ! » Après avoir déjeuné,
les deux petits rejoignent sur la place devant le bar, leurs copains
et copines et vont et viennent ayant bien entendu, toujours envie
de quelque chose.
En fin de matinée, Didier arrive au bar. Il venait d'encaisser
sa paie. Il me règle une note ainsi que celle de ses amis
Noël et Laurence et prend une consommation. Il m'a dit qu'il
arrivait de travailler.
Puis il décide de manger, un steak frites. Je l'installe
dans la salle du bar pour ne pas gêner les clients du restaurant.
Puis il me commande un dessert. «Des glaces» me dit-il
«Une de chaque parfum ! » Et je lui sers dans une grande
coupe, six boules de glace.
C'est à ce moment-là que, le service du restaurant
touchant à sa fin, Céline arrive avec ma mère
pour mettre le couvert dans l'arrière cuisine du bar, pour
prendre à notre tour, le repas.
En voyant cette énorme coupe de glace, elle ne peut s'empêcher
de dire : «Hum ! les bonnes glaces ! » Sur ce, Didier
répond : «Tu en veux une? je te la paie ! » Ma
mère n'est pas d'accord et lui dit : «Ce n 'est pas
le moment, nous allons passer à table ! » Didier insiste,
paie la glace, qui fût servie à Céline après
le repas.
Entre temps, Didier boit un café, un verre de liqueur en
compagnie de plusieurs jeunes de la Motte, dont l'un d'eux lui avait
prêté un maillot de bain, genre caleçon, et
ils partent tous ensembles à la piscine.
Sitôt notre repas terminé mon père monte à
la chambre avec les enfants pour se reposer. Ma mère nous
aide à débarrasser la table, et à donner un
coup de balai au bar. Soudain arrive en courant toute essoufflée,
Laurence Duburq. Perchée sur la pointe des pieds, de dessus
le pas de la porte elle me demande si Didier m'a payé ses
consommations, ainsi que celles de Noël. Je lui dis «oui»
car effectivement Didier avait tout réglé. Puis repart
aussi vite qu'elle était arrivée en disant : «Très
bien, au revoir, je suis pressée» Nous avons été
très étonnés de ce passage aussi rapide, et
nous nous sommes demandés ce qui pouvait bien se passer.
Nous ne l'avions jamais vue aussi pressée.
Après cette visite éclair ma mère monte à
son tour se reposer. Ne pouvant pas dormir elle redescend peu après
et me dit : «Depuis que je suis là-haut, j'entends
les petits discuter, et jouer avec des pièces de monnaie,
je n 'ai pas pu dormir»
Ce que je ne me souviens pas, cette après-midi là,
c'est d'avoir servi Mme Bachet, mère de Richard, et sa cousine
Me Rosso à la terrasse. Elles le mentionnent toutes les deux
dans leurs déclarations. C'est fort possible. Lorsque j'ai
appris cela en lisant le dossier, il y avait déjà
pas mal de temps que les faits s'étaient passés, et
2 clientes en terrasse c'est tellement banal. Mais ce que je démens
formellement c'est que Mme Rosso aurait reconnu Didier Gentil buvant
des verres de vin en compagnie de Céline, alors qu'à
l'heure donnée par Mme Rosso, Céline faisait sa sieste
et Gentil était parti à la piscine. Sitôt levés
de leur sieste, les enfants se dirigent vers la salle de jeux et
tous deux, s'installent devant les machines sans me demander de
l'argent, ce qui confirme ce que ma mère m'a dit.
Je voulais tout de même savoir d'où venait cet argent,
car ils ne manquaient de rien, et je ne voulais pas qu'ils se servent.
Ils m'ont raconté mille mensonges et impossible de leur faire
dire la vérité. Finalement je les ai punis en leur
interdisant de sortir. Céline a fini par s'endormir sur le
canapé, et peu après Christophe m'a avoué difficilement,
car il ne voulait pas trahir sa sœur, que l'argent avait été
dérobé dans les poches de mes pantalons.
La punition a été levée pour Christophe, et
lorsque Céline s'est réveillée je lui ai dit
que je savais la vérité, mais que je ne voulais plus
que cela se reproduise. Mais elle était contrariée
de m'avoir fait de la peine, et pour retrouver son beau sourire,
elle fait un gros bisou à tout le monde, nous promettant
d'être gentille et tous installés autour d'une table
du bar, nous dégustons la glace de la réconciliation.
Céline s'est assise sur les genoux de ma mère.
Puis les petits sortent et rejoignent leurs amis, ils vont et viennent
sur la place comme ils le font depuis qu'ils sont là, allant
de la terrasse à la fontaine, à l'estrade du bal,
jouant à cache-cache dans les petites rues voisines du bar.
En fin d'après midi Gentil arrive de la piscine avec une
bande de jeunes gens.
Vers 20 heures les premiers clients du restaurant s'installent en
terrasse. Et c'est bien vers 20 h 30 comme l'a déclaré
mon père que Nathalie venant de prendre sa première
commande, aperçoit Roman se diriger vers une voiture stationnée
sous le seul marronnier de la place pied de ville, lever le bras
et tournant la tête brusquement, en la voyant lui dit : «Bonjour
! » Cet étrange bonjour lui est resté gravé,
et elle est certaine de l'heure ainsi que mon père qui, une
dizaine de minutes plus tôt avait lui, vu arriver Roman, alors
qu'il soulevait la bâche pour donner plus de clarté
dans le bar, le soleil venant de disparaître derrière
la montagne.
Depuis sept ans chaque 26 juillet, malheureusement, nous revivons
heure par heure cette journée et nuit tragique et nos repaires
sont toujours les mêmes. Le soleil disparaît derrière
la montagne et la bâche du bar se soulève vers 20 h
20 et les témoins qui ont vu Roman, ne changeant pas leurs
habitudes sont toujours là à la même heure.
Si je cite plus haut «le seul marronnier» c'est pour
me reporter à la déclaration de Roman, lors de son
audition du 27 juillet 1988, où il précise au folio
6 : «En arrivant à la Motte, j'ai stationné
mon véhicule au pied de ville à proximité du
seul marronnier situé sur la place» etc... et à
la page 4 de cette même audition il dit : «Dans le square
des marronniers, j'allais chercher des cigarettes. Les personnes
qui m'ont reconnues à bord de la Renault R5 de couleur grise,
propriété de ma mère, ont dit la vérité.
J'ai circulé dans l'agglomération de La Motte du Caire»
Donc il fait bien la différence lorsqu'il gare sa voiture
devant le bar, et lorsqu'il traverse le village jusqu'au square
des marronniers c'est à dire le monument aux morts, et il
a bien vu les jeunes qui s'y trouvaient, mais eux ne l'ont pas remarqué
car cette voiture était étrangère à
la Motte et Roman avait l'habitude de circuler à pied ou
à dos d'âne. D'autre part, au procès à
Grenoble lorsque j'ai demandé la parole pour expliquer certaines
choses qu'il fallait à tout prix que les jurés sachent,
j'ai cité aussi ces phrases là et personne n'a posé
de question. Il n'y a que mon avocat Pesenti qui après l'audience
m'a dit : «Ce n'est pas la peine de demander la parole pour
dire des conneries, ce que tu as dit n'est pas dans le dossier»
Drôle d'attitude pour un avocat qui était là
pour me défendre.
Roman dit aussi être descendu pour chercher des cigarettes,
pour cela il aurait fallu alors qu'il soit au village au moins à
19h 30 car c'est l'heure ou l'épicerie qui fait fonction
de tabac ferme, et au bar personne ne lui a vendu de cigarettes
d'autre part il dit toujours p 6 de son audition : «J'ai demandé
à André, parent du gérant s'il avait vu Didier.
Il m'a répondu qu'il était parti depuis une heure»
C'est un scénario qu'il s'est inventé car il n'a rien
demandé et lorsque mon père l'a servi, il s'est assis
pour engager la conversation avec lui, et il lui a tourné
le dos, et à ce moment là Gentil était dans
la salle de jeux et c'était bien 20 h 30.
Après cette parenthèse il faut revenir à la
soirée du 26 juillet 1988. Un peu plus tard, alors que ma
mère était occupée en cuisine, et Nathalie
au service du restaurant, je demande à mon père :
«Où sont les petits? » et il me répond
: «Dans la salle de jeux ! je les surveillais tantôt
du comptoir tout en servant» Je vais dans la salle de jeux,
il n'y avait qu'une bande de jeunes de la Motte qui allaient passer
à table pour une soirée pizzas. Je fais le tour de
l'établissement, cuisine, salle de restaurant, terrasse,
bar, arrière cuisine, à nouveau salle de jeux, et
toujours personne. De devant le bar j'aperçois une bande
de gosses qui jouent sur l'estrade de l'orchestre, j'appelle plusieurs
fois «Christophe ! Céline ! » toujours pas de
réponse. Christophe arrive tout essoufflé. Ouf ! Enfin
! je lui dis : «Mais où est ta sœur? » «Je
ne sais pas» «Comment ! »... Cela me paraît
plus qu'anormal car ils sont toujours ensemble. Nous ressortons,
et tous ensemble aux quatre coins de la place nous crions : «Céline
! » que l'écho répète dans le grand vallon,
et toujours rien. Je suis pris de frissons, et mon sang ne fait
qu'un tour.
Personne parmi les clients du bar qui étaient en terrasse
ne l'a vue sortir. Mon père me dit : «Ce n'est pas
possible ! il y a tout juste un quart d'heure je te dis qu’elle
était dans la salle de jeux avec son frère assise
sur le tabouret, et Gentil la faisait jouer au flipper, je les regardais»
Christophe repart voir si par hasard elle n'est pas allée
chez une copine. Nous sommes à ce moment-là, tous
très inquiets et excités par cette absence.
Entre temps, Nathalie qui venait de servir le premier plat en terrasse
me dit : «C'est pas normal que Céline ne soit pas là
! ta mère finit le service je vais voir si par hasard elle
n'est pas partie avec mon amie sans nous le dire» Je pars
sitôt après avec ma voiture et fais tout d'abord le
tour du village et toutes les petites ruelles avoisinantes du bar.
Pendant ce temps, connaissant Céline comme étant une
grosse curieuse, toutes les personnes qui se sont déjà
jointes à mes parents cherchent dans les maisons inhabitées,
les caves aux alentours du bar, les jardins, les champs de pommiers,
toujours rien.
Nous pensons même à un certain moment, qu'elle a pu
s'introduire dans une caravane de forains au moment du départ,
et partir avec eux sans que personne ne s'en rende compte. Céline
s'est volatilisée.
Puis nouvelles recherches, cette fois-ci dans la maison, où
tous les appartements sont fouillés de fond en comble, tous
les coins et recoins, les placards, les chambres, les greniers,
espérant qu'elle est en train de nous jouer un tour. Se cacher
pour se faire chercher. Ayant avec ma voiture élargi mes
recherches aux endroits les plus éloignés, entrée
du village des 2 côtés, terrain de foot et de camping,
piscine, je reviens au bar voir s'il y a du nouveau. Toujours rien.
Désespéré, je charge mère d'appeler
la gendarmerie, et je repars.
Celle-ci se fait jeter par le chef Ramette qui lui dit : «C'est
à cette heure ci que vous vous rendez compte qu'une gamine
de 7 ans a disparu ! »
Mais ce que le gendarme ne sait pas c'est qu'il y a presque deux
heures que nous avons commencé nos recherches. J'arrive à
nouveau au bar. La place pied de ville est en effervescence et tout
le monde court dans tous les sens. Cette fois ci je crie : «faites
sonner la sirène et appelez du renfort ! » Quant à
moi je monte aux plaines. Il faut que j'explique pourquoi aux plaines
c'est une jeune fille de la Motte qui m'a accompagné, car
je ne savais même pas où ça se trouvait, et
qui a insisté pour que nous y allions, car elle avait entendu
dire que Roman faisait des saunas sous son tipi avec des enfants
nus. Malgré cette information je pensais que si je trouvais
Céline là haut elle serait toujours vivante. Je ne
suis pas monté aux plaines pour chercher l'assassin de ma
fille, comme me l'a jeté en pleine figure Michel Legrand,
avocat général, lors du procès à Grenoble.
Malheureusement, en arrivant devant la ruine, j'ai eu beau appeler,
crier, hurler même, Richard n'a pas répondu. Son chien
aboyait à tout rompre, et je ne peux pas croire qu'il n'a
rien entendu, surtout, dormant dans une ruine sans porte, ni toiture.
D'autre part le témoignage de M. Celerier prouve qu'il a
stationné sa voiture sur l'aire de M. Chabrier aux alentours
de 22 heures. Il avait donc une demi-heure d'avance sur moi et Roman
dit p 2 de son interrogatoire : «J'ai quitté le bar,
et je suis remonté directement chez moi. J'ai soigné
mes bêtes, et je me suis couché avant minuit»
Il ira même dire pendant le procès : «J'ai donné
à manger aux bêtes, je me suis couché, et j'ai
lu un moment : «Papillon» ajoutera t-il même à
Grenoble. Est-ce que quelqu'un s'est inquiété de savoir
si ce livre avait été saisi aux plaines? Pas à
ma connaissance.
Pendant que j'étais aux plaines, mes parents ont eu la visite
au bar d'un couple de campeurs hollandais venus leur signaler, avec
beaucoup de peine pour se faire comprendre ne parlant pas le français,
avoir vu dans la soirée une petite fille courir en criant
dans un champ de pommiers près de la passerelle, mais qu'ils
ont pensé qu'elle jouait. Pour croire qu'elle jouait, elle
n'était obligatoirement pas seule. Ma mère a signalé
maintes fois ce détail, mais ces gens là sont restés
introuvables, ayant quitté le camping le lendemain. Leurs
témoignages auraient été capitaux.
Bien entendu, les recherches s'organisent de ce côté
là, mais sans résultat.
Lorsque je rejoins le bar souhaitant que Céline ait été
retrouvée, tout bascule pour moi, car elle n'est toujours
pas là. Mes parents sont en pleurs et nous ne savons plus
ce que nous devons faire.
Les gendarmes et les pompiers ont entrepris les recherches, et tous
les habitants du village, ayant entendu sonner la sirène,
armés de lampes électriques, se sont joints à
eux. Dans le village et aux abords du grand vallon résonne
un seul cri de toutes parts repris par l'écho Céline
! Céline !
J'ai encore ces cris dans la tête, et j'en ai encore la chair
de poule et la gorge nouée, car je pense souvent à
cette nuit là.
À force de poser des questions à l'un et à
l'autre j'apprends enfin, que Céline a été
vue avec Gentil. Les uns l'ont vu monter la rue Casse cul d'autre
descendre la rue principale en revenant vers le bar. J'interpelle
Gentil alors qu'il s'affairait à participer aux recherches
et lui dit : «Qu'as-tu fais de Céline? » et calmement
il me répond : «Je l'ai ramenée au bar»
Je lui avais déjà posé cette question car mon
père m'avait dit qu'il était dans la salle de jeux
avec elle. Et sans arrêt tout le monde lui pose cette question,
et infatigablement il répond toujours la même chose.
Finalement, je m'énerve, je le prends par les épaules
en le secouant vivement et en hurlant : «Tu vas me dire ce
que tu as fait de Céline? » Toujours la même
réponse. Ma mère affolée intervient pour me
calmer, le prenant presque en pitié car tout le monde le
harcelait avec cette question.
Les pompiers avaient installé leur PC devant la mairie, et
à un moment, alors que mes parents venaient de prendre des
nouvelles, tout en revenant vers le bar, mon père désespéré
dit : «C'est pas possible qu'on ne la trouve pas cette petite,
on nous l'a enlevée» et Gentil se trouvant près
de lui à cet instant lui tape sur l'épaule et lui
dit : «Celui qui a fait ça, c'est un salaud André,
on le retrouvera»
Mon père effondré, n'a même pas réalisé
le sens de cette phrase.
La gendarmerie ayant fait appel au chien de recherches de Barcelonnette,
celui-ci arrive bientôt sur les lieux et les recherches commencent.
Nous procurons au maître chien le pyjama que Céline
portait la nuit avant, et le chien cherche partout dans l'appartement,
ne négligeant rien au passage flairant partout, puis descend
au bar, va à la salle de jeux, et finit par venir renifler
la chaise, sur laquelle ma mère était assise, avec
Céline sur ses genoux, lorsque nous avons mangé la
glace l'après midi. Nous reprenons courage. Le chien va la
trouver, ou blessée dans un coin diront les uns, ou endormie
diront d'autres. Pour nous endormie était chose impossible
car sans sucette pas question de dormir. Puis le chien commence
à tourner en rond sur la place, à la fontaine, sur
l'estrade de l'orchestre, devant la mairie, et revient au bar.
Le chien a même pendant ses recherches sur la place sauté
sur Gentil méchamment et ce n'est pas pour rien. Je crois
que cela aurait dû ouvrir l’œil au maître
chien.
Voyant que le chien tournait en rond toujours au même endroit
son maître s'assied un moment et dit : «Je ne comprends
pas, la petite n 'est pas loin, elle est dans le périmètre
de la place et du bar» Mon père lui demande si la méthode
est la même que pour la chasse ce à quoi il répond
: «Bien sûr»
Comme nous venons d'apprendre que les jeunes avaient vu Céline
et Gentil place des marronniers mon père lui dit : «Essayez
d'aller reprendre sa trace plus haut» Ce qui fut fait.
Seulement, au lieu de partir seul avec son chien, il est parti vers
les marronniers avec les bénévoles qui participaient
aux recherches, et parmi eux bien entendu Gentil, qui allait et
venait dans tous les sens. Et ce que personne n'a voulu comprendre
dans cette affaire, c'est que Gentil tout bêta qu'il est,
étant imprégné de l'odeur de Céline,
amené le chien où il voulait, et l'a empêché
de retrouver le corps. Si le chien avait travaillé seul avec
son maître, lorsqu'il a été au niveau de la
passerelle, il aurait dû flairer droit vers le corps, alors
qu'il est retourné vers le camping. Et lorsque dans sa déclaration
le maître chien dira ne pas avoir vu de traces de voitures
au passage à gué, est ce qu'il cherchait une voiture,
ou une petite fille? D'autant plus que des traces de voitures, il
devait y en avoir car toute la soirée beaucoup de personnes
ont emprunté ce passage. Je l'ai emprunté moi-même
avec ma voiture et Nathalie avec la voiture de son amie.
Finalement, sans résultat les recherches s'interrompent pour
que tout le monde puisse se reposer et rendez-vous est pris pour
6 heures.
Nous avons fini la nuit dans le bar imaginant le pire, avec quelques
amis qui n'ont pas voulu nous quitter, et même Gentil qui
a fini par s'endormir sur une chaise.
De temps à autre nous repartions, ne sachant plus où
nous tenir, piquant des crises de larmes, nous consolant les uns
les autres, essayant de nous remonter le moral en imaginant des
choses auxquelles nous ne croyions pas nous-mêmes.
Par exemple : se serait-elle endormie dans un coin? Impossible la
sucette est à la maison !
À six heures tapantes, Monsieur Clément, maire de
la Motte, rassemble les bénévoles, faisant le tour
du village avec l'estafette municipale dotée d'un haut-parleur.
Puis les renforts arrivent de tous côtés. Gendarmerie,
armée, maître chien, hélicoptères, tout
le département est sur le pied de guerre.
Nous allons et venons tous hébétés, les yeux
hagards d'angoisse et de manque de sommeil, les jambes tremblantes,
sans trop savoir ce que nous faisons. Ayant refait une nouvelle
fois à pied avec Nathalie le circuit bar, terrain de foot,
passerelle, Je m'accoude un instant sur ce petit pont et regardant
couler l'eau me pose cette terrible question : «Mais où
peut donc être passée Céline, voilà bientôt
douze heures interminables qu'elle a disparu» J'ai l'impression
qu'il y a trois jours.
Je n'aurais jamais cru, que vers 10 heures ce matin là, ses
tongs allaient être retrouvées sous cette passerelle,
coincées par une pierre, alors qu'à ce moment même
il n'y avait rien, et que son corps sans vie serait retrouvé
à 14 heures à 20 mètres de là.
Dans le courant de la matinée, je suis entendu une première
fois par les gendarmes, puis mon père, lequel en entrant
dans le hall de la gendarmerie, voit Gentil qui lui dit : «Tu
te rends compte, Dédé, ils m'accusent, fais quelque
chose ! »
La chaleur était accablante et nous n'en pouvions plus de
fatigue et de désespoir. Vers 14 heures, malgré la
canicule les recherches reprennent et quelques minutes plus tard...
Je reverrai toujours, alors que nous nous étions retirés
dans l'arrière cuisine du bar, arriver Monsieur Clément
accompagné du père Bréziat venant nous annoncer
que Céline venait d'être retrouvée, la voix
entrecoupée de sanglots, les yeux pleins de larmes et ajoutant
du bout des lèvres, ce mot qu'il n'aurait jamais voulu prononcer
: «Morte»
Là alors tout bascule, le grand trou noir, et je m'effondre
tombant à terre comme une masse.
Mes parents m'ont raconté que la doctoresse a été
là immédiatement et a dû soigner toute la famille,
car nous étions tous à bout de force.
Quant à moi, j'ai été transporté dans
mon lit ou l'on m'a administré des piqûres de calmants
et somnifères et je n'ai plus rien vu jusqu'au lendemain
matin. C'est à ce moment là que toute la famille a
été prévenue, mes frères, mes oncles,
les amis de la famille, et dans la soirée, tout le monde
était là, mais je n'ai vu personne.
Le 28 juillet au matin, lorsque mon frère Alain, sur ordre
du chef Ramette est venu me réveiller, j'ai cru que je venais
de faire un cauchemar mais malheureusement, le drame était
là, réel et terrible. Céline était morte
mais à part cela je ne savais absolument rien de l'affaire,
car depuis la veille 15 heures, je dormais.
Le chef Ramette voulait donc m'interroger. Ne me sentant pas en
état pour me rendre à la gendarmerie, il accepta de
procéder à cet interrogatoire dans la salle de mon
restaurant.
Voilà ce que j'ai déclaré ce jour là
à 9 heures du matin étant resté en dehors du
monde depuis la veille 15 heures. À la page 3 de la côte
D38 - parlant de Gentil je dis : «Je sais qu'il est hébergé
par Monsieur R. Roman, un marginal, domicilié aux plaines
à Melve (04)»
A ce propos, ce dernier est venu mardi soir, dans mon établissement
vers 20 h 30 minutes, en compagnie de Cacao, ce dernier se trouvant
en terrasse. Il est arrivé seul à bord de son véhicule.
J'ai été surpris de voir cet individu conduire un
véhicule R5 de couleur grise, alors que d'habitude il sillonne
les routes pieds nus en compagnie de son âne. Je ne l'ai pas
servi, c'est mon père qui s'en est occupé. J'ai été
surpris, et ce n'est pas son habitude, de rentrer, consommer, et
repartir, il a pour coutume de s'éterniser plus longuement.
Pourquoi cette déclaration n'a t-elle jamais été
prise en compte, alors que lorsque je l'ai faite, je ne savais même
pas que Richard Roman avait été arrêté.
Les gendarmes entendent ensuite mon père et Nathalie qui
eux aussi diront avoir vu Roman à 20 h 30. Pourquoi? Ce n'est
pas de l'acharnement, c'est la vérité, vérité
que l'on a bien volontiers écartée pour innocenter
Roman.
Le petit village de La Motte du Caire est aussitôt assailli
par une armée de journalistes et de caméramans. Nous
sommes obligés de nous calfeutrer dans le bar pour retrouver
un peu de calme. Les journaux ont titré : «2 monstres
sans remords» Affaire Céline : «Le drame le plus
atroce de ces dernières années» Sans arrêt
le téléphone sonne pour avoir des détails sur
l'affaire alors que nous ne savons pratiquement rien, ou pour nous
proposer le service d'avocats. Nous ne savons plus où donner
de la tête. Nous sommes dépassés par les événements
et brisés par le chagrin.
Les détails du drame, dans les jours qui suivirent, personne
ne voulut nous les donner.
Nous avons appris beaucoup de choses par les journaux, que les parents
et amis qui étaient autour de nous, nous interdisaient de
lire, ne nous sentant pas en état de supporter cette barbarie.
Le confinement de toute la famille et des amis, en plein désarroi
entassés dans la salle du bar, dans une chaleur épouvantable,
n'arrange pas l'état de chacun et très souvent, les
uns ou les autres avons besoin de services médicaux. L'atmosphère
devient invivable, et sitôt que la gendarmerie n'a plus besoin
de nous, nous décidons de regagner Auriol, chez mes parents,
où nous avons passé encore une semaine, avant les
obsèques de Céline (le 4 août) vivant comme
des fantômes, sans réaction. Parmi les nombreux parents
et amis venus nous rendre visite, nous avons été incapables
de nous souvenir qui était venu. C'est par l'intermédiaire
de ces amis qui suivaient l'affaire depuis le début par la
presse et la télé que nous avons appris que Roman
avait été arrêté et pas mal de détails
sur l'affaire.
CAMPAGNE
DE PÉTITION
Sitôt
après le drame, dans les mairies d'Auriol et de St Zacharie,
les populations traumatisées ont voulu nous témoigner
de leur sympathie en dressant dans le hall un registre pour recueillir
des signatures pour que les meurtriers prennent la peine maximale.
Engrené dans cet élan, j'ai tenu à organiser
le 9 août devant les Baumettes, où étaient détenus
Roman et Gentil un rassemblement pour recueillir des signatures.
Rassemblement réussi et auquel les Marseillais ont répondu
présents.
La semaine suivante, ce fut mon frère Alain, qui repris le
flambeau, et lança sa campagne dans toutes les communes des
départements du Var et des Bouches du Rhône. À
la fin septembre nous avions déjà recueilli 500 000
signatures et des lettres de soutien venant de la France entière
et même de l'étranger, que nous avons déposé
à la préfecture de Brignoles, via la présidence
de la République ce à quoi M. Mitterrand nous répondit
: «Il convient de rappeler que le code de procédure
prévoit la possibilité pour la cour d'assises de prononcer
à l'encontre notamment des assassins d'enfants, outre la
peine de la réclusion criminelle à perpétuité
une période de sûreté de 30 ans pendant laquelle
le condamné ne peut bénéficier d'aucune mesure
de clémence, telle que la permission de sortir, la semi liberté
ou la libération inconditionnelle»
A moins que, comme ce fut le cas pour Roman avec comme l'on dit
: «Un bon avocat et de faux témoins, l'acquittement»
Toutes ces lettres que nous avons reçues nous ont beaucoup
aidé à nous battre et tenir le coup, et je profite
aujourd'hui de remercier toutes les personnes nous ayant témoigné
leur sympathie, n'ayant pu le faire personnellement. Mais cette
campagne de signatures fut doublée par une campagne pour
le rétablissement de la peine de mort. Les chaudes journées
d'août se succèdent lentement le moral est au plus
bas et nous ne savons vraiment plus où nous en sommes, pourtant,
il faut maintenant prendre une décision. Travailler, il n'y
a pas d'autre solution. L'idée de retrouver La Motte du Caire
me serre le cœur et j'ai peur de ne pas tenir le coup. Mes
parents nous accompagnent et tant bien que mal, doucement, la survie
recommence.
Pour moi c'est terrible, personne ne peut comprendre ce que je ressens.
Un homme triste et désemparé derrière un comptoir
de bar, ça n'existe pas, pourtant j'essaie de tenir le coup,
souvent les yeux pleins de larmes. Mais les clients très
compréhensifs ont toujours été très
gentils avec moi, ils m'ont toujours soutenu et aidé à
traverser cette dure époque.
Mes parents qui se ne trouvent bien nulle part font la navette entre
La Motte, leur domicile et celui de mes frères. Eparpillés
aux quatre coins de la région alors que nous aurions tant
besoin d'être ensemble, nous souffrons tous de cet éloignement,
malgré les va et vient que nous faisons pour nous retrouver.
Depuis que les faits se sont produits, La Motte est continuellement
prise d'assaut par des journalistes, reporters de télévision,
et curieux qui affluent de toute part. Cela commence à m'exaspérer,
je ne peux plus les supporter, mais il faut être correct avec
tout le monde, et les questions recommencent, toujours les mêmes.
Chaque jour après leur départ m'ayant une nouvelle
fois tout remis en mémoire, je retombe à zéro.
Je n'en peux plus, je n'arrive pas à me remonter. Je suis
sous calmant, et je ne peux pas retrouver le sommeil ou alors si
je réussis à m'endormir, je fais des cauchemars épouvantables.
Malgré le temps qui passe j'essaie de reprendre une vie normale,
mais je ne peux pas, je n'arrive pas à me stabiliser vraiment.
LES
AVOCATS
J'avais
désigné Maître Massot, député
des Alpes de Haute Provence, et demeurant à La Motte du Caire,
comme avocat, comptant de ce fait, étant sur place, pouvoir
discuter du dossier régulièrement, et être informé
au jour le jour de ce qui se passait.
Mais pas du tout. C'était en ouvrant les journaux quotidiens
ou hebdomadaires que je suivais le déroulement de l'affaire,
et cela était plus fort que moi.
Dans le courant du mois d'août, alors que mon frère
Alain avait sacrifié son travail pour mener à bien
cette campagne de signatures, il est contacté par deux fois
par Maître Massiani avocat au barreau de Toulon qui lui dit
à peu près ceci : «C'est très bien ce
que vous faites là, je vous félicite. J'aurais bien
aimé vous rencontrer afin de vous donner des conseils si
besoin est. Venez me voir tel jour, nous discuterons ensemble»
Alain va au rendez-vous et discute de l'affaire. Massiani lui raconte
l'affaire Valente qu'il était en train de défendre,
lui propose de rencontrer, Pascal Betille, papa des petites filles
et de fil en aiguille fait tout pour le décider à
se porter partie civile et le désigner comme étant
son avocat. Il en fait de même pour rencontrer mes parents
mais ceux-ci lui faisant remarquer qu'ils n'avaient qu'une petite
retraite et qu'ils risquaient de ne pouvoir faire face, il leur
dit: «Ne vous inquiétez pas, je ne vous prendrai pas
un sou» Plus tard, il leur avait même proposé
de faire intervenir Maître Cervel.
Un beau jour, arrivent à nouveau des journalistes et une
jeune femme blonde. C'était Alain Salmon de «France
Dimanche» La conversation s'engage et il me présente
: «Brigitte Pesenti, son mari est avocat au barreau de Marseille»
Je n'avais jamais entendu ce nom. Puis elle ajoute : «Vous
savez, c'est un grand pénaliste si vous avez besoin de lui
pour vous défendre, il vous tiendra régulièrement
au courant de tout ce qui se passe dans le dossier» Je lui
fais part que j'ai déjà Maître Massot, ce à
quoi elle répond : «Je viendrai avec lui un jour prochain
et vous ferez connaissance» Cela ne tarde pas. À la
fin de la semaine, ils arrivent tous les deux, passent la journée
à La Motte, je lui explique le peu que je sais du dossier,
comment les choses se sont passées. Je l'accompagne à
la passerelle, puis aux plaines. Il voulait tout voir pour comprendre
et se mettre dans le bain. Avant de me quitter, il m'invite à
lui signer sa désignation en tant qu'avocat pour la partie
civile pour la défense de mes intérêts et ajoute
: «Ne t'inquiète pas, je ne te prendrai pas un sou»
- il en fait de même pour récupérer mes parents
(qui s'étaient déjà à l'époque
portés partie civile avec mon frère Alain avec Massiani)
allant lui-même à leur domicile leur faire signer leur
désignation, ceux-ci leur ayant tenu les mêmes propos
qu'à Massiani et fièrement leur répond :
«Je ne vous prends pas un sou, je l'ai promis à Gilbert,
je veux défendre la mémoire de Céline»
Depuis le début de l'enquête, à Digne, le dossier
s'épaissit et les juges se succèdent. À tel
point que, deux ans après, le dossier a changé neuf
fois de mains.
Puis arrive Noël. Triste Noël 88, qui se passe dans les
larmes, et époque pendant laquelle nous aurions voulu nous
endormir pour un mois, l'absence de Céline était encore
plus forte à cette époque là. Un matin du mois
de janvier 89 ; mon père ayant fait l'ouverture du bar, ce
matin là, pousse un cri terrible en plaçant le Méridional.
En première page, photo couleur, tenant la moitié
de la une, Richard Roman, derrière les barreaux, photographié
aux Baumettes, clamant son innocence.
Nous n'en croyons pas nos yeux. Cela nous fait l'effet d'un coup
de poignard en plein cœur.
Après les aveux qu'il a faits, les précisions qu'il
a données, tous les détails, et ce que nous avons
vu, c'est impossible. Un dossier en pleine instruction. Qui a osé
faire cela. Nous contactons immédiatement Pesenti qui nous
répond : «Je m'en occupe» et nous n'avons jamais
plus rien su à ce sujet, si ce n'est que, l'auteur de cet
ouvrage n'était autre que Denis Trossero, qui loin d'être
sanctionné a touché 70 000 F de la fondation Varenne
pour ce reportage.
Comment voulez-vous, après des trucs pareils, ne pas se taper
la tête contre les murs. Nous voulons avoir une explication,
nous savions très bien que nous aurions l'occasion de rencontrer
D. Trossero, l'affaire n'était pas encore terminée.
En effet, il s'en est expliqué : «Faisant un reportage
aux Baumettes, il est soi disant, tombé par hasard sur Roman.
Le hasard est bien grand ! » Mais je crois qu'il a surtout
été provoqué. Et sans une complicité
quelconque, ce hasard n'aurait pas eu lieu. Il dit ce qu'il veut,
nous croyons ce que nous voulons.
Depuis que Pesenti a le dossier, il nous autorise ma mère
et moi, à descendre à son cabinet, le consulter.
Nous y allons au moins une fois par semaine. Nous voulons connaître
exactement ce qui s'est passé. Nous voulons tout savoir.
Au début c'était terrible ! Nous revenions complètement
fracassés, avec des migraines terribles. Nous n'en pouvions
plus, de lire des horreurs pareilles. Au fil des jours, cela se
calme peu à peu, lorsque nous commençons la lecture
des témoignages. Bloc notes et stylo en main nous n'arrêtons
pas de prendre des notes. Nous voulons connaître le dossier
par cœur. Et nous en avons appris des choses qui n'ont même
pas été évoquées au procès de
Grenoble. Pourquoi peu avant le drame Richard se débarrassait
de ses animaux?
Eric Hamed déclare : «Je me suis rendu chez Roman avec
Roger Szatkouski pour récupérer son âne»
Ce soir là, 25 juillet, un couple de voisins est arrivé
à cheval pour lui acheter des chèvres, ils avaient
l'air de bien se connaître. Quelque temps auparavant, il a
vendu son cheval à Arnaud Varaillon.
Le 2 août 88, M. Chabrier maire de Melve est interrogé,
après avoir terminé sa déclaration, il ajoute
: «Je voudrais préciser que Monsieur Valot m'avait
confié, qu'il avait quitté Roman, parce que ce dernier,
après avoir passé 3 jours complets dans son tipi suite
à une absorption massive de drogue, a égorgé
son chien, l'a ouvert et pendu dans sa cave, et l'a mangé...»
Ne s'est-il pas douté de quelque chose lorsque Laurence et
Noël lui ont amené leur malle et lui ont fait part de
la situation en lui disant que ça ne tournait pas rond chez
Roman, sachant ce que M. Valot lui avait dit auparavant. D'autant
plus, il connaissait très bien Roman qu'il recevait fréquemment
chez lui.
Monsieur Chabrier, avez-vous vraiment la certitude de l'innocence
de Roman, ou cette conviction vous vient elle de l'amitié
que vous portez à sa famille?
Avez-vous pensé un seul instant, que Céline aurait
pu être votre petite-fille?
Autres pièces troublantes que nous avons trouvées
lors de nos déplacements à Marseille, des correspondances
que Richard échangeait début 88, avec un de ses amis
Hervé Gillier détenu à ce moment-là
à la maison d'arrêt de Chalons/Saône, et auquel
il disait à peu près ceci :
«Surtout, ne fais pas la grève de la faim, car après
c'est terrible, ça gamberge, et tu risques de dire n 'importe
quoi»
Et dans une autre lettre :
«Fais mois confiance, patience, je te retrouverai bientôt,
mes amis politiques te sortiront de là»
Ne serait-ce pas ces mêmes amis qui l'ont sorti lui 4 ans
après.
Nous prenons ensuite connaissance de la liste des objets saisis,
sur Roman et Gentil et aux plaines.
Nous sommes forts étonnés car Céline lors de
sa disparition portait une petite chaîne en argent avec une
médaille. Cette chaîne n'a jamais été
rendue à la famille. Où est-elle passée? Ce
n'est pas pour la valeur, mais il y a mystère. Nous en avons
parlé à plusieurs reprises aux avocats, aux juges,
et nous n'avons jamais eu de réponse. C'est seulement en
plein procès, que tout à coup Gentil très excité
s'est écrié s'adressant au président du tribunal
et désignant Roman du doigt : «Demandez-lui ce qu 'il
a fait de la chaîne de la petite» Nous en avons frémi,
et même à ce moment-là, malgré l'insistance
avec laquelle nous avons toujours parlé de l'existence de
cette chaîne, personne n'a réagi et aucune question
n'a été posée à Roman, même pas
par nos avocats. Donc c'est bien un mystère que personne
n'a cherché à éclaircir.
Parmi les pièces saisies il y a eu aussi le pagne de Roman.
La saisie de cette pièce est décrite ainsi : (D2feuillet
2 du 27.07.88) Un morceau de tissu de deux mètres de long
comportant des traces de sang par endroit et servant de pagne.
Mais ce que nous n'avons jamais pu savoir c'est pourquoi cette phrase
est rayée entièrement, et qu'on lit en marge : 27
mots rayés nuls.
D'autre part ce pagne fait partie des vêtements que portait
Roman le soir du drame il y avait :
l
° un pantalon de toile velours ocre marron clair
2° une chemise coton coloris bleu Roy
3° le pagne cité ci-dessus
4° une paire de basket taille 42
A
la suite de l'inventaire de ces 4 pièces on peut lire : «Nous
plaçons les effets désignés ci-dessus sous
scellés, numéro, 37, 38, 36. (4 pièces) »
Seulement 3 numéros)
D'autre part, au sujet de ce pagne Roman fait une déclaration
qui a son importance il dit : «Je sais qu'un pagne a été
saisi chez moi, je vous signale que, si des taches de sang sont
trouvées sur ce pagne, ce sera une machination de Gentil
pour m'accuser»
Cette phrase a aussi choqué Maître Leclerc qui raconte
dans son livre, avoir expliqué fermement à Richard,
que la machination dont il parlait au sujet de Gentil était
impossible, mais qu'un pagne taché de sang avait été
saisi chez lui. Ce à quoi il répondit : «S'il
n'y a pas eu machination de la part de Gentil, ou ce n 'est pas
du sang, ou c'est du sang d'un chevreau», et cela l'a rassuré.
Or comment cela aurait-il été possible? Après
le drame, Gentil n'est jamais remonté aux Plaines. Qu'a t-il
voulu faire en disant cela? Comme on dit, il a ouvert un parapluie
au cas où... D'autant plus, lors de sa saisie, le pagne est
bien décrit comme étant taché de sang, mais
a t-il vraiment été analysé, encore un mystère
car pendant le procès M. Leclerc nous a claironné
que c'était des taches de café, tout cela est bien
bizarre, car il y a vraiment une grande différence des taches
de sang aux taches de café. Je n'ai pour ma part jamais vu
le résultat de l'analyse du pagne.
N'y aurait-il pas eu là une nouvelle coïncidence comme
pour les examens qui ont été positifs pour Gentil
et inexploitables pour Roman, mais pas négatifs.
Mme Bachet Annie, mère de Richard, raconte dans son interrogatoire
du 18 août 88 (D 178 page 5) parlant de la disparition de
Céline, Richard me dit : «Je connais bien les bois,
je vais partir avec mes chiens et je vais retrouver la petite»
Ma nièce lui répond : «Surtout ne t'en mêles
pas, tu es déjà mal avec la gendarmerie, si tu la
retrouves on dira que c'est toi» Je trouve cette réponse
là plutôt douteuse, et d'après la rumeur Mme
Bachet aurait dit elle aussi au village le matin en apprenant la
disparition de Céline : «On a besoin de la retrouver,
sinon on va encore mettre ça sur le dos de mon fils»
Puis le 16 juin 1989 arrive. Le juge Magnan organise une soi-disant
reconstitution. Depuis le matin La Motte est en état de siège,
plus de gendarmes que d'habitants, tireurs d'élite cachés
sur les toitures et dans les greniers, cordon de sécurité,
c'est la folie à l'état pur. Certaines personnes âgées
de La Motte diront : «Mais même pendant la guerre on
n'a jamais vu autant d'uniformes» De notre côté,
nous avions déposé dans tout le village des portraits
de Céline et les commerçants avaient fleuri leur devanture
avec la photo. Devant le bar les couronnes s'amoncelaient et le
visage souriant de Céline était partout.
Mon père était convoqué à la gendarmerie
à 14 heures, et en s'y rendant, il rencontre toute l'armada,
avocats, juges, gendarmes devant le garagiste. Le gendarme s'avance
et lui dit : «Retournez au bar, c'est bon, on vous verra là-bas»
Personne n'est même venu au bar pour voir comment les choses
se présentaient ou seulement pour un peu nous expliquer comment
cette reconstitution allait se dérouler.
Au bout d'un moment, les voilà qui arrivent par la rue Casse
cul, ils investissent le bar, presque au pas cadencé où
se trouvaient encore des clients au comptoir, un gendarme portant
un mannequin représentant Céline, et la meute de juges,
greffiers avocats, gendarmes. Nous n'en croyons pas nos yeux.
Le juge Magnan installe le gendarme et le mannequin devant le flipper
et appelle mon père : «Voilà Monsieur Jourdan,
expliquez-nous comment étaient installés Céline
et Gentil devant le flipper»
Tranquillement il commence à expliquer puis subitement, fou
de rage, il s'écrie : «C'était Gentil qui était
devant le flipper et non un gendarme, là c'est trop fort,
vous me prenez vraiment pour un con ! »
Les cris de mon père, suivis de l'excitation générale,
la suite, la France entière la connaît la reconstitution
dégénère. Pris en même temps, à
mon tour, comme d'une crise de nerfs, je partage d'un coup de poing
le zinc de mon comptoir, puis je m'attaque aux chaises que je casse
en deux et je sors en hurlant ne sachant plus ce que je faisais,
je m'apprête à bondir sur Maître Juramy, à
ce moment là le capitaine Gerthoffer me maîtrise, me
plaque au sol, me braquant son revolver dans les côtes. Heureusement
à ce moment là le capitaine Perrot arrive en hurlant
: «Vous êtes fous ! Pas d'arme ! Pas d'arme ! »
Ouf heureusement ! Capitaine Perrot je vous remercie. Grâce
à vous je suis là aujourd'hui pour essayer de raconter
tout ce que nous avons subi, et expliquer ce qui a été
volontairement oublié lors du procès, et que même
mes avocats de l'époque n'ont pas voulu exploiter.
On a voulu ce jour là épargner les assassins de ma
fille de peur de représailles (car seul Gentil avait fait
le trajet et était resté tranquillement à la
gendarmerie et Roman était à Digne) et je me retrouve
plaqué au sol un revolver dans les côtes, après
cela vous voulez rester calme ! Ce n'était pas une reconstitution
mais une mascarade. La reconstitution est annulée, les esprits
se calment et en cortège, nous nous rendons, suivis par les
habitants de La Motte et les amis qui étaient venus nous
soutenir, jusqu'à la passerelle déposer des fleurs,
là où le corps de Céline a été
retrouvé.
Pendant quelques jours c'est encore l'invasion à La Motte.
Les journalistes arrivent de la France entière pour faire
leur reportage, et interroger les habitants qui commencent d'être
fatigués de cette vie.
Avec le mois de juillet, le calme revient. Les estivants arrivent
et la chaleur aussi. Tout se passe normalement, mais subitement,
nouveau scandale. «L'Événement du Jeudi»
publie une contre enquête de Lionel Duroy. Celui-ci affirme
purement et simplement que Roman est innocent. Une nouvelle fois
un journaliste a outrepassé son métier et a violé
le secret de l'instruction.
Je demande à mon avocat d'intervenir mais à nouveau
sans résultat.
Cette contre enquête, Lionel Duroy a été chargé
de la faire. Il est venu à La Motte. Ce jour là je
l'ai vu, en début d'après midi, devant le bar avec
un autre journaliste que nous avions reçu le matin, mais
lui n'a même pas osé nous rencontrer. Il a monté
son petit scénario de toutes pièces pour essayer d'innocenter
Roman, en négligeant bien entendu tout ce qui l'accusait.
D'autre part, il s'est vanté à Aix en Provence, le
26 avril 91, devant ma mère et Nathalie, suite à une
altercation qu'il a eue avec elles, de connaître le dossier
à fond et de l'avoir même eu avec lui le jour où
il est venu à La Motte, chose qu'il m'a ensuite démentie
lors d'une entrevue que nous avons eue après le procès,
où ses propos m'ont bien démontré qu'il était
«l'envoyé spécial», car c'est même
lui qui m'a avoué, après l'avoir piégé,
qu'effectivement son frère travaillait au cabinet de Leclerc
et qu'il était lui-même bien ami avec Joël Roman,
frère de Richard, journaliste parisien, rédacteur
en chef de la revue «Esprit» L'élite de la gauche
littéraire, il était impossible que son frère
soit impliqué dans une affaire de meurtre et il fallait l'en
sortir blanc comme neige pour l'honneur de leur nom et tous les
moyens ont été employés. Inutile de faire un
dessin.
Mes doutes viennent d'être confirmés récemment
à la lecture du livre de Maître Leclerc qui dit : «Le
6 juillet paraît enfin le grand article que nous attendions
depuis longtemps» Dans «l'Evénement du Jeudi»,
c'est Lionel Duroy qui refait l'enquête.
Pour Maître Leclerc, une enquête faite par un journaliste
doit avoir plus de valeur que celle faite par les magistrats !
II faut dire que ce journaliste était pour lui.
D'autre part, lors d'un entretien qu'il a eu au mois d'avril 94
avec J.C. Escaffit de «La Vie», parlant de l'affaire,
Maître Leclerc dira : «Je peux vous avouer que durant
4 ans, il n'y a pas eu de nuit sans que j'y pense. J'étais
pris d'angoisse, lorsque je me réveillais : comment vais-je
arriver à prouver son innocence? »
Heureusement pour lui, Maître St Pierre et les avocats des
parties civiles lui ont facilité la tâche. Mais nous,
nous continuons d'y penser toutes les nuits.
Sitôt après la cueillette des pommes, début
novembre une nouvelle reconstitution est organisée par Mlle
Muller dans le plus grand secret. J'en ai été avisé
la veille au soir par un coup de téléphone et «Surtout
gardez le secret» Mais vu le va et vient incessant qu'il y
avait dans le village, j'avais déjà compris que quelque
chose allait se passer. Puis dans la nuit ce fut un brouhaha de
véhicules de l'armée qui amenaient des hommes et tout
le village a vite compris.
Dès l'aube le village est encerclé par les gendarmes
et l'armée, interdisant l'entrée de La Motte des deux
côtés, côté Sisteron, côté
Turriers. Le périmètre où la reconstitution
devait avoir lieu entièrement bouclé, les agriculteurs
ne pouvant même pas rejoindre leurs champs.
À nouveau, cordon de sécurité, tireurs d'élite
sur les toitures, dans les collines avoisinantes, au château
d'eau, et même dans le clocher ! Ce qui fit dire à
un ancien de La Motte : «C'est un scandale ! même pendant
la guerre, les Allemands ne sont jamais montés dans notre
clocher»
Puis dans un ronronnement assourdissant venant de la vallée,
les acteurs principaux arrivent en hélicoptère, et
chacun le sien. Que de ménagement !
Tout ça pourquoi? Pour une mini reconstitution, qui devait
amener Gentil de la place des marronniers à la passerelle.
Autrement dit 2 reconstitutions qui ont fait beaucoup de bruit,
et qui ont coûté beaucoup d'argent aux contribuables
pour rien. Monsieur Roman ayant refusé de participer à
cette reconstitution était continuellement encerclé
par les gendarmes et lorsqu'ils étaient trop à découvert,
ils le faisaient accroupir pour qu'il ne lui arrive rien. La vie
de Roman a plus de prix que celle des gendarmes.
Nous retrouvons un peu de calme entrecoupé par de nouvelles
demandes de mise en liberté qui sont refusées etc...
etc... Bien entendu, il ne se passe pas 15 jours sans que l'affaire
revienne sur la sellette et fasse la une de tous les journaux.
Puis au mois de mars 90 Charles Villeneuve présente sur M6
son émission le «Glaive et la Balance», concernant
bien entendu «L'affaire Céline» La contre enquête
de Lionel Duroy télévisée cette fois ci, nous
faisant un récit comme s'il avait vécu la soirée
du 26 juillet 88, aux côtés de Roman, allant jusqu'à
nous montrer la voiture de Roman arriver devant le bar avec les
phares, alors que Roman dit ne pas s'être servi des phares
même pour remonter à Melve.
D'autre part cette émission a été préparée
sans mon accord, avec des photos et des interviews que j'avais accepté
de faire pour d'autres émissions. On a l'impression à
voir ce reportage que j'ai participé à cette émission,
alors que nous avons fait notre possible pour la faire interdire,
mais sans résultat.
Il fallait à tout prix (pour la défense !) essayer
de convaincre les gens de l'innocence de Roman, et tous les moyens
ont été employés.
Après «l'Événement du Jeudi» et
l'émission de M6 tout est prêt.
Le juge Bonnet prend le dossier en main. Bien en main, puisqu'il
reprend l'enquête depuis le début. Presque 2 ans après
il réinterroge tous les témoins et lorsque mon père
lui explique avoir vu Roman vers 20 h 20, 20 h 30 il lui dit sur
un ton autoritaire : «Monsieur Jourdan vous vous trompez,
il était plus de 21 heures » Pourquoi voulait-il à
tout prix lui faire changer ses horaires alors qu'il n'a jamais
varié, nous avons bien vu Roman à 20 h 30 et nous
ne sommes pas seuls d'autres témoins l'ont confirmé
aussi, mais ceux-là personne ne veut en tenir compte.
Même Mme Celerier dira : «Je sors de chez moi il était
au moins 20 heures, pour prendre des photos du coucher de soleil,
arrivée aux carcasses de voitures, je rencontre une voiture
avec 2 femmes à bord qui nous saluent. Nous nous disons entre
nous, «tiens les gens sont gentils par ici ! » et 3
minutes après une autre voiture conduite par un homme»
La même voiture que Monsieur Celerier verra remonter et se
garer derrière le gîte vers 22 heures. Il faut savoir
qu'il faut environ 5 minutes pour se rendre du gîte où
logeait la famille Celerier, aux carcasses de voitures.
Lorsque Bonnet a ordonné le non-lieu pour Roman et qu'après
maintes tractations il a daigné recevoir mes parents, ma
mère lui dit : «Mais Mme Celerier dit bien être
partie de chez elle il était au moins 20 heures? Et qu'elle
a vu passer Roman peu après? » Il lui a répondu
en se moquant : «Mais Madame, après 20 heures, ça
peut aller jusqu'à 21 heures ! »
Ça c'est vraiment se moquer du monde ! D'autre part, je voudrais
savoir, pourquoi, ayant rencontré la famille Celerier sur
ce chemin où il ne passe jamais personne, la mère,
la cousine et Richard, n'ont pas signalé cette rencontre
pour leur servir d'alibi ayant eu une telle accusation contre Richard.
Tout simplement parce qu'il n'était guère plus de
20 heures et que cela ne collait pas avec leurs déclarations.
D'autre part, il est impossible que Celerier ait vu descendre Roman
des plaines à 21 heures et pris les photos 10 à 15
minutes plus tard, puisqu'à 20 h 58 le soleil disparaît
derrière la montagne, alors que sur la photo qu'il a fournie
à Bonnet, un an et demi après les faits, le soleil
est encore bien haut.
Pourquoi cette photo a été prise en compte un an et
demi après?
Cette histoire de photos est complètement nulle car expertisées
par le C.N.R.S. il a été prouvé qu'elles n'ont
pas été prises ce jour-là, ce qui confirme
l'une des déclarations de la famille Celerier, le fils, il
dit : «Nous sommes partis en famille, pour admirer le coucher
du soleil» il n'a pas du tout dit prendre des photos. Ces
photos ont pourtant aidé le non-lieu de Roman le 22 octobre
90 et sa libération à Grenoble le 18 décembre
92.
Dernier trophée pour libérer Roman, le comité
de soutien... Ah ! Il s'en est donné du mal le père
Bouvier ! Ancien aumônier du Lycée Voltaire, il a recruté
parmi les anciens élèves du lycée qui ont plus
où moins connu Roman, pour les faire adhérer à
ce comité et même, les faire témoigner en tant
que témoins de moralité. Il a même fait, et
fait faire le porte à porte pour amener des membres. J'ai
même eu, fatalité, une de mes connaissances de la région
parisienne, contactée à ce moment là. Et oui
! Monsieur Bouvier, le monde est bien petit.
Mais, au fait, êtes vous sûr d'être en paix avec
votre conscience? Dormez-vous bien la nuit?
Est-ce les liens qui vous ont unis à Richard, qui vous ont
fait croire à son innocence et vous ont incités à
créer ce comité de soutien, ou alors la contre enquête
d'un journaliste menteur et manipulé se prenant pour un juge,
et une émission télévisée, organisée
et orchestrée pour être sûr de cette innocence?
Vraiment il ne vous en faut guère.
Pour un homme d'église vous êtes facilement influençable.
Vous auriez mieux fait à ce moment là, de vous adressez
au prêtre qui l'a confessé, et auquel Roman a avoué
son crime.
Et la conférence de presse que vous avez tenu et à
Grenoble, la semaine avant le procès, et les tracts dont
vous avez inondé la région, cette même semaine
là, vous trouvez cela normal?... Quand j'ai appris l'existence
de cette conférence de presse, je voulais me rendre à
Grenoble voir le Procureur de la République pour la faire
annuler et mon avocat Pesenti me l'a formellement déconseillé.
Drôle d'opinion pour un avocat de la partie civile.
22 octobre 90 un jour que je n'oublierai jamais. «Non-lieu
pour Roman prononcé par Bonnet» La liberté pour
Roman, mais un nouveau calvaire commence pour nous. C'était
une chose impensable.
Est-ce que ce juge s'est donné la peine de bien lire les
aveux de Roman, les détails et précisions qu'il donne,
ce n'est pas possible, ce qu'il a avoué, ça ne s'invente
pas si on ne l'a pas fait.
Ce qui est déplorable, c'est qu'à l'instant ou j'étais
devant le juge à Digne avec mes avocats, Masso et Pesenti,
la femme de ce dernier était devant les Baumettes à
Marseille avec une journaliste, pour photographier le scoop du jour,
«Roman libre»
Informations et photos se vendront bien.
Cela, bien entendu, nous l'avons appris plus tard, car tout se sait
; et cette attitude a scandalisé toutes les personnes qui
l'ont vue.
Sitôt l'annonce du non-lieu, comme un fou, je monte dans ma
voiture avec mon frère Alain, récupérant mon
autre frère Gérard, et comme trois furies partons
sans savoir vraiment où, fous de rage et de dégoût,
allant au hasard des gares et des aéroports. Cette libération
soulève en nous la fureur et la haine. Nous avons vraiment
envie de faire la peau à Roman.
Mes parents rejoignent La Motte pour retrouver Nathalie, restée
seule au bar. Immédiatement après l'annonce de la
nouvelle, à la radio et à la télévision,
le téléphone n'arrête pas de sonner, les gens
sont scandalisés, les télégrammes et les lettres
ensuite, affluent de toutes parts, et toujours les mêmes mots
:
«Battez-vous, manifestez, organisez quelque chose devant le
palais de justice de Digne, faites appel de cette décision»
Mes parents désemparés ne savent plus où donner
de la tête.
C'est au hasard de cette errance, en pleine déprime, que
le destin me fit rencontrer, par une nuit glaciale, à la
sortie d'un spectacle à Paris, un gars formidable que je
n'oublierai jamais.
Il a su sacrifier son temps cette nuit là pour m'écouter
et me comprendre. Il me comprit facilement car notre douleur était
la même, la perte d'un enfant. Il a trouvé les mots
pour me réconforter et fit tout pour me persuader de regagner
mon domicile. Une grande amitié est née de cette rencontre,
et c'est toujours avec plaisir que nous nous revoyons. Ta discrétion
m'interdit de citer ton nom. Salut, mon pote. Tu es un gars formidable
! Avec un cœur immense.
Le déclic se fait lorsqu'ils apprennent que le Procureur
de la République de Digne fait appel de cette décision.
Là alors, autour de ma famille inquiète et terrifiée
de ne pas avoir de nos nouvelles, tout s'organise, et chacun essaie
de remonter le moral des troupes.
En trois jours, aidés de tous les bénévoles,
tout est prêt pour une manifestation à Digne. Affiches,
banderoles, communiqués dans la presse et par la radio, le
rendez-vous est donné.
C'est par la radio de bord de ma voiture que j'ai appris avec mes
frères, l'existence de cette manifestation. Cela nous met
un peu de baume au cœur, car nous nous rendons compte que tout
bougeait.
Nous décidons alors de regagner Digne, les yeux cernés
et rougis par le manque de sommeil, les traits tirés, et
une barbe de 4 jours. A l'heure exacte, nous arrivons à Digne
sur la place où le rendez-vous était donné.
La famille était heureuse et soulagée de nous revoir.
Mais Nathalie et ses copines eurent l'idée pour donner plus
de sens à cette manifestation d'enregistrer une voix de fillette
sur un fond de musique, reprochant à Bonnet d'avoir libéré
Roman, et pendant tout le défilé, dans un silence
absolu, une voiture noire surmontée d'un haut-parleur ouvrait
le cortège et diffusait cette cassette, avec cette voix qui
semblait venir d'outre tombe.
Cela n'a pas plu à Michel Legrand puisque une fois encore,
il nous regarde et d'un air accusateur nous dit : «Il ne s'agit
pas de faire parler une morte dans les rues de Digne, pour prouver
que Roman est coupable» C'était notre procès.
J'ai toujours entendu dire qu'en principe l'avocat général
est du côté de la partie civile.
Mais celui-ci, la deuxième semaine de procès a complètement
changé de camp. Que s'est il passé pendant le 1er
week-end?
D'autre part une semaine avant le procès, j'ai eu la visite
à La Motte du Caire, du Procureur de la République
de Grenoble et de l'avocat général. Ils sont venus
m'ont-ils dit, pour étudier les lieux au cas où, pendant
le procès un déplacement sur les lieux serait nécessaire.
Cela a été demandé mais bien entendu, refusé
par le président Foumier. M'entretenant avec eux ce jour
là Michel Legrand lui-même me dit : «Surtout
soyez discret ! Ne dites rien de notre visite. Nous sommes venus
car nous voulions vous connaître et vous tranquilliser. De
toute façon restez calme, tout se passera bien? Soyez tranquille,
j'ai lu le dossier, je le connais très bien, aucun problème,
je ne leur ferai pas de cadeau, ils prennent 30 ans tous les deux»
Et une semaine après le début du procès, Michel
Legrand lève l'accusation qui pesait sur Roman.
Qui y a t-il eu pour le faire changer d'idée si vite?
Enfin, le 4 novembre 90, le non-lieu est annulé par la cour
d'appel d'Aix en Provence.
Le 26 avril 91, après six mois de liberté, Roman retourne
en prison. Cette fois ci à Luynes, près d'Aix en Provence,
dernière prison moderne, construite récemment dans
la région.
Monsieur Carrier, juge à Aix en Provence procède alors
à un complément d'information, et réinterroge
tous les témoins. Or il se trouve que parmi les témoins
qui ont vu Roman et sa voiture place pied de ville, ceux-ci désignent
deux positions différentes de cette voiture. Selon qu'ils
ont vu Roman entre 20 h 20 et 20 h 40 et ceux qui l'ont vu entre
21 h 15 et 21 h 45. Il est le premier à découvrir
ce que nous disons depuis le début, et que personne n'a cherché
à comprendre : «Roman est bien venu deux fois ce soir-là
au bar» Voilà ce qui personnellement nous fait affirmer
cela.
Vers 20 h 20 - 20 h 30, mon père le voit arriver. Il s'installe
en terrasse avec Cacao. Il leur sert à boire, puis il prend
une chaise pour s'asseoir près deux et dit à Roman
: «Tu as changé ton âne contre une voiture»,
il lui répond «oui» d'un ton sec et lui tourne
le dos. Roman prétend lui avoir demandé s'il avait
vu Gentil et qu'il lui aurait répondu, il est parti depuis
une heure. Cela est faux, et la réponse qu'aurait donné
mon père impossible puisqu'à ce moment là,
Gentil était dans la salle de jeux.
Le 10 août 1988, Bernard Michel est interrogé et, à
la fin de sa déclaration il dit : «Je tiens à
ajouter que, lorsque je me trouvais assis en terrasse, j'ai entendu
le grand-père Jourdan, dire à haute voix que Roman
Richard avait commandé un demi et que le demi était
toujours là, par conséquent il ne devait pas l'avoir
consommé ou payé, ce que j'en ai déduit. Comme
j'ai entendu cette réflexion du grand-père, j'en déduit
que Roman est entré dans le bar, mais je ne l'ai pas vu»
Ce qui prouve que Roman s'est fait servir au comptoir, s'est aperçu
que nous cherchions Céline, et est parti sans boire, d'où
la réflexion de mon père, dite par Bernard Michel.
Et nous étions tellement affolés de la disparition
de Céline, que personne ne se souvient avoir servi Roman
à ce moment là.
Puis, au fil des jours, de temps à autre l'affaire refait
surface, renvoi, cassation, pourvoi, renvoi, devant les assises,
changement de juridiction Aix, Digne, Aix, et pour terminer comme
si nous n'étions pas assez malheureux, Grenoble ! Pourquoi
Grenoble?
Pour dépayser l'affaire nous dira t-on.
Depuis plus de 4 ans j'ai l'impression qu'on joue avec notre malheur.
Une nouvelle fois la colère nous emporte à nouveau.
D'un commun accord nous décidons de boycotter le procès.
Ne pas nous présenter, ne pas envoyer nos avocats, mais peine
perdue, le procès aurait lieu avec ou sans nous.
Nous étions au bord du désespoir et ma mère,
ne sachant plus que faire, écrivit de toutes parts. Président
de la République, ministre de la justice, maire de Grenoble.
Rien ne fit bouger quoi que ce soit et le procès aura bien
lieu à Grenoble. Chacun nous répondit, comprenant
notre chagrin, etc... etc... Le ministre de la justice nous répondit
que «L'affaire était suivie de très près
par le service de la chancellerie...» Pourquoi?…
D'autre part nous n'étions pas du tout en mesure d'assurer
financièrement, ce séjour à Grenoble pour toute
la famille. Il n'était pas question que l'un où l'autre
ne soit pas présent au procès, nous ne nous sommes
jamais séparés depuis le début de l'affaire.
Nous nous sommes battus et révoltés ensemble, unis
comme les doigts de la main, ce n'est pas Grenoble qui nous séparera.
Dans le courant du mois de septembre, ayant appris par des personnes
touchées par le même malheur, alors que je parlais
des difficultés financières qu'engageaient ce drame,
et le procès à Grenoble, cette personne me dit «Mais
comment se fait-il que votre avocat n'ai pas demandé au fond
de garantie une avance sur les indemnités auxquelles toutes
les parties civiles ont droit? » Aussitôt, ma mère
se charge de contacter Pesenti pour lui faire effectuer cette démarche
mais il lui répondit : «Ce sont des démarches
très longues, bien souvent elles n'aboutissent pas, et vous
n'aurez pas l'argent à temps pour le procès»
Ma mère se mit en colère et sur son insistance, Pesenti
se décida à faire la demande, nous disant à
chacune de nos rencontres que nous n'arriverions pas à toucher
cet argent avant le procès.
Puis courant novembre il nous convoque tout heureux : «J'ai
une bonne nouvelle, venez me voir» La nouvelle, était
bonne, surtout pour lui. Le lendemain nous nous rendons à
son bureau et il se met à nous raconter : «Voilà,
vous savez pour la demande que nous avons faite auprès de
l'ADVJP il ne faut pas y compter. Par contre, je me suis débrouillé
d'obtenir par la chancellerie à titre tout à fait
exceptionnel, la somme de 100 000 F. Cela ne vous sera pas déduit
de vos indemnités, c'est un plus. D'autre part, vous avez
2 chambres réservées à l'Hôtel Bellevue
à Grenoble prises en charge entièrement par le tribunal
pour toute la durée du procès en demi-pension»
Cela nous parut un peu gros ! Nous n'en revenions pas. Puis il ajoute
: «Vous savez très bien que depuis 4 ans cette affaire
a fait beaucoup de vagues, il y a eu des erreurs, et la chancellerie
et le tribunal de Grenoble essaient de se racheter ainsi. Seulement
voilà, il y a plus de 4 ans que je m'occupe de ce dossier
j'ai eu beaucoup de frais dans mon étude, mes déplacements,
tantôt à Digne, Aix, maintenant Grenoble, où
je vais devoir prendre une chambre pendant les 3 semaines que durera
le procès, mon cabinet que je dois laisser pendant tout ce
temps là et prendre des confrères pour me remplacer
et puis j'ai une famille à nourrir et c'est bientôt
Noël, tu as l'hébergement, les 100 000 F sont pour moi,
pour me dédommager. De toute façon, je te l'ai déjà
dit, c'est un plus, et si je ne m'étais pas débrouillé,
cet argent tu ne l'aurais jamais touché»
Tout d'abord je trouvais la situation scandaleuse, je pensais bien,
tout de même lui donner quelque chose après avoir touché
mes indemnités, mais tout me prendre, c'était trop
fort je me mets en colère et lui dit : «Quand tu es
venu me chercher à La Motte, c'était gratuit ! Lorsque
tu as voulu que mes parents te désignent comme étant
leur avocat, c'était gratuit ! Tu t'es fait de la publicité
sur cette affaire, scoops à la presse, photos, émissions
TV, reportages etc... etc..., je ne vois pas pourquoi tu vas me
prendre ce que l'on me donne» «Si je ne m'étais
pas débrouillé de toute façon cette somme tu
ne l'aurais pas eue», ajoute t-il.
Nous avons discuté longuement, essayant de lui faire comprendre
que cet argent était le bien venu pour nous permettre de
faire face aux dépenses de justice que nous avons engagées
depuis 4 ans. Parlementant même pendant plus d'une heure sur
un partage éventuel, rien à faire, il voulait tout.
Puis voyant le temps passer, pour en finir il me dit : «Tu
me signes une autorisation pour encaisser les 100 000 F et je te
fais sur mon propre compte un chèque de 20 000 F. Ayant les
chambres prises en charge par le tribunal cela te suffit largement»
II était impossible de faire mieux tant il était entêté
et si je n'avais pas accepté cette proposition je crois que
nous y serions encore.
Ce n'est que 2 jours plus tard que je ne reçus que 100 000
F, débloqués par la CIVIP. Je téléphone
à Pesenti, n'y comprenant plus rien et il me répond
: «Ne t'inquiète pas, ce n'est rien, il ne faut pas
en tenir compte»
C'est lors d'une de nos dernières visites à Marseille,
chez Pesenti, peu avant le procès, que discutant longuement
de l'affaire, nous dit qu'il était sûr de lui, il arriverait
à faire craquer Roman, car il était sûr de sa
culpabilité car ajoute t-il : «Si j'avais le moindre
doute que Roman soit innocent, j'aurais laissé tomber le
dossier depuis longtemps», et un mois plus tard, sitôt
le procès terminé, interviewé à la télé
il déclare : «Depuis 4 ans que je rencontre la famille
Jourdan, je n'ai pas encore trouvé les mots pour leur expliquer
que Roman est innocent» Drôle d'attitude après
ce qu'il nous avait dit un mois plus tôt.
D'autre part, ayant cherché à le voir sitôt
après le verdict, il s'est volatilisé dans Grenoble,
lui seul sait où. Il demeure introuvable, que ce soit tard
le soir, et même le lendemain matin.
Aussitôt que Massiani apprend que Pesenti s'est réservé
cet argent sur nos indemnités il le contacte, il voulait
partager, mais pas question, Pesenti veut tout pour lui. Voyant
qu'il n'y a rien à faire pour partager avec Pesenti, Massiani
nous contacte et nous dit : «Le procès avance, Pesenti
a touché de l'argent, il ne veut pas partager, je veux moi
aussi la même somme, sinon je ne pourrai pas me rendre à
Grenoble au procès» Nous lui faisons part que nous
n'avons pas cette somme, et il ajoute : «Débrouillez
vous, voyez avec votre banque, vous n'avez qu'à faire un
prêt» Cela bien entendu fût impossible. A force
de discuter, lui faisant remarquer qu'il nous avait bien promis
de nous défendre gratuitement, ce à quoi il nous répond
: «Il n 'y a pas de raison que Pesenti ait 80 000 F, et moi
je n'ai rien»
Il décide finalement de se rendre à Grenoble à
condition que, nous lui versions cette somme sitôt que nous
toucherions nos indemnités. Cela n'était pas du tout
les conditions premières. Un de plus qui n'a pas tenu promesse.
Je n'aurais jamais cru que l'on ne puisse pas faire confiance à
la parole donnée par un avocat.
Le procès arrive. Nous voilà à Grenoble. Dans
l'angoisse et les pleurs, l'ambiance macabre du procès, plus
personne ne parle d'argent, c'est bien secondaire dans de pareils
cas. Toute la famille arborait un badge représentant la photo
de Céline avec ces trois mots. Rendez-moi justice. Oui !
Justice ! Un bien grand mot quand elle est honnête.
Nous avons dressé sur un chevalet à l'entrée
du tribunal, une photo agrandie de Céline, et un bouquet
de fleurs, et pendant toute la durée du procès, les
fleurs n'ont cessé de s'amonceler devant le chevalet accompagnées
de cartes de soutien que nous gardons précieusement pour
ne jamais oublier les textes. L'une d'entre elles en particulier,
bien avant que Sardou n'écrive sa chanson sur la justice,
disait : «La Fontaine» disait : «Selon que vous
serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous
rendrons noir ou blanc» Cette maxime était bien en
harmonie avec le procès et aujourd'hui, chaque fois que j'entends
Sardou chanter cette chanson, je me revois sur les mauvais bancs
du tribunal de Grenoble avec Roman et Gentil devant mes yeux.
Le procès se déroule, et je passerai sur les détails
sordides que nous avons eu à supporter, mais je n'ai pas
du tout apprécié la façon dont tous les avocats
de la partie civile nous ont soi-disant défendus commençant
par Maître Paillard de l'association «Enfance et Partage»
qui a demandé purement et simplement l'acquittement pour
Roman.
Si c'est avec des avocats de cette espèce que cette association
si célèbre compte aider les familles, drôle
de publicité ! Massiani brillera par son absence et son mutisme.
Il ne plaidera pas, étant en désaccord avec le président,
et sur ce point, nous ajouta : «Bien souvent, c'est en ne
pas plaidant que l'on gagne des procès, cela m'est déjà
arrivé»
Quant aux autres s'étant tous mis d'accord, ils ont donné
carte blanche à Pesenti qui a fait ce qu'il a voulu. A l'entendre,
il allait tout casser, faire craquer tout le monde, et sur des points
spectaculaires et précis ou il aurait dû intervenir,
il est resté muet comme une carpe. Il n'a jamais posé
les questions que nous aurions voulu entendre et lorsque entre les
audiences, nous lui demandions des explications : «Mais pourquoi
à tel ou tel moment, n'êtes vous pas intervenus? »
Impassiblement il nous répondait : «Je le garde pour
ma plaidoirie» De même que, lorsque à la barre,
entendu comme témoin Monsieur Querel, proviseur du Lycée
Chambéry explique : «Au matin du 27 juillet je me suis
rendu à la gendarmerie signaler le comportement bizarre,
dans la nuit pendant les recherches, d'un jeune homme blond vêtu
d'un treillis kaki. A ce moment là, une femme est entrée
dans la gendarmerie et s'adressant au gendarme, lui dit : «Je
venais vous signaler que j'ai prêté ma voiture à
mon fils hier soir et il ne l'a pas encore ramenée»
Nous avons bondi sur notre banc, mais pour Pesenti cela s'est envolé
sans qu'il y prête attention comme beaucoup d'autres choses.
Cette femme n'était autre que Mme Roman qui, cette nuit là,
a couché à l'hôtel des Négociants. Elle
avait bien prêté la voiture à son fils, et il
devait donc d'après ce qu'elle a déclaré la
laisser au village et non à Melve sur l'aire de M. Chabrier.
Pourquoi?
Cela est confirmé dans la déclaration du MDL Chef
Ramette le 29.11.88 devant le juge Magnan il lui dit : «Je
dois préciser que dans la matinée Mme Roman s'était
présentée à la brigade pour me voir personnellement.
Je me souviens pas exactement des propos qu'elle m'a tenu ce matin
là, car mon attention était mobilisée par la
recherche de l'enfant. Je me souviens vaguement qu'elle m'a parlé
de son fils et d'un problème de voiture, plus exactement,
je crois me souvenir qu'elle m'aurait dit j'ai laissé ma
voiture à Richard, ou quelque chose de ce genre là.
Ces propos n'ont pas attiré mon attention»
Le 17 décembre le verdict tombe. Devant l'attitude de chacun,
autant de l'avocat général que de nos avocats, malgré
l'intervention de temps à autre du Procureur Albarède
qui essayait de nous faire croire que tout pouvait basculer à
la fin. Nous essayions malgré tout de rêver et de garder
l'espoir jusqu'au bout. L'acquittement de Roman était pour
nous impossible si la justice était juste.
Dans le courant de l'après-midi dès l'annonce des
premiers mots du président, ce fut terrible pour toute la
famille ; sortant même pour ne pas entendre ces mots qui nous
rendaient fous. Roman acquitté ! Gentil, perpétuité
et 28 ans de sûreté.
Pour nous la justice n'a pas été rendue à Céline.
Malgré la lettre de soutien que nous a adressée M.
Carignon, maire de Grenoble, non Monsieur Carignon, nous ne pouvons
pas garder un bon souvenir de votre ville, où nous avons
souffert terriblement pendant 3 semaines, et où son tribunal
a assassiné le 17 décembre une nouvelle fois Céline
et sa famille entière.
Heureusement, mis à part le tribunal, nous avons été
très touchés, de la chaleur des grenoblois, et des
marques de sympathie dont ils ont fait preuve. Cela nous a aidés
dans notre calvaire, et je remercie ceux, qui ont eu le courage
après le verdict, de manifester leur indignation sur la place
St André jusqu'à plus de minuit et dont personne n'a
jamais parlé.
La vedette ce jour là, pour les médias, c'était
Roman...
Nous allons passer notre dernière nuit à Grenoble.
Nuit blanche et cauchemardesque en plein désarroi, pendant
que certains, journalistes, avocats, etc... etc... Roman, et sa
famille, et son comité de soutien fêtaient leur victoire.
Au petit matin écœurés, nous ramassons nos affaires,
et nous apprêtons à boucler nos valises. Quelle ne
fut pas notre surprise lorsque le propriétaire de l'Hôtel
Bellevue nous dit : «Je m'excuse, mais qui paie la note? »
Ce à quoi je réponds : «Le tribunal» «M.
Jourdan vous faites erreur les chambres étaient réservées
mais ce n 'est pas le tribunal qui paie» Là alors ce
fut la douche froide, et la dernière magouille de Pesenti.
C'est à ce moment là que j'ai réalisé
pourquoi, il a eu si vite disparu le soir après le verdict.
Comment allions-nous faire? Même en nous cotisant il nous
était impossible de régler la note des 2 chambres
3 semaines passées à l'hôtel en demi-pension.
Nous avions réglé les repas de midi et fait face au
faux frais que cela nous avait occasionnés. Ne sachant même
plus où en étaient nos comptes en banque, sûrement
au plus bas. Faisant alors appeler M. Julien qui s'occupe de l'ADVIP
sur Grenoble par le propriétaire de l'hôtel, nous arrivons
à trouver un terrain d'entente lui laissant un chèque
en acompte de la moitié de la somme due, et promettant de
lui expédier le reste dès que possible.
Sitôt
rentrés chez nous, nous ne voulons pas en rester là,
étant décidés de continuer à nous battre.
Pour nous la justice n'a pas été rendue à Céline,
et nous n'avons pas été défendus.
Dessaisissant sur le champ Pesenti et Massiani du dossier, nous
nous adressons à ce moment là, la mort dans l'âme,
à Maître Collard. Celui-ci avec une grande patience,
essaie de nous remonter le moral et reprend le dossier avec nous
de A à Z, répondant à toutes les questions
que nous lui posons, nous expliquant tout dans les moindres détails.
Il est vraiment à notre écoute, scandalisé
parfois lorsque nous lui expliquons certaines attitudes de nos défenseurs
pendant le procès, tout cela lui paraît tellement impossible,
incroyable, mais vrai.
Au mois de mai 93 nous recevons enfin, la convocation pour le procès
civil à Grenoble le 6 juin.
C'est bien Maître Collard qui doit passer à l'action
ce jour-là, mais problème, Maître Massiani lui
met opposition étant donné qu'il n'a pas été
payé.
Nous prenons rendez-vous, et nous rendons chez Massiani essayant
de lui faire comprendre que ce n'est pas en empêchant Maître
Collard de plaider que nous arriverons à le payer, rien à
faire, il ne voulait rien entendre. Prenant à témoin
M. Pascal Betille un de ses clients qui se trouvait dans son cabinet
par hasard et qu'il nous a présenté lorsque nous sommes
entrés, il nous invite à lui signer une reconnaissance
de dettes en échange de la levée d'opposition, parlementant,
près d'une heure, nous faisant même remarquer qu'il
avait d'autres rendez-vous après nous, mais rien à
faire, le temps passait, et rien n'avançait. Il nous a pris
au chantage. La levée d'opposition en échange de la
reconnaissance de dettes.
Si nous voulions que Maître Collard puisse plaider, il n'y
avait pas d'autre issue.
Sitôt cette signature obtenue, quelle ne fut pas notre surprise
de voir Massiani se diriger à l'arrière de son cabinet
et revenir avec 2 gorilles en leur disant : «Messieurs je
vous fais constater que la famille Jourdan m'a signé cette
reconnaissance de dettes sans menace aucune»
Je n'aurai jamais cru que dans cette corporation, qui touche la
justice où tout devrait être clair et juste, il existe
une telle pègre et je comprends mieux aujourd'hui, les nombreuses
lettres que nous avons reçues jusqu'au procès, qui
nous disaient : «Méfiez-vous des robes noires»
Malheureusement nous n'avions pas compris.
Heureusement, j'espère, il est à souhaiter que ce
ne soit pas une généralité, sinon où
va la justice?
Depuis le 6 juin 1993 que le procès civil a eu lieu, Maître
Collard ce jour là avait demandé 500 000 F pour toute
la famille Jourdan. Le 21 juin 1993, l'arrêt de la cour d'assises
nous allouait 320 000 F. Didier Gentil n'étant pas solvable,
c'est le fond de Garantie qui prend en charge ce paiement qui, de
délibérés en réunions de commission,
renvoyées de 6 mois en 6 mois, fond comme neige au soleil.
Cette commission nous a alloué en juin 94 pour toute la famille
Jourdan 60 000 F. Et non les centaines de millions de centimes que
les médias avaient annoncés au lendemain du procès
civil. C'est sur cette somme que Massiani nous a signifié
une opposition par voie d'huissier.
Voilà ce que vaut la vie d'une enfant de 7 ans et la douleur
de sa famille. La vie n'a pas de prix, et ce n'est pas l'argent
qui nous rendra Céline. Depuis 6 ans que ce drame s'est passé,
il a fallu faire face à tous les frais que cette affaire
nous a occasionnés, et continue de nous coûter, pendant
que les requins s'en sont pris plein les poches. Nous faisons de
notre mieux pour la mémoire de Céline, tant pis s'il
ne nous reste plus que les yeux pour pleurer. Je souhaite de tout
cœur que jamais plus de tels drames ne se reproduisent, autant
pour les enfants que pour la souffrance des familles.
Dans de pareils cas, on reste anéanti et sans réaction.
La seule chose avant de faire quoi que ce soit, c'est de contacter,
une de ces nombreuses familles, déjà touchées
pour se faire épauler.
Car seul, on ne peut rien.
Nous
ferons de notre mieux pour faire éclater LA VÉRITÉ.
|